Que nous réserve le secteur de l’alimentation ? Pour surmonter au pic imminent de la croissance démographique, nous devons avant tout réinventer et accélérer notre système alimentaire. Même si un nouveau sens du réalisme prédomine désormais dans le retail.
Tendance n° 1 Re-grow
Si les exploitations agricoles s’apparentent déjà à des entreprises high-tech, la technologie va encore étendre son emprise sur le secteur. Nous devons accélérer et améliorer autant que possible la production alimentaire pour faire face au pic imminent de la population mondiale. En Afrique surtout, la croissance démographique reste effrénée. Nous avons donc de nombreuses bouches supplémentaires à nourrir, au propre comme au figuré. En 2009, les Nations unies avaient calculé qu’il serait nécessaire de doubler la production alimentaire pour répondre à la demande en 2050.
Nous devrons par conséquent manger différemment – voir la deuxième tendance un peu plus bas –, mais aussi produire différemment. Pour éviter d’accaparer encore plus de terres agricoles et alors que l’urbanisation s’accélère, les yeux se tournent vers des systèmes de culture indoor hyperefficaces et souvent high-tech. Fermes verticales, viande cultivée en laboratoire et culture hydroponique feront de plus en plus partie de notre quotidien en 2023.
Les systèmes agricoles traditionnels bénéficieront également d’un upgrade technologique. Le durcissement des normes impose une agriculture intelligente, sans même parler de la législation sur l’azote. Quand Danone s’engage à réduire les émissions de méthane provenant de la production laitière de 30% d’ici 2030, ce n’est pas la multinationale, mais bien les producteurs laitiers qui devront modifier leurs processus pour y parvenir. Aujourd’hui, tous les grands producteurs disposent des programmes ambitieux destinés à « scientiser » leurs fournisseurs de produits agricoles : en 2023, même un petit agriculteur ne pourra pas se passer de systèmes informatiques basés sur les données et d’intelligence artificielle.
Tendance n° 2 Re-invent
Il reste beaucoup à faire pour atteindre la neutralité climatique en 2050 au sein de la filière agricole, comme le prévoient la stratégie Farm to Fork et le Green Deal européens. Et ce que nous consommons revêt une importance considérable dans cette évolution. Cette semaine par exemple, la Commission européenne a donné le feu vert à de nouvelles préparations à base d’insectes : vers de farine et poudre de grillons peuvent désormais être inscrits au menu. Elle a également rappelé à quel point les insectes étaient une alternative nutritive, saine et respectueuse de l’environnement.
La viande, en particulier le bœuf, reste en revanche une source importante d’émissions de gaz à effet de serre. Les scientifiques s’accordent à dire qu’une alimentation plus végétale est indispensable, tant pour préserver la planète que pour nourrir la population mondiale. Une étude du Boston Consulting Group estime même que la consommation de viande atteindra un pic dès 2025, avant de diminuer peu à peu. D’ici 2035, les alternatives végétales devraient représenter environ 11% du marché total des protéines.
Cela ne signifie cependant pas que notre régime va s’appauvrir, au contraire. Il existe encore des milliers de cultures dont nous ne faisons pratiquement rien aujourd’hui. De plus, 90% de nos calories proviennent de seulement 30 variétés de végétaux, alors qu’on recense plus de 30 000 plantes comestibles. Les algues, par exemple, se révèlent être un ingrédient miracle, et la fermentation recèle des possibilités encore inexploitées. Attention : 2023 sera l’année du kimchi, et je ne dis pas ça uniquement parce que nous partons à la découverte du marché coréen du retail en octobre prochain !
Tendance n° 3 Re-claim
L’année 2023 sera-t-elle celle de la citoyenneté alimentaire ? Les consommateurs, les citoyens, se sentent de plus en plus coresponsables du système alimentaire. Ils prennent conscience du rôle qu’ils ont à jouer dans la préservation des écosystèmes naturels qui les nourrissent et par extension dans la façon dont les aliments sont produits et consommés. Aujourd’hui, la plupart des consommateurs, surtout dans les villes en pleine expansion, vivent à des kilomètres des lieux de production alimentaire. Ils ont perdu le contact et le lien avec la nature alors qu’il s’agit d’une étape essentielle vers la durabilité et la véritable sécurité alimentaire, affirme l’observateur de tendances scandinave Scenario.
