L’heure sera à la trêve demain, mais pas dans le commerce de détail alimentaire, où les reproches fusent déjà aussi allègrement que les drones iraniens. Filet Pur plonge dans une guerre de tranchées sans issue.
Pas de demi-tour
Les hommes font des projets… Alexandre Bompard étant un sacré bonhomme, pas étonnant qu’il ait eu besoin de 61 (!) diapositives PowerPoint mardi dernier pour nous expliquer la direction que veut prendre Carrefour dans les années à venir. Pas question d’un virage à 180 degrés dans ce plan stratégique 2026, les thèmes abordés sont familiers : neutralité climatique, e-commerce, marques de distributeur et bien sûr, actualisation du concept des hypermarchés envers et contre tous… Et l’inévitable question du pouvoir d’achat était également à l’ordre du jour.
Dans ce contexte, le PDG a tout de même réussi à créer une petite surprise : le combattant des prix brésilien Atacadão débarque en Europe. Carrefour dispose déjà d’un combattant des prix avec la formule de soft discount Supeco, qui semble cependant trop soft pour faire une réelle différence en ces temps de crise. Cette formule brésilienne combine l’approche du volume d’un cash&carry avec la politique de prix bas spartiate d’un hard discounter, et c’est apparemment ce dont les consommateurs ont besoin. Le confort est la dernière chose que nous attendons d’un supermarché aujourd’hui, semble-t-il. D’accord.
Vestiges anciens
Avec un peu de mauvaise volonté, on pourrait dire qu’Atacadão représente ce que Makro aurait pu devenir si l’enseigne n’était pas tombée dans un coma profond il y a une décennie. Et, comme vous le savez, Filet Pur manque rarement de mauvaise volonté. C’est un don. Il faudra toutefois patienter encore un an avant que cette nouvelle formule miracle ouvre ses portes, dans je ne sais quelle région reculée de France. Nous verrons bien.
En parlant de Makro : les amateurs de vestiges anciens auront une semaine supplémentaire pour soumettre leurs offres de rachat, ont fait savoir les mandataires de justice. Voyez-vous ça. Cela signifierait-il qu’ils ne peuvent pas gérer l’afflux de dossiers ? Ou est-ce plutôt parce qu’à part Sligro et l’actuel PDG de Makro, Vincent Nolf, aucun candidat ne s’est encore manifesté ? Nous parlions justement de mauvaise volonté… Quoi qu’il en soit, la situation est telle qu’ils sont désormais contraints d’organiser une grande liquidation pour continuer à payer les salaires un mois de plus. Tout doit partir ! Dans l’espoir que le chapitre puisse être clos une fois pour toutes.
Argent gratuit
Étonnamment peut-être, nous apprenions ce matin qu’Intermarché ne doit céder aucun de ses magasins pour reprendre l’ensemble des supermarchés Carrefour de Mestdagh. Aucun, vous avez bien lu. L’organisme de surveillance de la concurrence estime qu’il n’y a pas de concurrence dans le sud du pays. Les détaillants alimentaires y gagnent gratuitement de l’argent à la pelle, devons-nous conclure, et tant que les Hollandais ne s’en mêleront pas, il en sera ainsi. Formidable ! Les Mousquetaires devront toutefois encore relever la tâche difficile d’intégrer ces magasins et leurs employés mécontents.
C’est aussi une belle illustration de la fracture entre les deux démocraties de notre pays, une fois encore mise en évidence hier lors de cette fameuse journée de grève nationale pour augmenter le pouvoir d’achat. Parce que, oui, où pensez-vous que la plupart des magasins sont restés fermés ? L’aperçu que nous avons fait de la situation sur le terrain a été lu et partagé avec enthousiasme au sud de la frontière linguistique, tandis que la version néerlandaise n’a intéressé personne, malgré des piquets de grève dans les magasins et les sièges flamands. Comme quoi…
Dénonciation
Aller à l’encontre des conseils de tous les experts en marketing et s’en sortir avec les honneurs : mission plus qu’accomplie pour Delhaize, grâce à ces P’tits Lions. Un aveu de faiblesse, nuisible à la réputation, contraire à l’ADN de la marque, vous connaissez les objections. Mais les consommateurs aiment ces produits de base bon marché, et c’est tout ce qui importe. Le court terme prime, il sera toujours temps de réparer les (éventuels) dommages causés à la marque plus tard. Non pas que Delhaize regagne déjà des parts de marché, mais le déclin s’est arrêté. C’est déjà ça.
