La semaine a été sombre pour nos héros du FMCG, qui gagnent toujours des millions – et plus des milliards –, mais perdent des clients décidément bien volages au profit de ces maudites marques de distributeur. Mais n’y ont-ils pas une part de responsabilité ? Filet Pur a mené l’enquête !
Deux chiffres
On en aurait presque pitié. Vraiment. Jusqu’à récemment, on se réjouissait encore des résultats absolument brillants des grandes marques de FMCG, qui, trimestre après trimestre, venaient claironner que les hausses des prix délirantes qu’elles opéraient ne posaient aucun problème à leurs fidèles fans. Et que les chaînes de supermarchés feraient mieux d’arrêter de leur mettre des bâtons dans les roues, pouvait-on également lire entre les lignes.
Mais à mesure que sortent les résultats annuels, une étonnante tendance se dessine. Des ventes records ? Oui, nos multinationales enregistrent des chiffres d’affaires historiques. Les croissances à deux chiffres sont plus la règle que l’exception. Mais elles sont finalement logiques compte tenu des hausses des prix… Car il y a un mais… Les volumes reculent, et pas qu’un peu. Et les bénéfices ? Ils partent carrément en fumée.
Conflits
En d’autres termes, les responsables des achats de la grande distribution ont accompli avec brio leur mission de gardien de votre (et de mon) pouvoir d’achat. En faisant jouer leurs muscles, ils ont effectivement empêché les marques de répercuter la totalité des énormes hausses des coûts auxquelles elles sont confrontées sur le consommateur démuni. Chapeau ! Les conséquences ne sont pourtant rien moins que désastreuses. Pour les actionnaires, en tout cas. Chez Douwe Egberts, le bénéfice a chuté d’environ 6 %. Certes, il atteint encore 1,2 milliard, qu’est-ce que cela représente encore en période d’hyperinflation ? Ils auraient souffert de delistings à la suite des conflits avec des supermarchés en colère au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. Bref…
Mais pas chez nous, contrairement à Danone – non, nous n’avons pas oublié. La baisse de moitié du bénéfice du producteur de yaourts serait cependant surtout liée à la Russie, même s’ils n’ont pas encore complètement quitté le pays, les traîtres. Comme les prix du lait n’ont jamais été aussi élevés, on avait le sourire chez FrieslandCampina, bien que le géant du lait n’ait pas pu répercuter toutes les augmentations de coûts. Le chiffre d’affaires record de Ferrero, fabricant de bonbons hautement addictifs qui gâchent notre jeunesse, ne s’est pas non plus traduit par une augmentation des bénéfices : -25 %. À peine 751 millions d’euros, une aumône pour Giovanni Ferrero. Pourquoi ne prend-il pas sa retraite, d’ailleurs ? Eh bien, comme Warren Buffet l’a remarqué une fois : « L’argent n’est pas important, mais assurez-vous quand même d’être riche avant de dire de telles âneries. »
Mission impossible
Mais il ne faudrait pas tout mettre sur le dos des responsables des achats. Les marques aussi ont leur part de responsabilité. Car en procédant à des augmentations de prix aussi radicales, elles mettent à l’épreuve la fidélité de leurs clients. Résultats ? Ces derniers se rendent compte qu’ils peuvent très bien s’en passer. Ces produits de marques de distributeur ne sont pas si mauvais. Surtout s’ils sont en promo. La part du private label ne fait qu’augmenter. Et la question qui se pose est alors : ces consommateurs perdus reviendront-ils un jour à leurs anciennes marques A préférées et désormais bien trop chères à leurs yeux ? Retourner avec son ex, cela se fait, mais le phénomène reste très minoritaire.
Le fait est que ces mégaentreprises n’ont pas le choix, évidemment : soit elles vendent à perte, soit elles perdent des clients. La peste ou le choléra. Elles ont opté pour les bénéfices, même s’ils se réduisent à peau de chagrin. Des bénéfices, ils ne peuvent qu’en rêver chez Louis Delhaize. Eux essuient des dizaines de millions de pertes depuis des années. Ils s’appauvrissent en dormant, pourrait-on dire. Et le seul manager externe de haut niveau qu’ils ont réussi à recruter pour renflouer le navire en perdition est parti après trois ans et demi. A-t-il été licencié faute d’amélioration des résultats ? Ou est-il lui-même arrivé à la conclusion que c’était mission impossible ? Nous ne le saurons jamais : départ « de commun accord ». La richissime famille propriétaire de l’enseigne pense pouvoir faire mieux. D’accord. C’est leur argent, après tout.
Intelligent
Nous ne saurons pas non plus si les Mousquetaires font des bénéfices, mais comme il s’agit de bons soldats, on peut supposer que oui. Ces indépendants ne sont pas fous. Encore que : une croissance du chiffre d’affaires d’à peine 2,3 % alors que les prix ont augmenté de 10 à 20 % dans les supermarchés en France n’a rien de réjouissant. Même si cela prouve surtout, selon Intermarché, qu’ils ont privilégié le pouvoir d’achat des consommateurs. En Belgique, c’est mieux : croissance de 7,2 % et chiffre d’affaires record de 825 millions d’euros. Sans compter Mestdagh, bien entendu. On peut donc prévoir un nouveau record l’an prochain. À moins que Carrefour ait gain de cause devant les tribunaux : ils devraient alors céder à nouveau certains magasins.
Enfin, encore ceci. Si la vente de produits alimentaires vous permet à peine de payer votre loyer, peut-être faut-il simplement vendre autre chose. Des réfrigérateurs, par exemple. C’est en tout cas l’approche adoptée par Colruyt Group : ils ont décidé de ne pas garder pour eux la technologie incroyablement avancée qui se cache derrière leurs magasins autonomes, mais de la mettre à la disposition de leurs concurrents à un prix raisonnable. Sympa ! Il faudra se rendre à Düsseldorf pour une première rencontre avec ce frigo surdoué, mais nous sommes prêts à faire le déplacement. Curieux de savoir si un mot sensé en sort. Je vous tiens au courant. À la semaine prochaine !