La hausse actuelle des prix n’est qu’un début : à terme, de nombreux produits alimentaires pourraient venir à manquer. Le système alimentaire semble enrayé. Quelles pistes se dessinent ? Le nouveau livre The Future of Food explore les possibilités.
Futures pistes
Le secteur alimentaire doit-il changer de recette ? Tout indique que le système alimentaire actuel est en train d’imploser. Une seule planète ne suffit pas à nourrir la population mondiale croissante. Les agriculteurs survivent à peine, les consommateurs voient leur ticket de caisse augmenter et les supermarchés se livrent une guerre des prix sans merci, tandis que de nouveaux modèles commerciaux bouleversent le monde de la distribution.
Un changement de cap s’impose. Mais comment ? Jorg Snoeck et Stefan Van Rompaey de RetailDetail ont conjointement écrit un livre qui explore l’avenir du secteur alimentaire. Ils entraînent le lecteur dans un fascinant voyage de découverte, de l’agriculture urbaine aux fermes marines, des laboratoires de viande in vitro aux conseils alimentaires hyperpersonnalisés basés sur l’intelligence artificielle, et du supermarché hybride aux nouveaux modèles de plateformes numériques.
Lors de la RetailDetail Night, le livre sera officiellement présenté durant un séminaire donné par Casper, Deliveroo, Hopr et Tiqah, entre autres. Cliquez sur ce lien pour réserver vos billets. Nous avons discuté du contexte avec les co-auteurs.
Course à la nourriture
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, les prix des denrées alimentaires mondiales ont atteint un pic inédit depuis dix ans. Mais tandis que les fabricants de grandes marques annoncent de fortes hausses de prix, les prix du porc s’effondrent et de nombreux agriculteurs ont du mal à joindre les deux bouts. Que se passe-t-il ?
Jorg Snoeck : « La chaîne d’approvisionnement alimentaire est extrêmement complexe. À court terme, c’est l’effet ‘coup de fouet’ qui joue, suite à la relance soudaine de l’économie mondiale après le période creuse du coronavirus. Mais, à long terme, les choses ne s’amélioreront pas : en raison de la croissance démographique, la demande de nourriture dépassera l’offre. Il faudra nourrir dix milliards de bouches d’ici à 2050 : pour cela, la production alimentaire doit augmenter de 50 %. L’augmentation des superficies de terres agricoles n’est pas une option, les conséquences de la déforestation sont désastreuses. »
Stefan Van Rompaey : « Ajoutez à cela le fait que les classes moyennes en pleine expansion sur les marchés émergents adoptent notre mode de vie. Cela a un impact énorme sur la demande en produits ayant une empreinte écologique importante : viande, produits laitiers, café, chocolat… Et la production alimentaire représente déjà un tiers des émissions de gaz à effet de serre. »
JS : « Ce n’est pas une coïncidence si la Chine rachète déjà des terres agricoles et des sites de production alimentaire étrangers pour sécuriser son approvisionnement alimentaire. Une course mondiale se profile. Nous n’y échapperons que si nous modifions l’ensemble du système alimentaire, de l’agriculture à la production en passant par la distribution et la consommation. Une remise à zéro s’impose ! »
Voilà un panorama très inquiétant. La solution vient-elle de la technologie de pointe ?
JS : « En partie. Le secteur agricole, par exemple, se convertit en une industrie de pointe et de haute technologie. Les agriculteurs deviennent des gestionnaires et des ingénieurs, les drones et l’intelligence artificielle s’imposent. L’agriculture urbaine, par exemple, permet de mieux utiliser les espaces restreints et de rapprocher la culture du consommateur. C’est plus efficace et plus durable. »
SVR : « De grands producteurs comme Nestlé, PepsiCo, Danone ou Unilever s’engagent désormais dans la promotion de l’agriculture régénératrice. Il s’agit d’une forme d’agriculture qui vise à restaurer le sol plutôt qu’à l’épuiser. Ils réalisent qu’il ne suffit plus de limiter les dégâts : l’objectif doit être la positivité climatique. On ne peut pas faire des affaires sur une planète morte, c’est aussi simple que ça. »
La transition végétale
Mais le consommateur devra lui aussi changer, peut-on lire. Notre mode de consommation actuel semble insoutenable. Les gens vont-ils l’accepter ?
SVR : « Cette évolution est déjà en marche. Les consommateurs optent de plus en plus pour une alimentation plus locale et végétale, avec une empreinte plus faible. La consommation de viande a passé son pic, le flexitarisme devient la norme, les boissons à l’avoine sont à la mode. Les détaillants et les multinationales sont conscients du potentiel et investissent massivement. C’est nécessaire, car la consommation de viande et de produits laitiers va continuer à augmenter pendant un temps sur les marchés émergents.
Mais beaucoup redoutent encore l’idée de devoir s’habituer à de nouveaux ingrédients, tels que les algues, les insectes ou même la viande cultivée dans des bioréacteurs, n’est-ce pas ?
