Delhaize et Mestdagh/Intermarché ne sont-ils rien d’autre que les canaris dans une mine de charbon ? Le régime de travail rigide de la Belgique n’est pas viable pour les détaillants confrontés à des concurrents internationaux et à des consommateurs capricieux. Pour elles et pour d’autres chaînes, le modèle de la franchise est la bouée de sauvetage.
Changement de mentalité
L’intention de Delhaize de vendre à des entrepreneurs indépendants l’ensemble des 128 supermarchés intégrés semble plutôt radicale, mais il s’agit en réalité de la suite logique d’une tendance installée depuis bien plus longtemps dans le secteur de la distribution, et notamment, mais pas exclusivement, dans la branche des supermarchés. Aujourd’hui, la grande majorité des magasins Delhaize sont déjà des magasins franchisés de AD Delhaize, Proxy Delhaize et Shop&Go. Comme il s’agit souvent de petits magasins, ils ne représentent pour l’instant « que » 45 % du chiffre d’affaires, mais ils se développent et gagnent des parts de marché.
Une situation similaire chez Carrefour : seuls les hypermarchés et quelques dizaines de supermarchés en Flandre sont encore des magasins intégrés. Tous les autres magasins sont exploités par des entrepreneurs. Nous savons aujourd’hui que le PDG, Geoffroy Gersdorff, travaille sur un changement de mentalité au siège social, désormais appelé le « Service Center » car il doit être au service des points de vente.
L’expansion par la franchise
Comme Delhaize, Intermarché est confronté à un conflit social depuis le début de l’année. Le groupe souhaite céder les 86 magasins rachetés au groupe Mestdagh à des entrepreneurs indépendants. Pour les Mousquetaires, les magasins intégrés ne sont pas une option : leur modèle de réussite repose entièrement sur l’entrepreneuriat. Les syndicats s’inquiètent pour les conditions de travail.
Le groupe Louis Delhaize s’est également engagé sur la même voie : les magasins de proximité éponymes sont indépendants, tout comme les Delitraiteurs et une partie des supermarchés Match, qui évolueront désormais sous l’enseigne Louis Delhaize (sauf en Flandre, où ils ferment). L’expansion d’Albert Heijn se poursuit toujours exclusivement par le biais de la franchise, avait déclaré le directeur, Raf Van den Heuvel, à RetailDetail l’année dernière. Seuls 25 des 74 magasins belges sont des filiales et ce chiffre ne sera probablement jamais revu à la hausse. Une grande partie des supermarchés Jumbo en Flandre sont également exploités par des franchisés.
Explosion imminente
Il y a cependant des exceptions. Pour les hard discounters étroitement sous contrôle, la franchise ne semble pas être une option : Aldi et Lidl ne comptent que des magasins intégrés. Chez Colruyt Group, la situation est hybride : Jef Colruyt n’a jamais été un fervent partisan du franchisage, préférant conquérir les villes avec des magasins intégrés, et parfois automatisés, de la formule Okay. Mais avec Retail Partners Colruyt Group, le distributeur dispose d’une division de franchise pour Spar, Mini Market et Alvo. L’autre détenteur de licence Spar, Lambrechts, ne travaille qu’avec des indépendants, à l’exception d’un rare magasin pilote.
Les raisons en sont évidentes. Dominique Michel, directeur général de la fédération du commerce de détail Comeos, n’a pas mâché ses mots cette semaine au sujet du plan de Delhaize : notre droit du travail date des années 1960 et 1970 et il est urgent de l’adapter aux réalités du 21e siècle. Selon lui, le fait que les syndicats continuent à s’accrocher aux acquis du passé est intenable. Les détaillants ont le choix : se réformer en profondeur ou devenir la « nouvelle Sabena ». Il prévoit ainsi « une explosion » des franchises en Belgique.
Règles du jeu inéquitables
L’évolution du comportement d’achat, la croissance du commerce électronique et l’arrivée de nouveaux acteurs internationaux exigent désormais davantage de flexibilité de la part des détaillants… Mais cette flexibilité pourrait se révéler inabordable. Les consommateurs s’attendent par exemple à ce que les magasins soient ouverts le dimanche mais, avec une prime de 300 % le dimanche, ce n’est pas une option viable pour les enseignes. Les indépendants, tout comme les nouveaux acteurs comme Jumbo et Albert Heijn, n’ont pas ce problème. En d’autres termes, les règles du jeu ne sont tout bonnement pas équitables. Ce n’est pas une coïncidence si les supermarchés, y compris les filiales, engagent de plus en plus des étudiants, moins chers, pour approvisionner les rayons les jours de forte affluence le week-end.
À cela s’ajoute le dynamisme commercial d’un entrepreneur qui se bat pour son entreprise et qui est proche de ses clients. Si d’autres détaillants suivront l’exemple de Delhaize ? Cela ne fait aucun doute, car le mouvement est déjà en marche. En France, par exemple, Carrefour a commencé à franchiser des hypermarchés. Une tendance qui se répandra aussi en Belgique : ce n’est qu’une question de temps. Reste aussi à savoir quelle stratégie adoptera Colruyt Group : le franchisage de magasins Okay ou Bio-Planet, par exemple, est encore tabou aujourd’hui, mais qu’en sera-t-il si la dure réalité économique prend le pas sur les nobles principes ? Affaire à suivre …