Il y a deux ans, l’Europe se confinait. Magasins, restaurants… toute la vie publique s’arrêtait brusquement. Des scénarios apocalyptiques annonçaient la mort des magasins physiques, des indépendants et des villes. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La nouvelle normalité en cinq tendances
Qu’avons-nous appris de deux ans de pandémie ? Que le retail est plus agile que ce que le secteur craignait. Et qu’en deux ans, il a moins changé qu’on aurait pu le penser. Une analyse de ces deux dernières années permet de dégager cinq grandes tendances et évolutions majeures.
1) Accélération numérique
C’était une conséquence inévitable des confinements, et il est apparu très vite que l’e-commerce serait le grand gagnant de la pandémie. Les ventes en ligne ont enregistré une croissance plus rapide au cours des huit semaines du premier confinement que pendant les dix années précédentes, a calculé le professeur Scott Galloway à New York. Au Benelux aussi, la croissance a été sans précédent : même ceux qui étaient complètement absents du Web auparavant ont franchi le pas. Des consommateurs plus âgés aux restaurants en passant par les boutiques locales.
Bien qu’il n’ait pas été immédiatement visible dans les chiffres en raison de la disparition de l’importante économie de services pendant la pandémie (billets, voyages, etc.), l’impact est énorme et durable. Aujourd’hui, presque tous les membres d’Unizo sont actifs en ligne et environ 50% des achats de mode et d’électronique se font sur le Web. Même à présent que les consommateurs peuvent à nouveau faire des achats physiques sans la moindre contrainte, une grande partie du marché s’est définitivement déplacée.
2) Livraisons
Les rues ont de nouveaux maîtres. Pendant des mois, ils ont même été les seuls à régner sur des villes désertes, et aujourd’hui encore, ils font partie intégrante de notre paysage urbain. Il s’agit bien sûr des coursiers à vélo et en cyclomoteurs qui sillonnent les villes.
Dans l’alimentation, la livraison à domicile est la grande avancée de ces deux dernières années. Que ce soit dans les supermarchés ou dans l’horeca, la livraison d’alimentation s’est immiscée dans nos vies. La concurrence est féroce et les nouveaux acteurs se disputent les parts d’estomacs et de marché.
Mais cela n’enlève rien au fait que les gens ont de nouveau envie de manger à l’extérieur et que les repas « on-the-go » sont de retour. Malgré les confinements et autres épreuves, de nouveaux concepts d’horeca et de street food poussent comme des champignons. D’ailleurs, qui a dit que les centres-villes seraient désertés ? Jumbo a même ouvert un Jumbo City sur le Meir d’Anvers tout spécialement pour les navetteurs et amateurs de shopping affamés… mais aussi les livreurs express de Gorillas, qui peuvent utiliser les magasins comme entrepôts.
3) Pas d’apocalypse dans le retail
La vague de faillites tant redoutée ne s’est pas produite. En fait, le nombre de faillites est jusqu’à présent resté remarquablement bas et les taux d’inoccupation n’ont rien de catastrophique. Plus encore : pour la première fois en 14 ans, le taux d’inoccupation des cellules commerciales a diminué en Belgique. Et ce, tant en nombre de cellules qu’en mètres carrés de surface commerciale. L’an dernier, la superficie commerciale inoccupée a baissé de plus de 100 000 m².
Dans le même temps, les loyers ont enfin diminué, ce qui est une bonne nouvelle pour les ouvertures de nouveaux magasins. Les centres-villes redeviennent accessibles aux starters, alors que de nombreux retailers qui avaient été contraints de se déplacer vers la périphérie peuvent à nouveau s’offrir des emplacements de premier ordre.
Les mesures publiques ont donc produit leurs effets. On se gardera cependant de toute conclusion hâtive, surtout avec la disparition des aides d’État et la guerre en Ukraine qui provoque de nouveaux troubles et des problèmes d’approvisionnement. Les mesures de soutien peuvent aussi avoir maintenu artificiellement en vie certaines entreprises. Ces zombies sont susceptibles de tomber rapidement.
4) Fragilité mondiale
Si la pandémie – et ses effets actuels – a démontré une chose, c’est la vulnérabilité du système mondialisé. La chaîne d’approvisionnement jadis si bien huilée subit depuis deux ans de violents mouvements de balancier : ce qui a commencé par des pénuries de papier toilette ne risque pas de s’arrêter avec des prix de l’énergie si élevés que les pêcheurs ne sortent plus en mer.
Nous n’avons pas fini d’entendre parler du coronavirus. À l’heure où nous écrivons ces lignes, Shenzen, Mecque de la technologie en Chine et berceau de Tencent, la société mère de WeChat, et Foxconn, le fournisseur d’Apple, est de nouveau en état d’urgence à cause d’un variant omicron décidément bien tenace. Mais nous sommes déjà au cœur d’une autre crise. La guerre en Ukraine ne fait pas seulement plonger les marchés boursiers : selon de nombreux observateurs, elle pourrait également nous plonger dans une crise alimentaire mondiale.
Flexibilité et agilité sont les nouvelles formules magiques de la gestion de la chaîne d’approvisionnement et de la logistique, car comment planifier l’imprévisible ? L’efficacité littéralement sans frontière et le « lean & mean » font place à un monde d’incertitudes où tampons, back-up et « near-shoring » (ramener la production plus près de chez soi) font augmenter les coûts et remplissent les entrepôts.
5) Le prix est imbattable
Retour deux ans en arrière. Aviez-vous vous aussi commencé à faire votre pain ? Alliez-vous vous aussi acheter des fruits et légumes frais à la boutique de la ferme ? Ces fruits ont-ils fini dans des smoothies destinés à renforcer vos défenses immunitaires, parce que prendre soin de soi est toujours le plus important ? Et aujourd’hui, combien de pains cuits, combien de légumes bio achetés ? Beaucoup moins, si vous interrogez les vendeurs en circuit court et les magasins bio.
La pandémie nous avait appris combien il est amusant de cuisiner, combien il est important de bien se nourrir. Ça a semblé être le cas pendant un moment. Malheureusement, la croissance promise à l’alimentation bio et durable ne s’est pas concrétisée. Non seulement les consommateurs sont à nouveau emportés par leurs activités quotidiennes, mais une grande incertitude se combine à une inflation galopante et une confiance des consommateurs en berne. Le prix on fait leur retour au premier plan, les autres critères passent après.
Qui en profite ? Exact, les (hard-)discounters et autres magasins à prix cassés. Bien que la voie médiane ait de plus en plus de succès : Lidl qui promet d’être ABLE (durable – dur) et Delhaize qui associe des réductions à des produits sains ne sont que quelques exemples. Ils montrent qu’une « nouvelle normalité » s’est également imposée dans ce domaine.