JS : « Ce n’est pourtant pas de la science-fiction. Colruyt Group investit dans les fermes marines. Les algues sont faciles à cultiver dans la mer du Nord, et elles sont durables et saines. C’est un produit avec lequel nous sommes déjà familiarisés, grâce à la popularité des sushis. Les insectes peuvent être transformés en ingrédients, par exemple dans des gâteaux ou des plats. De cette façon, on ne les voit pas. Vous avez déjà testé les barres Kriket ? Elles contiennent des grillons, qui vivent de déchets alimentaires. C’est une société dans laquelle Colruyt participe également, d’ailleurs. »
SVR : « Bien entendu, la viande de laboratoire, c’est une autre histoire. Les premiers restaurants tests sont déjà ouverts, mais il faudra encore quelques années avant qu’ils ne parviennent à porter la production à un niveau abordable. En outre, la législation n’a pas encore été modifiée. Pourtant, l’industrie investit des sommes colossales pour rendre cela possible. Sur le plan technologique, c’est possible… Mais en fin de compte, ça devient une question de marketing. ‘Viande in vitro’, ce n’est décidément pas très appétissant… »
Adieu, « one-stop-shop »
L’obésité est un fléau. L’industrie alimentaire est souvent accusée de nous rendre malades. Mais peut-elle aussi faire partie de la solution ?
SVR : « Il le faudra bien. La prise de conscience est là, mais on compte encore trop souvent sur la responsabilité individuelle des consommateurs. Et pourtant, ils sont plutôt sans défense face aux produits alléchants et aux campagnes de persuasion des producteurs. Les choses bougent, pensez à l’introduction du Nutri-Score, mais le gouvernement devra procéder à des ajustements. »
JG : « Nous n’en sommes encore qu’au tout début, mais on observe néanmoins des développements très intéressants dans le domaine de la science. La nutrition peut soutenir la santé : je pense par exemple aux aliments enrichis pour les personnes âgées. À terme, on attend beaucoup d’une alimentation personnalisée, basée sur des analyses médicales et adaptée à votre ADN. Imaginez : un repas personnel pour tous, tout droit sorti d’une l’imprimante alimentaire 3D. On y travaille ! »
Le rôle des puissants supermarchés comme moteurs d’une guerre des prix a été critiqué, mais ces mêmes supermarchés voient leur position ébranlée par de nouveaux challengers : acteurs en ligne, cuisines fantômes, boîtes repas, « quick commerce »… Le modèle est-il dépassé ?
SVR : « Ce qui est certain, c’est que l’époque du ‘one stop shop’ est révolue. La société est extrêmement fragmentée, avec des besoins d’achat très différents et un nombre presque infini d’options et de canaux partout et à tout moment. Le levier de pouvoir s’est déplacé vers le cloud, vers les grandes plateformes. Elles considèrent avant tout les ventes de produits alimentaires comme une source intéressante de données dont elles peuvent tirer profit dans leurs écosystèmes complets. C’est un modèle commercial totalement différent. Les règles du jeu ne sont tout bonnement pas équitables. »
JS : « En Chine, on voit comment des géants comme Alibaba et JD.com lancent une nouvelle génération de supermarchés connectés où tout est numérisé. Les acheteurs font leurs achats avec leurs smartphones ; les magasins sont à la fois un marché, un supermarché, une supérette, un « dark store », un service de livraison rapide, une cuisine fantôme et un restaurant. De plus, grâce à leurs ressources en big data, ces groupes contrôlent plusieurs milliers de magasins de proximité connectés à travers le pays. Walmart en tire les enseignements et développe son propre écosystème aux États-Unis. En Europe, nous sommes à la traîne. Nous avons le RGPD : notre vie privée est protégée, mais cela ne remplira pas nos estomacs… »
Les décideurs s’engagent
Malgré tous ces sombres scénarios, votre livre ne se termine pas sur une note pessimiste…
JS : « Il ne faut jamais être pessimiste. Nous pouvons renverser la vapeur. Dans notre livre, nous relayons de dizaines de récits inspirants qui montrent comment les entrepreneurs et les scientifiques bâtissent un avenir durable pour le secteur alimentaire. C’est vraiment incroyable ! Il est cependant essentiel que tous les acteurs s’engagent à coopérer sur l’ensemble de la chaîne alimentaire, de la grange à l’assiette. »
Les décideurs du secteur alimentaire sont-ils sensibles à ce récit ?
JS : « Et comment ! Nous avons fait lire notre livre au préalable par certains des PDG les plus influents de l’univers de l’alimentation. Le PDG d’Ahold Delhaize, Frans Muller, a pris le temps d’épiloguer. Les PDG Alexandre Bompard de Carrefour, Jef Colruyt, Olaf Koch (anciennement chez Metro), Wim Destoop de PepsiCo, Koen Slippens de Sligro, Hein Deprez de Greenyard, Nils van Dam de Milcobel, Dirk Van den Berghe, ancien PDG de Walmart, et Lieven Vanlommel de Foodmaker nous ont également donné leur aval. Nous en sommes surpris et touchés. Il semble que nous proposions le bon récit au bon moment. »
Suivez ce lien pour réserver vos billets pour la présentation du livre lors de la RetailDetail Night du 25 novembre. Tous les participants recevront un exemplaire !
The Future of Food est publié par Lannoo Campus en Belgique et par Van Duuren Management aux Pays-Bas. Disponible en anglais et en néerlandais dans les meilleures librairies et sur www.futureofshopping.be pour les plus gros volumes.