Le ton se durcit dans les discussions avec les food-retailers : les producteurs ne semblent pas craindre les déréférencements et s’expriment ouvertement dans les médias. Du jamais vu. Le rapport de force a-t-il évolué ? À quoi peut-on s’attendre à terme ?
Guerre des perceptions
On le sait : les relations commerciales entre les supermarchés et leurs fournisseurs sont actuellement très tendues partout en Europe. Les producteurs veulent répercuter la hausse des coûts des matières premières, de l’énergie et du transport, mais se heurtent souvent au refus des chaînes de supermarchés. Lesquels soupçonnent leurs partenaires commerciaux de profiter de la situation pour gonfler leurs marges.
Dans un secteur aussi concurrentiel, les food-retailers sont forcément réticents à augmenter les prix de vente, mais ils ne veulent pas non plus voir leurs marges, déjà très faibles, s’éroder encore. En outre, c’est une véritable guerre des perceptions qui fait rage : qui est « coupable » de la hausse des prix ? Qui défend le pouvoir d’achat du consommateur ? De nouveaux conflits sont récemment apparus en France et au Royaume-Uni, entre autres.
Que de telles divergences d’opinions conduisent parfois à des déréférencements n’est pas neuf. En revanche : des retailers et des producteurs qui n’hésitent pas à pointer du doigt dans les médias, c’est pour le moins inédit. Le mois dernier, Albert Heijn a ouvertement accusé Nestlé de vouloir augmenter ses prix de plus de 20%. Le groupe suisse a été contraint de publier un communiqué de presse pour démentir formellement cette accusation.
Déclarations tranchantes
En début de semaine, Jan Boone, CEO du biscuitier Lotus Bakeries, s’est également exprimé en des termes qui ne laissent aucune place au doute : « Nous avons besoin de prix plus élevés pour préserver nos marges bénéficiaires et investir. Si un client ne veut pas l’accepter, nous ne libérons aucune capacité de production pour lui. » Pour l’instant, aucun produit du Lotus n’a été retiré des rayons et les discussions sont constructives, a-t-il ajouté.
Pourtant, ces déclarations tranchantes peuvent laisser dubitatif. Ces derniers mois, les producteurs qui ont interrompu leurs livraisons ont été plus nombreux que les boycotts des supermarchés. On pense généralement que l’acheteur est en position de force dans les négociations et qu’en fin de compte, les producteurs n’ont pas d’autre choix que d’accepter des concessions (au moins partielles) s’ils veulent rester sur les rayons. Mais ce n’est pas aussi simple que cela.
Positions dominantes
L’une des explications est la vague de consolidation de ces dernières décennies : les fusions et acquisitions ont considérablement réduit le nombre de fournisseurs de produits de marques, et les gammes ont été rationalisées. En définitive, les supermarchés négocient avec un nombre relativement restreint de très grandes multinationales – parfois beaucoup plus grandes que les enseignes de supermarchés elles-mêmes – dont les marques fortes occupent des positions dominantes dans des catégories cruciales.
Pouvez-vous imaginer un rayon chocolat sans Mondelez, un rayon biscuits sans LU et Lotus Bakeries, un rayon snacks sans Lay’s ou un rayon boissons sans Coca-Cola ? Difficile de leur barrer l’entrée des supermarchés. Pourtant, le récent conflit entre Colruyt et Nutella montre qu’aucune marque n’est à l’abri.
Moins d’options
On assiste également à une consolidation des fournisseurs de produits de marques de distributeur, qui sont également confrontés à une hausse des coûts. Ces négociations sont tout aussi difficiles que celles menées avec les fournisseurs de produits de marque, et là aussi, nous entendons parler d’interruptions temporaires des livraisons.
Un retailer qui cherche un autre fournisseur pour une gamme de produits spécifique n’a pas le choix entre des dizaines de candidats. En changeant de fournisseur, il prend également de gros risques : la continuité de l’approvisionnement peut être mise en péril. « En fin de compte, les acheteurs ont beaucoup moins d’options qu’ils ne le prétendent habituellement », nous explique un consultant en marques de distributeurs. Cela renforce la position des fournisseurs dans les négociations, et ils semblent en être plus conscients que jamais.