« Le retailer d’aujourd’hui doit se concentrer sur trois questions essentielles : l’utilisation intelligente de l’omnichannel, l’expérience client et la relation client. Mais le marché bouge tellement vite, les nouveautés se succèdent à un tel rythme que c’est quasi mission impossible » répond Jorg Snoeck, fondateur et CEO de Retail Detail quand nous l’interrogeons sur la raison d’être de ‘The Loop’.
Le 23 avril, The Loop, le centre d’expérience du retail, prendra solennellement ses quartiers dans The Retail House, au cœur d’Anvers. En tant que ‘retail experience center’, il tend une main secourable aux retailers, fabricants et fournisseurs en leur apprenant comment aborder au mieux un secteur qui change radicalement de visage.
The Loop propose une nouvelle version de sa ‘customer journey’ où tous les aspects sont abordés. Il s’agit d’aider les acteurs du retail et du FMCG à imaginer de nouvelles approches pour suivre le nouveau consommateur au plus près, le séduire et… le mener à la caisse !
The Loop se met dans les pas du client, sans se préoccuper de la chaîne de valeur du distributeur. Pourquoi ce choix assez inhabituel ?
Jorg Snoeck : « Si nous avons délibérément choisi de suivre le trajet décisionnel du client – la ‘customer journey’ – c’est qu’il reflète parfaitement les rapports de force actuels. Aujourd’hui, le client en sait parfois plus long que le commerçant lui-même. Au moment d’entrer dans le magasin, il a déjà effectué tout un parcours : il est parfaitement informé parce qu’il a fait des recherches, s’est enquis des prix et a évalué les différents retailers. En d’autres termes, c’est le processus d’achat qui guide l’opération, pas le vendeur du magasin. Partir du fabricant ou du commerçant aurait donné une image tronquée et trompeuse de la réalité d’aujourd’hui. Notre choix est également dicté par la philosophie omnichannel : une entreprise performante part systématiquement du client. Partir des différents canaux ou des maillons de la chaîne de valeur est une grave erreur. »
Pourquoi est-ce une erreur ? Le retailer dispose pourtant de différents canaux ?
Jorg Snoeck : « Non seulement les canaux sont de plus en plus étroitement liés les uns aux autres mais ils s’appauvrissent à un rythme effréné. Lorsqu’une chaîne propose sur son webshop les produits qu’elle a en stock et que, dans le même temps, elle offre au client de commander sur son webshop via des bornes internet disponibles dans le magasin même, peut-on encore dire qu’il s’agit de deux canaux distincts ?
Et ce n’est pas tout : les marques ouvrent elles-mêmes de plus en plus de flagshipstores, devenant à leur tour retailers. Sans compter que la différence entre retailers et distributeurs tend elle aussi à s’estomper quand on voit les ‘distributeurs de marques’ vendre leurs propres MDD au dépend parfois des marques A. Il est donc logique de partir du consommateur. Le reste n’est qu’affaire de marketing et de techniques pour amener le produit au consommateur final. Le secteur du retail n’est pas seulement changeant, on assiste tout simplement à l’émergence d’un nouveau marché. »
Qu’entendez-vous par ‘l’émergence d’un nouveau marché’ ?
Jorg Snoeck : « Une toute nouvelle forme de commerce est en train de naître. Le classique intermédiaire est court-circuité et c’est le consommateur qui va reprendre son rôle. Prenons l’exemple des chaînes d’e-commerce chinoises Alibaba et Weibo où l’on assiste à une explosion du nombre d’offres C2C : des Chinois achètent massivement des produits à Hongkong et en Europe à des prix inférieurs à ceux pratiqués sur le marché chinois lui-même. C’est ainsi que de nombreux produits de luxe sont moins chers hors de Chine que sur le territoire chinois.
Si l’on en croit les statistiques du bureau de consultance Bain, 60% des acheteurs de produits de luxe sur internet ont déjà traité avec des commerçants non professionnels qui, soit dit en passant, réalisent de plantureux bénéfices grâce à leur petit commerce illicite. Entre 2008 et 2012, le marché aurait été multiplié par 19 pour atteindre aujourd’hui 19 milliards de dollars.
Bien entendu, l’inverse est également vrai : on trouve des produits chinois sur des plateformes comme Alibaba et eBay. On y vend de tout, directement au consommateur voire même à des grossistes, à des prix largement inférieurs à ceux pratiqués par le retail sur les marchés occidentaux. On peut évidemment s’interroger sur la qualité : les produits qui pénètrent sur le territoire de l’Union Européenne sont soumis, à leur entrée, à des contrôles très stricts mais il manque de contrôles sur le marché lui-même.
Les gens recherchent eux-mêmes le produit le moins cher et passent sans vergogne par-dessus le retailer s’ils ont l’opportunité de le faire. Et l’e-commerce leur offre de plus en plus ce genre d’opportunité. Je songe notamment au succès des achats groupés : on a commencé avec l’énergie mais personne n’a encore imaginé ce que cela pourrait donner avec un container de Coca-Cola… ! »
Vous prétendez que pour les marques aussi le marché a radicalement changé ?
