Beaucoup se trompent d’ennemis dans la lutte contre la flambée inflationniste – et les chaînes de supermarchés peut-être encore plus que les autres. Les marques de distributeur sont-elles les têtes nucléaires du food-retail ? On pourrait commencer à le croire. Filet Pur a en tout cas mené l’enquête !
Réalité
Si le gouvernement ne sauve pas notre pouvoir d’achat et nos employeurs veulent faire l’impasse sur l’indexation des salaires, devons-nous attendre le salut des supermarchés ? Commençons par mettre les points sur les i : en 2020, année de la pandémie, l’alimentation représentait presque 16% du budget des ménages. Pas plus : les chiffres viennent de Statbel. La part de l’alimentation était certes en hausse par rapport aux années précédentes, mais principalement en raison des confinements… Il est donc possible qu’elle ait légèrement baissé dans l’intervalle. Pourtant, chacun voit dans le supermarché une bouée de sauvetage pour sortir de la crise énergétique.
Si l’on en croit les nombreuses comparaisons de prix sans queue ni tête publiées dans les journaux populaires, les ménages pourraient économiser « plusieurs dizaines d’euros » par caddie en ne faisant désormais leurs courses qu’en France, en étant attentifs aux promotions et en achetant des marques de premier prix de qualité inférieure. Promouvoir des comportements indésirables, cela devient un peu la marque de fabrique de ces médias. Et ces comparaisons se fondent invariablement sur l’hypothèse qu’aujourd’hui, vous n’achetez les marques les plus chères chez Delhaize ou Carrefour que lorsqu’elles ne sont pas en promotion. Il faut donc dire les choses : on est ici à mille lieues de la réalité.
Colère
Pourtant, nos supermarchés en subissent les conséquences. Flattés par autant d’attention, ils sont trop heureux de se projeter une nouvelle fois en grands défenseurs de votre (et de mon) pouvoir d’achat. C’est notamment ce que fait Colruyt depuis cette semaine avec une nouvelle publicité d’une sérénité frappante dans la presse écrite, qui explique comment des réductions de coûts permettent de baisser des prix. Plusieurs collègues et néanmoins concurrents se sentent cependant obligés de dénoncer les vrais coupables : les grands méchants fabricants de produits de marques, qui mettent notre prospérité en péril avec leurs augmentations de prix insolentes. Il faut que cela cesse, bien sûr : soit on jette résolument ces tricheurs hors des rayons, soit on les cloue au pilori sur la place publique. Ou les deux, tant qu’on y est.
Les clouer au pilori, c’est en réalité ce que vont faire Carrefour et Lidl pendant tout le mois. Chacun à sa manière, bien sûr. Laissez le leader du marché organiser ses festivals de marques, oubliez la Journée mondiale du végétarisme et la Semaine du commerce équitable : octobre sera le mois des marques de distributeur ou ne sera pas. Et ils ne lésinent pas…
Témoins privilégiés
Carrefour a ainsi fait réaliser une série de témoignages vidéo dans lesquels des profils de consommateurs sélectionnés avec soin (une famille avec enfants, un jeune couple de starters, une personne isolée) relèvent le défi de tester les produits Carrefour pendant un mois. Sans surprise, ces cobayes sont arrivés spontanément à la même conclusion : les marques de distributeur, c’est absolument génial ! Plus encore : « Je ne pense pas que mes marques familières se retrouveront encore un jour dans mon caddie », déclare une Martine enthousiaste. Beau message à l’égard des fournisseurs de marque A.
Même opération coup de poing en faveur des marques de distributeur chez Lidl : Pour moins de 15 euros, vous pouvez y acheter neuf détergents de différentes marques Lidl comme W5 ou Floralys. Vous êtes encore assez idiot pour préférer une marque A ? Pour la même somme, vous rentrerez chez vous avec un maigre paquet de Finish vendu à un prix prohibitif. Que cela vous serve de leçon. D’autres messages du même acabit suivront dans les semaines à venir, promet le discounter. Vous êtes prévenus. C’est peut-être une consolation pour Reckitt Benckiser : ils ne seront pas les seules victimes.
Balle dans le pied
Et ça marche : ces produits se vendent comme des petits pains. Au point que sur divers médias sociaux, des clients signalent que plusieurs produits de ces marques de distributeurs écoulés à prix défiant toute concurrence sont tout simplement en rupture de stock dans les magasins. Ouf. Victimes de leur propre succès ? Accrochages avec les fournisseurs ? Ou pénurie délibérée pour préserver les marges ?
Car il faut rappeler que même si ces marques de distributeurs peuvent parfois (pas toujours) générer des marges plus élevées en pourcentage, il en va autrement en chiffres absolus. Parce qu’elles sont beaucoup moins chères, évidemment. En gros, les food-retailers pourraient donc bien se tirer une balle dans le pied avec ces campagnes anti-marques… Qui le dira ? Pas les supermarchés concernés en tout cas : « Nous voulons simplement aider nos clients », peut-on lire dans leur réponse poignante. D’accord.
Cracher dans la soupe
En réalité, Lidl n’a pas vraiment besoin de ces marques, donc ça va… Elles ne sont que la cerise sur la tarte à la crème chantilly Deluxe (promo dépliant : à peine 5,49 euros cette semaine, profitez-en). Mais Carrefour ? Ces budgets blitz, contributions aux dépliants et autres marges arrière pourraient leur être utiles, penseriez-vous. Apparemment non. Ce ne serait pas un peu cracher dans la soupe ?
Nous pourrions en tout cas suggérer qu’il serait sans doute plus intelligent de cesser de se rejeter la faute de la crise et de collaborer. Mais là encore : qui sommes-nous pour affirmer une telle chose ? Pour vous inspirer, venez quand même écouter les nombreux orateurs passionnants qui agrémenteront notre Trade & Shopper Marketing Congress ce 20 octobre. Car ce n’est par exemple pas toutes les semaines que l’on peut voir des représentants d’Aldi s’exprimer. Et vous aurez même droit à une petite leçon d’augmentation des prix. Utile, non ? À la semaine prochaine !