La pandémie n’est pas terminée, la véritable crise reste à venir. Comment survivre à la tempête en tant que détaillant ? Les leviers financiers sont cruciaux, selon Deloitte : cash is king, le fonds de roulement est essentiel. Osez vous poser les bonnes questions stratégiques dès maintenant et, bien sûr, y répondre. Il y a urgence : « Winter is coming » …
L’impact réel de la pandémie
« Le Covid-19 a créé une situation économique inédite. Nous avons connu la crise financière de 2008 qui a débouché sur une crise économique, mais celle-ci est bien plus ravageuse. Et espérons que nous ne virons plus jamais une telle situation », déclare Geert Stienen, partenaire chez Deloitte Belgique qui se concentre sur les turnarounds et les restructurations. Et pourtant : nous vivons l’une des plus grandes crises économiques de tous les temps, mais le nombre de faillites est au plus bas. Quel a donc été l’impact de la pandémie, finalement ?
« Ce que l’on constate, c’est que trois facteurs permettent de maintenir les entreprises à flot », déclare Stienen. « Tout d’abord, les aides publiques. Elles étaient nécessaires, sans quoi nous aurions connu une catastrophe économique. Deuxièmement, un paysage bancaire favorable. Le gouvernement a en effet demandé aux banques de se montrer un peu plus indulgentes dans l’octroi des crédits. Et, troisièmement, nous avons vu de entreprises plus petites se recapitaliser pour survivre aux 18 prochains mois. »
Cash is king
Mais la question est : et maintenant ? Les programmes d’aide sont supprimés et la situation va progressivement se normaliser, même si on ignore encore quelle sera l’ampleur de la quatrième vague. Ensuite, les entreprises et les secteurs n’avancent pas à la même vitesse : « Les détaillants alimentaires, par exemple, s’en sont très bien sortis pendant la pandémie et vont maintenant voir leur croissance se stabiliser. D’autres secteurs, comme l’hôtellerie et l’événementiel, ont traversé la pire période de leur histoire et n’ont pas encore redémarré. C’est difficile : on voit des salons avec un taux d’occupation de 60-70%, ou une discothèque comme Versuz à Hasselt qui a rouvert avec une capacité de 2 000 personnes au lieu de 3 000. Leur structure de coûts n’est pas adaptée à cela. » Entre-temps, la vie nocturne est à nouveau largement à l’arrêt.
« Le fait est que les entreprises qui n’étaient pas déjà en difficulté ont englouti une partie de leur fonds de roulement. Cependant, elles ont besoin de cet argent pour se relancer. Tout dépendra donc du flux de trésorerie qu’il leur restera pour financer le redémarrage. Cash is king, c’est désormais la devise. » Les grandes entreprises peuvent très bien prévoir leurs liquidités. Mais ce n’est souvent pas le cas des petites et moyennes entreprises. « Elles devraient cependant être capables de le faire. Et c’est un moteur puissant dans la gestion de l’entreprise », déclare Stienen.
Indicateur crucial
Parce que le total de votre bilan est un indicateur crucial de votre performance. « Quand vous voyez diminuer votre bilan ou vos comptes bancaires, vous savez que vous avez des problèmes : peut-être parce que la qualité de votre offre a baissé, parce que vous ne livrez pas dans les temps, parce que vous fournissez les mauvais produits… Vous le voyez immédiatement dans votre trésorerie et vous savez que quelque chose ne va pas. La gestion de la trésorerie et la prévision des liquidités sont donc extrêmement importantes pour toutes les entreprises. »
C’est souvent là que le bât blesse. De nombreuses entreprises ne savent absolument pas quels clients génèrent une marge positive ou négative. « Parfois, il faut renoncer à des clients. Il faut au moins le voir : mesurer, c’est savoir. Cela vaut aussi bien pour les produits que les clients et les canaux. »
C’est d’autant plus important à la lumière des changements actuels : nous avons fait un saut de cinq ans dans le temps sur le plan de la numérisation. « Il faut donc considérer ses clients traditionnels d’une part, et ses canaux et clients numériques d’autre part. En raison de la numérisation, le nombre de points de vente physiques va probablement diminuer. De nombreux détaillants quittent les emplacements coûteux des grandes villes pour s’installer dans des villes moyennes, car le commerce local gagne du terrain. »
L’intuition ne suffit plus
Il y a des opportunités : le loyer et les salaires grugent le budget. « Le loyer représente généralement 11 % du chiffre d’affaires, en fonction de votre secteur. Les salaires représentent 25 % dans le secteur de l’alimentation et les boissons, 17 % dans la mode et 10 % dans les supermarchés. De nombreuses grandes entreprises ont examiné leurs coûts dès le début de la pandémie ; « never waste a good crisis », comme on dit. Cela libère des liquidités et donne un avantage concurrentiel : une fois sorti de la crise, vous avez le moteur nécessaire pour repasser la cinquième vitesse. »
Beaucoup de petites entreprises ne l’ont pas fait. « C’est ce qui fait la différence. Les petites entreprises se reposent encore souvent sur l’intuition de leur fondateur ou PDG. Mais nous ne faisons pas seulement un saut de cinq à dix ans dans la numérisation, mais aussi dans le temps, de sorte que votre intuition ne suffit pas pour déterminer où vous allez. » Certaines entreprises n’étaient pas préparées à l’essor du e-commerce.
