Rien n’est ce qu’il paraît, pas même ces rayons vides. C’est vrai, 2020 a été l’année de l’accumulation des stocks. Mais aussi de la cuisson du pain. Tout revient. Faut-il craindre une crise alimentaire ? Filet Pur ne confirme ni ne dément.
La crise des frites
“Panic on the streets of London, panic on the streets of Birmingham. I wonder to myself: could life ever be sane again?” Cette superbe chanson de The Smiths résume admirablement la semaine écoulée. Dire que l’on est inquiet est un euphémisme : la détresse règne sur tous les fronts. La peur envahit la planète. Les conséquences sont visibles dans mon agenda : les entretiens sont annulés « compte tenu du contexte actuel ». Bon, d’accord.
Les managers enchaînent les réunions de crise. Bonne chance ! Et je me dis : l’énergie devient inabordable, les stocks s’épuisent, les prix s’envolent, les horticulteurs sont proches du désespoir, les pêcheurs ne sortent plus en mer, les usines font des économies, les magasins franchisés font faillite, les détaillants alimentaires ne font plus flèche de tout bois et pour couronner le tout, nous n’aurons plus de frites.
Oiseau de mauvais augure
Votre serviteur a été autorisé à venir brosser ce sombre tableau à la télévision d’État – probablement parce que personne d’autre ne voulait jouer le rôle ingrat de cet oiseau de mauvais augure. Et tout cela avec l’argent de vos impôts ! Toutes mes excuses, mais impossible d’en faire « La croisière s’amuse ». Plutôt une suite à Psychose …
En effet, nous nous dirigeons inévitablement vers une crise alimentaire mondiale. Ne vous faites pas d’illusions : elle aurait frappé même sans la guerre en Ukraine, elle aurait juste mis un peu plus de temps. Ce sont les aléas de la mondialisation. Nous avons récemment écrit un livre à ce sujet que vous auriez dû lire il y a longtemps. Message à ceux qui espéraient une nouvelle édition des années folles: continuez à rêver. Ce seront malheureusement les années de la transition, douloureuses et incertaines.
Bras de fer, épisode 2
Et, bien sûr, cela inclut la hausse des prix dans les supermarchés. Les fabricants de marques, qui viennent tout juste d’achever péniblement les discussions annuelles sur les conditions pour 2022, reviennent déjà sur leurs pas. Ils en veulent encore, et de préférence tout de suite. Comme s’ils aimaient ça, ce bras de fer annuel avec les acheteurs. En France, c’est déjà officiel : le gouvernement lui-même a lancé un nouveau cycle de négociations. Dans notre pays, le politique ne s’en mêle pas, mais lorsque les détaillants « ne confirment ni ne nient » qu’on en est arrivé là, vous savez à quoi vous en tenir. Non ?
Eh bien, quand ils étaient encore à la table des négociations, l’artillerie russe n’avait pas encore commencé à tirer dans toutes les directions. Cette sale guerre change tout : les fabricants ne peuvent pas continuer à livrer aux tarifs convenus précédemment . Holà ! Ils ne fumeront pas le calumet de la paix. Bientôt à nouveau des rayons vides ? Si ce n’est pas à cause de la rupture de la chaîne d’approvisionnement, ce sera à nouveau à cause d’un boycott. Formidable !
Blanc de bœuf, le retour
Ou plutôt Le hamster, la suite. Parce que les consommateurs sont des sacs de farine sans jugeotte. Quelqu’un a-t-il essayé de mettre la main sur une bouteille d’huile de friture récemment ? Je crains que l’on ne doive se contenter de pommes de terre rissolées ou de purée : le rayon est vide. À moins, bien sûr, que vous n’ayez aucune objection à ce blanc de bœuf dangereusement malsain, désespérément démodé mais inaltéré. Une autre denrée prend la poudre d’escampette : la farine. Les gens recommencent à faire leur pain en masse, comme ils l’ont appris lors du premier confinement il y a exactement deux ans. Et vous voyez : ça tombe à pic, qui l’eût cru ?
Ensuite, en tant que journaliste consciencieux, vous passez des coups de fil pour prendre le pouls, comme il se doit. Ce n’est pas que vous leur rendiez service, aux porte-parole des chaînes de supermarchés – aussi aimables et professionnels soient-ils, vraiment. Vous deviniez leurs pensées : « Ce n’est pas vrai quand même ? Qu’allons-nous répondre cette fois ? On est repartis pour un tour. » Mais pas la peine de « confirmer ni de nier » : les rayons sont effectivement vides. Nier que c’est un comportement de hamster, cela pourrait encore passer . Ou pas ? Qui peut le dire ?
Une blonde forte
D’ailleurs, en ce qui concerne ces prix, certains détaillants alimentaires résistent encore obstinément. Colruyt , le leader du marché dans la tourmente, et Albert Heijn, le challenger courageux, ne bougent pas d’un pouce et limitent les augmentations de prix au strict minimum. Ils ont tous deux les poches assez profondes, de sorte que cette petite guerre à côté de la vraie guerre pourrait durer un certain temps, même si elle pèsera lourdement sur les marges. Par contre, le marché boursier pense déjà savoir qui va gagner. Pas vous ? Il est également clair que le fossé avec les autres ne fait que se creuser. C’est bien simple, ils ne peuvent pas suivre.
Bref : misère de misère… Heureusement, Halle est là pour que nous partions en week-end avec le sourire, en nous annonçant la bonne nouvelle que l’emblématique Cara est désormais également disponible en blonde forte et en bière fruitée forte. La première m’intéresse un peu plus que la seconde, mais bon. C’est bien vu, car s’il y a bien une catégorie qui est sortie victorieuse de la crise, c’est la bière, comme en témoigne AB InBev. Et s’il est bien une catégorie qui sortira victorieuse de la prochaine crise, c’est celle des marques maison. Ou comment faire d’une pierre deux coups. Eh oui, c’est comme ça que ça marche : avant même de s’en rendre compte, le modeste chroniqueur de Filet Pur est lui-même un clickbait sur HLN. Santé ! Et à la semaine prochaine !