Les marques internationales ne jouent pas le jeu du marché unique européen : les restrictions territoriales de l’approvisionnement coûtent 14 milliards d’euros par an aux consommateurs, affirme le secteur de la grande distribution. Les fabricants se justifient par les différences nationales en matière de législation.
#singlemarket4all
Pourquoi des produits identiques sont-ils parfois (beaucoup) plus chers dans un pays que dans un autre ? Les marques empêchent le marché unique européen de produire tous ses effets, affirme la grande distribution. Dans une campagne menée sous le hashtag #singlemarket4all, EuroCommerce, la fédération de la grande distribution, lance donc une attaque frontale contre les restrictions territoriales d’approvisionnement. En résumé, l’accusation se résume à ceci : les fabricants profitent du marché unique en concentrant leur production pour l’Europe dans une ou quelques usines et en achetant les ingrédients où ils veulent. Mais elles exigent que les détaillants et les grossistes ne s’approvisionnent qu’auprès de leur filiale nationale, à un prix qu’elles fixent séparément pour chaque marché.
Une tactique de fragmentation, donc, qui oblige les consommateurs à payer plus cher dans certains pays que dans d’autres, alors que les coûts de production sont à peu près équivalents pour chaque marché. Selon une étude de la Commission européenne, ces restrictions coûtent quelque 14 milliards par an aux consommateurs européens dans des catégories comme les cosmétiques, les détergents, les confiseries et les boissons.
Amende pour AB InBev
AB InBev a même écopé d’une amende de 200 millions d’euros en 2019 : en limitant les volumes disponibles, en modifiant la conception et le format des emballages et en imprimant des étiquettes unilingues, le brasseur empêchait les détaillants belges d’importer des Jupiler et Leffe à moindre coût des Pays-Bas et de France. Distorsion de la concurrence et abus de position dominante, a conclu la Commission européenne.
Mais la situation a-t-elle beaucoup évolué sur le terrain depuis ? « Une telle décision de justice envoie un message fort, mais ne résout pas le problème », explique Leena Whittaker, responsable des questions de concurrence chez EuroCommerce. « Et surtout : elle rend les multinationales plus vigilantes sur la manière dont elles organisent ces restrictions. » Car AB InBev n’est pas un cas unique : une enquête sur des pratiques similaires est en cours depuis novembre 2019 chez le fabricant de confiseries Mondelez. Une décision ne tarderait pas à être rendue.
Crise du pouvoir d’achat
« Nous dénonçons cette situation auprès de la Commission depuis dix ans. Il est maintenant temps de faire de ce marché unique une réalité », dit-on chez EuroCommerce. De leur côté, les retailers sont plus réticents à porter plainte : la procédure est complexe et ils craignent des représailles. « En Allemagne, nous avons récemment vu de grandes marques interrompre leurs livraisons à la suite de discussions sur les augmentations de prix. » De plus, les retailers sont également victimes de leurs clients : s’ils ne proposent pas les produits de marque connus et indispensables, il suffit à ces derniers de traverser la rue pour se rendre dans un autre supermarché.
Le timing de la campagne n’est pas anodin. L’année prochaine marquera le 30e anniversaire du marché unique européen, mais surtout : les consommateurs ont plus que jamais besoin de prix plus bas alors que leur pouvoir d’achat est sous pression. « Les retailers voient les coûts énergétiques augmenter dans leurs propres activités, et ils peuvent comparer les augmentations de prix des produits de marque de distributeur à celles des produits de marque A. Ils peuvent ainsi constater les grandes marques, en particulier, utilisent leur position et leur force pour imposer des augmentations plus importantes. »
« Argument fallacieux »
Sans surprise, les marques ne se sentent pas concernées par ces accusations. AIM, l’association européenne des marques, voit plusieurs explications aux écarts de prix entre les États membres de l’Union européenne et renvoie à une étude du cabinet de conseil économique NERA. Seraient en cause les préférences gustatives et les habitudes alimentaires locales, ainsi que les nombreuses différences entre les législations locales en matière d’ingrédients, d’étiquetage, d’emballage et de recyclage.
En outre, les autorités nationales à la concurrence ne semblent pas jusqu’à présent trouver de preuves tangibles de ces fameuses restrictions territoriales d’approvisionnement. Le chiffre de 14 milliards d’euros serait ainsi totalement imaginaire et irréaliste, selon l’organisation de la marque. Il est d’ailleurs frappant de constater que les prix et les emballages des produits de marque de distributeur des retailers varient autant que ceux des marques de A, simplement parce qu’ils sont confrontés exactement aux mêmes limites réglementaires et attentes différentes du marché. L’argument des restrictions territoriales est donc trompeur et ne sert que d’écran de fumée pour le comportement anticoncurrentiel des retailers qui mettent en commun leur pouvoir de négociation dans des alliances, conclut Michelle Gibbons, directrice de l’AIM.