Gino Van Ossel, professeur de marketing à la Vlerick Business School, en est convaincu : la situation va se normaliser. La reprise est amorcée, les retailers s’attendent à l’inattendu et prévoient l’imprévisible. Après une année 2021 marquée par l’espoir et la déception, 2022 sera ainsi l’année du réalisme.
Quels sont les principaux enseignements de 2021 ?
« L’année 2021 nous a surtout appris à réfléchir à ce qu’il faudra faire après – ou plutôt avec – la pandémie. Nous avons eu droit à un bref aperçu de liberté retrouvée, mais le quatrième trimestre nous a appris à ne pas nous focaliser sur un monde post-Covid. Au contraire, il s’agit de réfléchir à la manière dont nous pourrons encore vivre avec le Covid pendant un certain temps. Vivre avec le Covid, c’est vivre des périodes d’accélération et de ralentissement.
Ces vagues vont se succéder, mais les retailers ont appris à réagir, à s’adapter et à gérer l’incertitude. Nous avons été confrontés à des pics d’activités, à des absences et à des pénuries de personnel, mais nous nous en sommes sortis et avons appris à faire face. L’horeca en est un très bon exemple : le secteur a vraiment trouvé sa voie avec les repas à emporter et la livraison.
L’année dernière, j’avais affirmé que 2021 serait l’année de la résilience. Les entreprises doivent être agiles, mais aussi flexibles. Nous avons par exemple appris à naviguer entre le magasin physique et la boutique en ligne. En tant que secteur, le retail sait désormais qu’il doit anticiper, intégrer les incertitudes. C’est pourquoi je pense que 2022 sera l’année du réalisme quand 2021 était celle de l’espoir et de la déception. »
L’e-commerce retombe-t-il à des niveaux « normaux » ? Comment va-t-il évoluer en 2022 ?
« Les ventes en ligne n’ont jamais baissé, même durant cet automne prometteur où nous avons à nouveau pu goûter à la liberté. La croissance a ralenti, mais l’e-commerce électronique n’a pas abandonné un pouce du terrain qu’il avait conquis. Même si le Covid n’avait plus d’impact, l’e-commerce ne perdra plus de terrain – tout au plus progressera-t-il plus lentement. La Belgique s’inscrit ainsi dans une tendance qui se manifestait déjà aux Pays-Bas avant la pandémie. En 2019, il a fallu pour la première fois utiliser un arrondi pour pouvoir affirmer que l’e-commerce avait enregistré une croissance à deux chiffres : elle a tout juste atteint 10%. »
Quel sera l’impact de l’inflation ? Nous dirigeons-nous vers des guerres des prix ?
« L’inflation va se résorber dans le courant de l’année. Au second semestre de 2022, je pense que tout sera réglé. Il s’agit d’une réaction temporaire à une énorme accélération de la croissance au cours d’une année faible, mais un nouvel équilibre est en train de s’établir. Certains prix, comme ceux des containers, ne retomberont plus aux niveaux d’avant la crise, mais les extrêmes vont disparaître. Il y aura également moins de retards, donc moins de pénuries et de hausse de prix.
Plus la valeur d’un produit est faible, plus les hausses des prix de transport et des matières premières ont un impact sur son prix de revient. Quelques euros de plus pour un sac à main de marque passent inaperçus, mais les enfants pourront-ils acheter aussi facilement des soldats en plastique sur la plage quand leur prix aura doublé ? Des objets comme les coques pour smartphones verront également leur prix exploser en termes relatifs. C’est dans le discount que l’inflation fera le plus sentir ses effets. »
Cela conduira-t-il à une consommation plus durable ?
« Les consommateurs se sentent responsables de la planète, mais ils ne s’en préoccupent pas en permanence et présentent un comportement assez incohérent. Dans une enquête, par exemple, les participants ont estimé que les produits non durables et les voitures de société devraient être davantage taxés. Et qu’est-ce qui devrait l’être moins ? Les voitures particulières. Cette dualité n’est pas près de se dissiper.
