Les fabricants de marques s’enrichissent simplement en augmentant déraisonnablement les prix, tandis que les consommateurs ont faim et que les pauvres détaillants alimentaires sont en souffrance. Les drames sont bien sûr inévitables : Filet Pur fait état des dégâts et dresse la liste des victimes.
Rouge sang
Qu’ils aient un logo jaune, jaune-bleu-rouge ou bleu-blanc-rouge, nous savons maintenant qu’au moins quatre détaillants alimentaires se parent de couleur rouge, voire rouge sang, englués sur le champ de bataille belge. De la chair à canon, rien de plus. En effet, nous avons officiellement appris mardi soir que Carrefour a également clôturé l’exercice précédent sur des chiffres rouges, rejoignant Lidl, Jumbo et Cora. Le montant des pertes n’a cependant pas été dévoilé. Par honte honnête, probablement.
Mais, soyons honnêtes, cette nouvelle n’est pas étonnante. Et cela a d’emblée soulevé la grande question : pouvons-nous ajouter Delhaize à cette liste ? Après tout, le marché belge est le plus difficile de toute l’Europe occidentale, surtout pour une chaîne de supermarchés qui n’est pas vraiment connue pour ses prix bas. Mais Frans Muller nous a rassurés dans un commentaire sur les excellents résultats annuels d’Ahold Delhaize : Delhaize est bel et bien rentable. Ouf !
Secret d’État
Nous ignorons à combien s’élèvent les profits du groupe de Kobbegem. Nous ne savons pas non plus s’il gagne des parts de marché : nous savons seulement qu’Albert Heijn gagne des parts de marché et qu’en tant que groupe, ils en gagnent aussi. Nous devrons nous en contenter. Nous connaissons la part de marché de tous les acteurs à deux décimales près aux Pays-Bas mais, en Belgique, c’est un secret d’État. Il y a quelque chose qui cloche.
Quoiqu’il en soit, nous ne pouvons que conclure qu’Albert Heijn gagne donc plus de parts de marché que les Lions n’en perdent (s’ils en perdent, bien sûr). Et quant à savoir si cette usine à promotions bleue en Flandre rapporte réellement de l’argent, le mystère reste entier. Combien rapportent les produits « gratuits » ? Certes, ils ont trouvé de l’argent pour une grande campagne médiatique. Ne pas avoir de frais généraux, ça aide.
D’ailleurs, même au niveau du groupe, les résultats en matière de marge étaient décevants cette semaine pour les deux grands distributeurs alimentaires. Carrefour n’affiche toujours que 2,9 %. À peine plus que Colruyt, c’est tout ce qu’on peut dire à ce sujet. Ahold Delhaize fait mieux avec 4,3 %, mais en Europe, elle n’est que de 3,7 %. Coûts élevés, prix bas : la distribution alimentaire est a losing game.
Puits sans fond
Et ce ne sont pas les perdants qui ont manqué cette semaine. Intermarché présentait à nouveau des rayons vides à cause d’un nouveau blocage : pas chez Mestdagh à Gosselies cette fois-ci, mais au centre de distribution Intermarché lui-même, à Villers-le-Bouillet. Les syndicats veulent ainsi faire comprendre qu’ils ne plaisantent pas, comme si cela était encore nécessaire. Franprix tire également ses conclusions : le seul magasin de Bruxelles n’a jamais constitué une menace sérieuse. Et qu’en est-il des idéalistes du modèle sans emballages de Pieter Pot ? Un rêve ambitieux ne fait pas un modèle économique viable. Un puits sans fond, voilà ce que c’est. L’opération de sauvetage est en cours, mais elle s’annonce aussi tendue que la rondelle de caoutchouc autour d’un bocal en verre.