Même chose chez Albert Heijn, qui marque des points avec ses « Prijsfavorieten » (prix préférés) qui, soit dit en passant, ont inspiré les P’tits Lions… Pourquoi réinventer la roue, n’est-ce pas ? Les chaînes du Benelux ont ainsi bien contribué aux résultats trimestriels néanmoins solides d’Ahold Delhaize. Même si les marges sont sous pression en Europe, il y a encore des marges. Le PDG, Frans Muller, n’a cependant pas pu s’empêcher de pointer du doigt les fournisseurs de marques : « Je m’attendais à plus de coopération », a-t-il déclaré. « Ils continuent d’insister sur des marges bénéficiaires allant jusqu’à 15 %. »
Décomposition
Un coup de semonce bien ciblé de la part du PDG, qui tombe à point nommé dans le contexte des négociations qui s’intensifient. En effet, la guerre est déjà déclarée entre les détaillants alimentaires et les fabricants. La semaine dernière, nous avions reçu un communiqué de presse de l’AIM, l’association des fabricants de marques. Un communiqué accompagné d’une pièce jointe de pas moins de 10 pages, qui plus est. Comme si nous n’avions rien de mieux à faire. La question d’actualité brûlante ? Les alliances de distribution.
Vous vous en souvenez peut-être : une analyse assez approfondie de l’INSEAD avait montré il y a quelques mois que les tactiques de négociation controversées d’AgeCore avaient effectivement entraîné une baisse des prix à la consommation. Des affirmations que les fournisseurs ne pouvaient évidemment pas laisser passer : ils ont donc fait examiner l’étude par un cabinet de conseil économique qui, au moyen d’une longue liste d’objections et de commentaires techniques, a sans surprise balayé les conclusions. AgeCore et les autres ne sont pas des organisations d’achat mais des portiers corrompus qui ne vous laissent entrer dans le club que si vous leur donnez suffisamment de pots-de-vin, et ceux qui ne paient pas en subissent les conséquences. Voilà qui résume la critique.
Bonne chance
L’AIM a sans aucun doute reçu une facture salée pour ce constat, et on est en droit de se demander si cet investissement n’était pas un simple gaspillage d’argent ; même si les fabricants de marques, avec leurs grosses marges, peuvent bien sûr se permettre de payer grassement ces consultants onéreux. Car qui veulent-ils réellement convaincre ? Certainement pas les détaillants : après tout, nous avons affaire à l’exemple type d’un dialogue de sourds. Pas non plus les consommateurs. Non, la cible de leur message, c’est la Commission européenne.
En effet, les fabricants espèrent convaincre les membres de la Commission d’être plus stricts à l’égard des détaillants qui se livreraient à ce qu’ils qualifient de pratiques d’extorsion lors de la révision des « Lignes directrices sur les accords de coopération horizontale ». Bref… Bonne chance. Essayez de gagner cette guerre de perception, en tant que corporate cotée en bourse. Tout d’abord, ces eurocrates ne comprennent rien à la dynamique complexe entre les détaillants et les marques. Qui plus est, ils préfèrent se rallier de manière quelque peu populiste aux détaillants, qui sont finalement le « syndicat des consommateurs », plutôt que de défendre ces riches multinationales. Vous feriez pareil, n’est-ce pas ?
Une savoureuse histoire
Comme me l’ont confié plusieurs interlocuteurs officieusement la semaine dernière, voilà qui n’améliore pas l’ambiance. D’un côté, le discours teinté d’arrogance du : « si ces détaillants pathétiques ont tant de mal à gagner de l’argent, pourquoi ne cherchent-ils pas un autre emploi ? » De l’autre côté, en revanche : « si ces riches fabricants puants pensent que nous allons les laisser s’en tirer avec leurs augmentations de prix irresponsables, ils se mettent le doigt dans l’œil. »
Pour résumer : ces directives ne vont pas changer pour l’instant et l’ogre Gianluigi Ferrari peut tranquillement s’adonner à ses pratiques controversées chez Epic Partners pour le moment. On peut donc s’attendre à retrouver des rayons vides dans les mois à venir, en effet. Une moins bonne nouvelle peut-être pour les responsables de comptes clés, mais de l’or en barre pour les journalistes de la distribution qui ne refusent pas une savoureuse histoire de temps en temps. Vous non plus, pas vrai ? À la semaine prochaine !