Cependant, les changements intelligents ont recueilli une belle adhésion. La prise de conscience progresse, mais les efforts devront être organisés. Et je constate que la distribution évolue plus vite que les consommateurs : les supermarchés font d’énormes efforts pour réduire les emballages. Si les champignons n’arrivent plus dans des barquettes bleues, ce n’est pas du populisme, mais bien une question de résultats.
On trouve aussi de nouveaux venus comme Pieter Pot, avec ses bocaux en verre rechargeables. Un tel disrupteur n’est pas très important en termes de ventes, mais le fait que des consommateurs s’inscrivent sur des listes d’attente montre leur intérêt. Les autres le voient et vont suivre. Je suis assez optimiste dans ce domaine. »
Pieter Pot propose un nouveau modèle commercial comme nous en avons vu beaucoup d’autres en 2021 : circulaire, occasion, abonnements, locations… Quel sera le poids de ces nouveaux modèles en 2022 ?
« Ils provoquent surtout une fragmentation de la distribution et des comportements d’achat. Prenez les sociétés de livraison express comme Gorillas : je ne pense pas qu’ils représenteront une part importante du marché, mais ils sont là pour rester. C’est la raison pour laquelle elles concluent des partenariats avec des acteurs “traditionnels” comme Tesco et Jumbo. Il en va de même pour les magasins de proximité : malgré leur nombre considérable, les Carrefour Express consorts représentent moins de 5% du marché. Mais ils prennent tous de l’argent aux canaux traditionnels.
L’occasion se limite actuellement à la mode, mais elle exerce une forte pression sur le marché. De la même manière, on voit l’économie de partage se développer sans pour autant devenir un choix dominant. Quand on observe les ventes de vélos électriques, les vélos partagés restent de la petite bière. Mais ils obligent les entreprises à y réfléchir : faut-il y se lancer sur ce marché ? Comment ? Ces questions sont complexes. Nous vivons donc une période excitante.
Foodmaker le démontre également avec ses modèles de coopération. Aux Pays-Bas, la formule lunch s’associe à un groupe de restaurants d’entreprise ; en Belgique, Delhaize exploitera les restaurants classiques. Cela va au-delà du « blurring » : la chaîne de supermarchés devient un acteur de la restauration et pénètre un tout nouveau marché.
De nouveautés vont émerger l’année prochaine, mais ce ne sera pas nécessairement une explosion. Ces deux dernières années ont été une période de réflexion très approfondie. Les faibles tombent, les forts se réinventent. En 2022, les retailers seront plus robustes : ils s’attendent à des chocs, ils sont préparés. En ce sens, 2022 sera plus prévisible. »
Selon vous, comme va s’articuler la reprise du retail ?
« La reprisa a déjà commencé, la consommation est en hausse. L’industrie de la mode est revenue à des niveaux proches de ceux de 2019. La pandémie a provoqué une sorte de catharsis : les faibles ont disparu, les forts ont opéré les assainissements nécessaires et on a réfléchi à la manière de procéder. La pandémie n’est pas terminée, mais son impact s’atténuera à mesure que les consommateurs s’y habitueront.
On revient où on en était resté. Tout ce que nous avons annoncé en 2019 se produit. La “guerre des talents”, par exemple, se prépare depuis des années. Les retailers se tournent vers la technologie, comme avec le premier magasin sans personnel d’Okay. La Belgique possède un grand avantage : en tant que pays relativement petit, nous ne sommes pas les plus attractifs pour les acteurs disruptifs. Cela nous laisse plus de temps pour nous adapter.
La voie de la reprise, c’est avant tout trouver sa propre voie sur son propre marché. Cette voie peut mener n’importe où : JBC a par exemple fait œuvre de pionnier avec un nouveau concept de magasin fondé sur l’expérience et la durabilité, tandis que l’horeca et le foodservice se spécialisent de plus en plus dans les plats à emporter et la livraison. Chez Balls & Glory, la consommation sur place ne représentait déjà que 50% du chiffre d’affaires avant la pandémie. Des acteurs comme Otomat travaillaient déjà avec une cuisine centrale ; les dark kitchens actuelles en sont le prolongement. Les retailers performants sont avant tout performants. J’en suis fermement convaincu : tout va bien se passer. »