Un contraste saisissant : la marge de Coca-Cola. Asseyez-vous et ne tombez pas de votre chaise : 20,5 %. Oui, vous avez bien lu. Grâce à une augmentation de prix de 12 %. C’est assez simple : tant que vous n’êtes que deux acteurs avec des marques fortes dans un segment de marché hyper populaire, vous avez le contrôle total sur les prix. Plus hauts, donc. Encore plus hauts ! The sky is the limit. Jusqu’à ce que les consommateurs renoncent, du moins, ce qui devrait finir par arriver prochainement, selon PepsiCo. Les augmentations tarifaires pourraient donc être un peu plus raisonnables cette année. Hé hé. C’est également l’avis de Kraft Heinz, d’ailleurs. En revanche, Heineken et Nestlé continuent gaiement. Ainsi, ils font de facto la promotion des marques de distributeur. Ils doivent savoir ce qu’ils font.
Bière et frites
Vous en avez certainement entendu parler : l’inflation indue. C’est-à-dire que des entreprises profitent de l’inflation pour se remplir les poches à coups de hausses de prix exorbitantes. Voilà qui ne fait pas sourire Frans Muller, accusé de refuser d’augmenter les salaires malgré des bénéfices record, qui tire un coup de semonce : maintenant que les prix des matières premières baissent à nouveau, les prix à la consommation doivent suivre la même tendance, Mesdames et Messieurs les industriels. Eh bien, bonne chance à lui. Pour les fruits et légumes, cela va fonctionner, au grand dam des agriculteurs. Mais le prix de la pinte du travailleur lambda a-t-il jamais été revu à la baisse ? Ou celui d’un paquet de frites ? Je ne pense pas !
Cependant, le PDG attaque habilement ses fournisseurs de marque sur leur flanc faible : les fameuses contraintes territoriales de l’offre, cette vile stratégie au travers de laquelle les fabricants facturent un même produit, provenant de la même usine, jusqu’à 30% de plus dans un pays que dans un pays voisin. La commissaire Vestager doit y mettre fin de toute urgence, estime-t-il. Comme son frère Michiel, qui se lance dans un exercice d’importation parallèle avec Picnic. Frères d’armes. Après tout, pourquoi appeler ça un marché unique européen si c’est loin d’en être un ? À cet égard, la perception joue contre les marques, et les détaillants peuvent endosser le rôle de sympathiques Robin des Bois.
Sieste
Oh, et ce n’est pas tout : Muller se serre également la ceinture. Pas touche au salaire ou aux généreux bonus. Non, le détaillant va réduire les coûts (en d’autres termes : les emplois) au siège social. Notamment dans ce nouveau grand immeuble de bureaux à Kobbegem, soyez-en sûrs. Bientôt, il pourra chercher des locataires supplémentaires pour remplir les étages vides. Et en plus : Delhaize et Albert Heijn doivent travailler en collaboration si étroite que, à terme, nous risquons bien de ne plus voir la différence. Aïe. Et tenez-vous bien : l’organisation des magasins fait également l’objet d’un remaniement. Les syndicats sont sous le choc. Mais ce sont bien les seuls.
Réaliser des économies au siège, c’est aussi ce que fait le distributeur de Halle en ne remplaçant pas les directeurs sortants. Alors que le directeur général de Colruyt Meilleurs Prix, Chris Van Wettere, prendra bientôt retraite, c’est Jo Willemyns qui reprendra ses fonctions, en plus de la gestion des autres enseignes. Je parie qu’il pourrait bientôt prendre la relève de Jef Colruyt, qui a d’ailleurs déjà repris les fonctions de Dieter Struye pendant ses quelques heures libres. Voilà qui permet une économie de deux gros salaires mensuels. Au fait : nous devons tous travailler plus longtemps, sauf chez Colruyt, où ils ont une carte de membre du PS, le parti de la sieste : Chris Van Wettere a 63 ans. Et il a même travaillé une année de trop, avec ça. Ce qui me fait penser qu’il est grand temps de faire une pause bien méritée. Pas d’excès de zèle ici, qu’est-ce que vous croyez ? TGIF ! À la semaine prochaine !