Mais il est possible de stimuler ce sens de la responsabilité et de l’engagement. Pensez aux jardins potagers, au retour à une alimentation locale et à l’agriculture urbaine. Ikea en a donné un excellent exemple l’année dernière : la chaîne de décoration intérieure a lancé une ferme urbaine et un marché de légumes locaux dans un quartier défavorisé d’Helsingborg au Danemark. Non seulement le quartier a retrouvé des couleurs, mais ses habitants ont eu l’occasion de renouer des relations et de faire un travail utile dans une région où le taux chômage est élevé. Ikea a déjà recruté environ 50 nouveaux employés dans le cadre du projet.
Ce retour à une production plus locale présente d’autres avantages. En privilégiant les variétés locales, on rompt avec la monoculture et on obtient à nouveau des cultures plus robustes et plus diversifiées. En outre, la chaîne d’approvisionnement s’en trouve considérablement raccourcie, ce qui permet de réaliser des économies sur les coûts de transport – à ne pas négliger dans le contexte actuel.
Tendance n° 4 Re-alism
Avec les coûts qui s’envolent, les marges sont à nouveau la première préoccupation des retailers. Ils en reviennent donc à l’essentiel. Un nouveau réalisme s’impose de plus en plus face aux visions et autres stratégies ambitieuses. Les choix forts se multiplient dans les assortiments : les « petits plus » non indispensables disparaissent des rayons, ce qui reste doit être rentable ou apporter de la distinction. En matière de communication, le dépliant numérique remplace autant que possible le papier. Par ailleurs, n’oubliez pas que les déchets représentent également un coût. Attendez-vous par conséquent à voir encore plus de promos (numériques) ciblées pour éviter le gaspillage en 2023.
La volonté des supermarchés de réduire les coûts partout où c’est possible se traduira aussi par une poursuite de l’automatisation dans les magasins. En revanche, les supermarchés ne pourront ignorer le fait que les consommateurs sont réellement demandeurs de livraisons à domicile. Celle-ci va donc dépasser le click&collect, mais uniquement au juste prix. Ou bien les supermarchés feront appel aux sociétés de livraison de repas. Il y a tout juste un an, les livreurs express se projetaient encore en complices tout désignés des supermarchés – pensez à la collaboration entre Jumbo et Gorillas. Mais maintenant que ces derniers ont mordu la poussière, des plateformes comme Deliveroo et Just Eat Takeaway s’engouffrent dans la brèche.
Nous ne pourrons pas non plus échapper à l’expansionnisme des retailers. Bien que la concurrence soit féroce et que la Belgique soit surpeuplée de supermarchés, toutes les enseignes veulent marquer leur territoire. De Colruyt à Delhaize, au moins soixante magasins supplémentaires devraient ainsi ouvrir leurs portes d’ici 2023. Notons toutefois de noter que le risque repose de plus en plus sur les franchisés. S’étendre, oui, le faire soi-même non.
Tendance n° 5 Re-tail media
Le supermarché se transforme en agence de pub. Les marques achètent leurs emplacements dans les magasins ou les boutiques en ligne – voire dans les journaux ou à la télévision. Car des têtes de gondole dans les magasins aux pages de publicité qu’ils réservent dans les quotidiens, les supermarchés disposent d’un vaste éventail de canaux publicitaires. Et touchent les consommateurs à un moment crucial de leur parcours d’achat. Pourquoi dès lors ne pas partager cet espace ? Ou mieux encore : le vendre ?
C’est ainsi qu’apparaît le retail média : des retailers proposent des services de publicité. L’idée est particulièrement attrayante pour des marques qui, contrairement aux supermarchés, éprouvent des difficultés à atteindre directement les consommateurs. Suggérer un shampoing donné aux acheteurs masculins de soins de la peau haut de gamme dans la boutique en ligne ? Afficher sa marque sur les caddies dans un quartier où votre public cible est particulièrement représenté ? Envoyer un mailing ciblé à tous ceux qui ont dépensé autant en glaces et en aliments pour chiens ces derniers mois ?
Avec Walmart Cookshop, Walmart propose même un site interactif où des célébrités et autres influenceurs créent des vidéos siglées. Et utilisent naturellement vos produits et ingrédients dans leurs recettes. Ces vidéos peuvent ensuite être diffusées sur les médias sociaux sous forme de « shoppable ads ». Grâce aux données fournies par 20 millions de titulaires de cartes de fidélité, Tesco aide également les marques à développer des catégories et à innover en matière de produits. Tout cela par l’intermédiaire des retailers.