Repenser le business model
Le commerce électronique est également moins rentable, c’est le paradoxe du numérique. « Dans le secteur des produits d’épicerie en particulier, on constate que les modèles commerciaux traditionnels des détaillants ne peuvent pas faire face à cette situation. Les consommateurs veulent une livraison instantanée, mais si on examine la rentabilité par panier par rapport au magasin ou au click&collect… Les détaillants alimentaires doivent repenser leur business model, car ils ne s’en sortiront pas avec le modèle traditionnel. Pensez à Picnic avec son modèle du laitier. Pensez aux abonnements et autres formules. Les détaillants traditionnels ont du mal à s’y retrouver. »
D’autant plus avec des concurrents qui ne doivent pas faire de bénéfices parce qu’ils lèvent beaucoup de capital-risque ou de capital d’amorçage. « Examiner attentivement votre stratégie est donc primordial : où vais-je jouer et comment vais-je gagner ? Vous devez trouver votre sweet spot, trouver où vous serez le meilleur, et comment. Et puis vous concentrez sur la mise en œuvre, qui est encore souvent délaissée. »
Tarification dynamique
Un aspect essentiel est par exemple la tarification. Un format universel ne fonctionne plus. Dans le commerce de détail, presque tout le monde paie le même prix, mais nous constatons aujourd’hui une tendance à la tarification personnalisée. « C’est l’avenir : la tarification dynamique. De nombreuses entreprises le font déjà, mais elles sont encore peu nombreuses en Belgique. Aux États-Unis, Target aligne les prix en ligne sur les prix hors ligne, en fonction de l’emplacement du consommateur lorsqu’il se trouve dans le magasin », explique Agné Vezbergiené, partenaire de Deloitte et responsable du secteur de la vente au détail.
La tarification peut également encourager un comportement d’achat plus durable. Wasteless, par exemple, est une application permettant d’effectuer des démarquages intelligents pour réduire le gaspillage alimentaire sur les produits frais. Marks & Spencer encourage les consommateurs à acheter leur déjeuner plus tôt dans la journée : les sandwichs sont moins chers le matin pour éviter le gaspillage. « Il y a tellement d’applications de la tarification dynamique, c’est réellement la voie à suivre. »
Winter is coming…
Quels détaillants sont les meilleurs élèves aujourd’hui ? « Walmart est l’un des meilleurs exemples au monde. En Belgique, Colruyt est toujours une référence. Le détaillant n’a pas autant pu profiter de la pandémie que ses concurrents, pour des raisons évidentes. Pourtant, il reste un précurseur dans de nombreux domaines : il suffit de penser à son acquisition de Daltix. Cela montre que l’entreprise tient à garder une longueur d’avance en matière de prix. Et elle affiche également des ambitions en matière de santé et de bien-être, avec l’acquisition de la chaîne de fitness Jims, par exemple. »
Peut-on encore être optimiste pour le secteur du commerce de détail, ou doit-on s’attendre à une vague de faillites ? « Pour reprendre Game of Thrones : winter is coming… Je ne parle pas seulement de cet hiver, mais aussi de celui de 2022 et 2023. Les entreprises se retrouvent souvent dans une sorte de paralysie ou d’inertie. Même si vous pensez être solide, vous devez agir maintenant. » Les leviers sont clairs : sécurisez votre position financière en examinant vos coûts, votre trésorerie et votre fonds de roulement. Faites des choix stratégiques pointus. Comprenez et exploitez vos données. Privilégiez l’agilité et la flexibilité : évoluez rapidement, ne cherchez pas la perfection. Commencez petit, puis extrapolez. « Et surtout : agissez maintenant ! La situation ne s’améliorera pas d’elle-même : prenez votre avenir en main. »