L’élagage est la nouvelle forme de croissance, la grève est la nouvelle forme de travail, personne n’a le monopole sur les prix rouges et TikTok est le canal de recrutement de choix pour les détaillants alimentaires. Filet Pur fait la lumière sur un monde de produits de grande consommation déroutant. Simple, non ?
Élagage
L’élagage est la nouvelle forme de croissance. Du moins à en croire les annonces de deux des plus grandes multinationales agroalimentaires cette semaine. Danone s’adapte à son budget et réduit sa gamme de produits. Les coûts doivent baisser. Concrètement ? Moins de saveurs, moins de formats, moins de transport, moins de stock. Nous devons nous habituer à l’inflation dans l’Ouest privilégié, a déclaré un PDG. Au risque de paraître vieux jeu, dans mon enfance, nous n’avions que deux parfums de yaourt : nature et fraise. Retour vers le futur ?
Kellogg sort également les cisailles, pour se diviser en trois. Moins de la même chose chez certains, plus de la même chose chez d’autres, donc. Ou vice versa. Deux spin-offs, la division de snacking et la division de produits végétaux, peuvent entrer en bourse de leur propre chef. En ces temps de tempête financière, oui…
Le Framing, une profession à part entière
S’il est vrai que « any publicity is good publicity », une citation attribuée à la fois à l’entrepreneur de cirque Phineas T. Barnum et (bien qu’en français) au général Pierre Choderlos de la Clos, l’auteur de Liaisons Dangereuses, Delhaize n’avait pas de quoi se plaindre la semaine dernière. P’tits Lions par-ci, P’tits Lions par-là, comme si une véritable guerre ne faisait pas rage ailleurs. Même les épisodes de grève chez Makro semblaient insignifiants, à en juger par le nombre de clics sur notre site.
De Tijd, par exemple, a surtout vu dans cette campagne un coup de poignard dans le dos de Colruyt, car au moment où le leader du marché met moins de prix rouges dans ses magasins, Delhaize sort des p’tits lions rouges dans les rayons. Moins de rouge chez certains, plus chez d’autres : il devait y avoir un plan astucieux derrière tout cela, selon le journaliste économique. Tous des gratte-papiers très instruits, mais le fait que le logo de Delhaize soit rouge vif depuis des décennies et que la communication agressive sur les prix soit systématiquement rouge, ce n’était qu’une question secondaire. D’accord. Le framing est aussi un métier. (Nous aurions presque envie de chanter Rouge, mais le bon goût nous arrête juste à temps.)
Copier-coller sans discernement
Un peu plus tard, la toile s’est enflammée lorsque les geeks des chiffres de Daltix ont fait passer l’action au crible de leurs systèmes intelligents. Sur la base d’un petit échantillon de 10 %, ils ont indiqué sur LinkedIn que les réductions de prix étaient quasiment inexistantes, contrairement aux augmentations. Le message a été bien accueilli et partagé avec enthousiasme par l’assemblée des fans de Colruyt, et copié-collé sans discernement par certains médias, mais le ton était un peu trop triomphant pour être sérieux. Surtout quand on sait qui a aujourd’hui les chercheurs de données dans sa poche. Quand on combine l’intelligence artificielle et l’imperfection humaine…
D’autant plus que Test-Achats était arrivé à des conclusions diamétralement opposées le matin même, sur la base d’un autre échantillon du même pool de données. Voilà. Bref, appeler la cible des allégations nous a semblé une bonne idée. Nous avons récolté quelques réponses éclairantes. Par exemple : « C’est comme si Peter Goossens sponsorisait le Guide Michelin. »
L’élan est passé
Soyons clairs : il n’y a pas grand chose qui cloche avec les données Daltix. Ils ont développé des algorithmes assez impressionnants, que nous avons eu l’occasion d’utiliser régulièrement. Le fait que Jef était prêt à mettre la main à la poche est également significatif. Car oui, le lendemain, nous avons reçu un dossier avec une analyse des 380 prix. Certes, pas encore les 500, mais déjà une belle amélioration. Et devinez ? Cela a donné une image un peu plus nuancée. Ce n’est pas que les médias s’en soient rendu compte : quand l’élan est passé, l’élan est passé. Une loi immuable de la communication.
L’élan est-il également passé pour Match et Louis Delhaize ? Cela semblait encore être le cas il y a trois semaines, lorsque le PDG, Jean-Marc Van Cutsem, a démissionné face à l’évidence que son ambitieux plan de transformation serait sérieusement retardé, à tout le moins, « en raison du contexte économique ». Mais, cette semaine, le détaillant a trouvé un successeur et a confirmé avec force son intention de rester en Belgique. Les concurrents qui espéraient une reddition devront être patients. La famille Bouriez a les poches profondes.
Fin de la partie
Le contraste est saisissant avec le consommateur, dont les poches sont vides depuis la réception de sa dernière facture énergétique. Heureusement, le consommateur a aussi un syndicat : le supermarché. Surtout si ce supermarché est membre d’une alliance internationale de détaillants. Les fabricants tremblent à l’idée de négociations sans merci sur le lac de Genève ou les canaux d’Amsterdam, mais les consommateurs ordinaires en sortent gagnants : gagnants de 12 %, plus exactement. Solidement démontré par une enquête remarquable de mon cher ami Marcel Corstjens. Une lecture intéressante.
Ah, et n’avions-nous pas écrit la semaine dernière qu’il y a trop de supermarchés ? Ce problème sera bientôt résolu. Les détaillants alimentaires seront contraints de fermer boutique simplement parce qu’ils ne peuvent plus trouver d’employés pour approvisionner les rayons et faire fonctionner les caisses. Plus de 2000 postes vacants sont encore à pourvoir. Par conséquent, ceux qui sont encore prêts à travailler dans des conditions presque inhumaines restent chez eux, épuisés. La grève est la nouvelle forme de travail. Fin de la partie.
Une petite danse
Un avenir radieux se dessine donc pour le magasin sans personnel. Quoique. Pourquoi ces supermarchés ne trouvent-ils pas d’employés ? Parce qu’ils ne sont pas sur TikTok, tout simplement. Sauf Carrefour. Du moins en France. Cela semble aider. Nous attendons donc impatiemment la première danse de François-Melchior de Polignac. En attendant, je mets au frais un carton de rosé pour plus tard. Pas vous ? À la semaine prochaine !