Jorg Snoeck : « Absolument. Les marques voient leur histoire s’écrouler. Jusqu’il y a peu, c’est en effet via le retailer que les marques A pouvaient démontrer leur plus-value. Autrefois, les marques étaient les seules à s’occuper du marketing de leurs produits. Ce sont elles qui amenaient les consommateurs, une fois qu’ils avaient franchi les portes du magasin, à choisir leurs produits et non ceux de leurs concurrents.
Mais à l’heure actuelle, les retailers doivent également prouver leur valeur en se comportant eux-mêmes comme des marques, ce qu’ils font avec succès d’ailleurs. Aujourd’hui, les MDD représentent pas loin de 50% du chiffre d’affaires des chaînes de supermarchés. Celles-ci vendent sous leur propre nom à des prix tout juste inférieurs à ceux des grandes marques nationales.
Comme le prophétisait il y a déjà deux ans le professeur Kapferer de HEC Paris, la concurrence se jouera de moins en moins entre les marques elles-mêmes mais à un niveau supérieur. La question ne se pose déjà plus en termes de marques mais en termes de business model sous-jacent. Les retailers décident eux-mêmes de ce qu’ils mettent en rayon et les marques éprouvent de plus en plus de difficultés à y conserver leur place. Car si les retailers réalisent un chiffre d’affaires supérieur ou au moins équivalent avec leurs propres marques – sur lesquelles les marges sont plus importantes – pourquoi iraient-ils concéder de coûteux m² aux marques A ? »
Comment les marques pourraient-elles alors se garantir une place dans les rayons ?
Jorg Snoeck : « Ce qu’elles ne devront pas faire, c’est d’essayer de rivaliser sur les prix parce que le combat est perdu d’avance. Les chaînes de distribution ont réussi à gagner la confiance du consommateur. Comme le dit l’expert britannique Rodney Fitch : les gens ont davantage confiance dans les retailers que dans n’importe quel autre organisme parce qu’ils semblent être les seuls à être systématiquement de leur côté. C’est la crise ? Les prix chutent. Un rayon de soleil ? Les assortiments pour barbecue sont aussitôt disponibles en rayon.
Cette grande confiance dont ils jouissent permet aux retailers de devenir, eux aussi, de véritables marques. H&M est un très bel exemple du changement de la donne : aujourd’hui, pour quasiment chaque groupe cible et chaque segment, la chaîne de mode propose une marque et une formule de magasin spécifiques : COS, Monki, Weekday, Cheap Monday ou encore & Other Stories. Les retailers sont tout simplement devenus des marques.
Marques et chaînes seront intégrées, le plus souvent sous une seule grande marque qui abritera une multitude de ‘sous-marques’. Les magasins multimarques risquent, eux aussi, d’éprouver de sérieuses difficultés. Dans le modèle comparatif qui se profile, ils ne possèdent ni la puissance ni les moyens des grandes chaînes intégrées pour leur résister. Situés au bout de la chaîne d’approvisionnement, il leur est beaucoup plus difficile de mettre en place une stratégie omnichannel complètement intégrée.
Je pense tout simplement que, à l’image des retailers, les marques vont devoir s’attirer la confiance des consommateurs. Elles y sont d’ailleurs occupées : les plus grandes lancent des communautés online et ouvrent leurs propres webshops et flagshipstores dans le seul but d’être au contact direct du consommateur. Elles posent les premiers jalons de ce que le professeur Kapferer appelle les ‘love brands’ : certaines marques sont arrivées à créer un lien tellement émotionnel et affectif avec leurs clients que ceux-ci sont prêts à payer plus sans broncher. Coca-Cola, Apple et la ‘boîte bleue’ de Nivea sont trois exemples parmi les plus frappants. Et on peut penser, qu’à l’avenir, les MDD pourront elles aussi devenir des ‘love brands’. »
Dans ce contexte, quel est l’apport de The Loop ?
Jorg Snoeck : « The Loop fait le tour de toutes les opportunités qui s’offrent aujourd’hui – et s’offriront demain – à un secteur du retail évoluant à toute vitesse. Il ne s’agit pas d’exposer les technologies les plus récentes. Notre objectif est d’expliquer de manière très concrète et très complète ce que sont les tendances actuelles et les évolutions à attendre. The Loop s’intéresse donc aux gens, à ‘l’expérience verte’, à l’intégration des canaux ou encore à la manière d’attacher le consommateur à une marque.
The Loop est un lieu de rencontre privilégié où les retailers découvrent de nouveaux produits, services, concepts et idées. Il n’existe pas de solution universelle. Aussi, associés à des trendwatchers et à des spécialistes en technologie du monde entier, sélectionnons-nous en permanence des solutions technologiques parmi les plus étonnantes et les plus intelligentes. En outre, nous relevons chaque mois les ‘best practices’ qui intéressent directement le monde du retail.
Avec The Loop, nous souhaitons offrir un outil qui permette à tous les acteurs du secteur de réfléchir ensemble à la meilleure manière d’aborder les défis qui les attendent. Notre mission ? Rendre les marques et les retailers toujours plus efficaces et plus performants. »