Nous en arrivons peu à peu au point où après des décennies de croissance, la consommation mondiale de viande va diminuer pour la première fois de l’histoire. Mais ces alternatives végétales pourront-elles convaincre les consommateurs ? Un regard sur le potentiel de ce marché.
Du produit de luxe aux promotions-chocs
La tendance la plus notable et la plus dominante de ces dernières années dans l’alimentation est sans aucun doute l’attention considérable accordée à une alimentation plus végétale. Dans les pays occidentaux industrialisés, nous consommions – et consommons toujours – énormément de produits animaux. Pour de nombreux consommateurs, les produits laitiers et la viande sont désormais une habitude quotidienne qu’on ne remarque même plus. Cela n’a pas toujours été le cas : il y a encore une centaine d’années, la viande était un produit de luxe réservé aux classes les plus riches ou aux occasions particulières. C’est la prospérité économique qui a mis la viande à la portée de tous. Aujourd’hui, les consommateurs sont bombardés de promotions pour de la viande hachée, du blanc de poulet ou du salami chaque fois qu’ils pénètrent dans un supermarché. Pour de nombreux consommateurs, il est aujourd’hui parfaitement normal d’avoir de la viande et/ou du fromage au menu du petit-déjeuner, du dîner et du souper.
Mais dans de larges couches de la population et dans le monde des affaires, on prend peu à peu conscience que cette voie est sans issue. Bill Gates, cofondateur de Microsoft et désormais coprésident de la Fondation Bill et Melinda Gates et président du fonds d’investissement Breakthrough Energy Ventures, pense également que les pays riches, notamment, devraient passer complètement aux alternatives végétales s’ils veulent éviter une catastrophe climatique. Il considère même cette évolution comme « inévitable ». Cette ambition n’est irréaliste que pour les pays les plus pauvres.
Le « pic de viande » en vue
Selon une étude réalisée par le cabinet de conseil Boston Consulting Group et le groupe de réflexion végétarien Blue Horizon, l’Europe et les États-Unis atteindront le « pic de la viande » en 2025. À partir de ce moment, la consommation de viande diminuera pour la première fois dans l’histoire après des décennies de croissance. La consommation de viande va continuer en revanche à augmenter pendant un certain temps sur les marchés émergents. Mais à l’échelle mondiale, les alternatives végétales pourraient déjà s’emparer de quelque 11 % du marché total des protéines d’ici 2035 – et atteindre une part de marché de 22 % si les progrès technologiques et réglementaires s’accélèrent (Witte, 2021). Pour convaincre le consommateur, les alternatives devront être identiques en termes de goût, de texture et de prix. Sur ce dernier point, les prix des substituts de viande devraient déjà être retombés à ceux de la viande ordinaire d’ici 2023. Le marché des alternatives végétales à la viande, aux produits laitiers, aux œufs, au poisson et aux fruits de mer pourrait ainsi peser 240 milliards d’euros en 2035.
« Je pense que nous n’en sommes encore qu’au tout début de la croissance du marché des alternatives à la viande et aux produits laitiers », a ainsi déclaré Hanneke Faber, responsable de la division alimentaire d’Unilever. « Aujourd’hui, leur part reste minime par rapport au marché global de la viande et des produits laitiers. Dans la plupart des pays développés, elles ne pèsent que 5 % de la consommation de viande et de produits laitiers – alors que selon certaines prévisions, leur part de marché pourrait atteindre 50 % », a-t-elle expliqué au Financial Times.
Doublement
Quelle est ou sera la taille du marché ? Entre 2010 et 2020, les ventes au détail de substituts de viande et de produits laitiers ont augmenté de près de 10 % par an en Europe. Elles ont donc plus que doublé en dix ans. Côté substituts de viande, la croissance atteint 121 %, de 625 millions d’euros en 2010 à 1,38 milliard d’euros en 2020. Pour ce qui concerne les produits laitiers végétaux, les ventes sont passées de 1,5 milliard d’euros à 3 milliards d’euros en dix ans.
Si certains estiment que la viande et les produits laitiers seront à terme totalement remplacés par des alternatives végétales, les chercheurs d’ING en sont moins convaincus. En effet, les substituts ne représentent actuellement que 0,7 % du marché de la viande et 2,5 % du marché des produits laitiers en Europe. Même en maintenant le taux de croissance actuel (+10 %), les substituts ne prendront pas le pas sur la viande et les produits laitiers avant 2060. Les auteurs de l’étude voient le marché des substituts de viande et de produits laitiers atteindre 7,5 milliards d’euros en 2025 : 2,5 milliards d’euros pour les alternatives à la viande et 5 milliards d’euros pour les produits laitiers d’origine végétale. Leur part de marché européenne atteindra donc respectivement 1,3 % et 4,1 %.
Part de marché limitée
Au sein des produits laitiers, on note encore une grande différence entre les substituts de fromage et les substituts de lait. Les propriétés du fromage animal étant plus difficiles à reproduire, les « fromages » végétaux restent des produits premium et de niche, alors que les substituts de lait pèsent déjà près de 10 % du marché laitier européen. Et même 14 % en Belgique et 12 % aux Pays-Bas. C’est en raison de l’impact des substituts de fromage que la catégorie globale des substituts de produits laitiers ne représente « que » 3 % du marché.
Alors que la part de marché mondiale des substituts de viande ne dépasse pas 1 % aujourd’hui, elle pourrait atteindre 10 % dans le monde d’ici 2029, selon une étude de marché de la banque britannique Barclays – soit dix fois le chiffre d’affaires estimé aujourd’hui, soit environ 12,5 milliards d’euros. Pour en arriver à cette conclusion, les analystes s’appuient sur l’évolution des parts de marché d’autres catégories d’aliments alternatifs, comme les alternatives végétales aux produits laitiers (déjà plus de 13 % du marché des produits laitiers) ou la bière artisanale aux États-Unis (12 % de part de marché). Mais leur part de marché ne dépassera pas ce niveau, car s’il existe des substituts pour la viande hachée, les hamburgers ou les saucisses, aucune alternative n’est encore disponible pour le steak, par exemple.
Défis
Les fabricants ne cessent de progresser en matière de goût et de texture, deux critères particulièrement importants pour les consommateurs. Mais ces opportunités s’accompagnent également de risques : par exemple, d’éventuelles restrictions sur l’appellation des produits pourraient constituer un frein au développement des substituts. Plusieurs pays envisagent ainsi d’interdire tout nom faisant référence à la viande (hamburger, saucisse, steak) pour les substituts de viande. En Europe, le débat est désormais clos pour les substituts de viande. Mais pas pour les substituts de produits laitiers : une boisson au soja ne peut par exemple pas porter le nom de « lait de soja ». Le prix pourrait également poser problème : si les substituts de viande ne sont plus beaucoup plus chers que la viande de qualité, ils le restent par rapport aux produits fastfood moins chers.
On peut également se demander si toutes les alternatives à la viande sont aussi saines qu’elles le prétendent. La dernière génération de hamburgers végétariens contient certes moins de cholestérol que le bœuf maigre, mais à peu près la même quantité de graisses, un peu moins de protéines et plus de sel. Autre point d’attention : la teneur plus élevée en graisses saturées due à l’utilisation d’huile de coco. En outre, certains hamburgers végétaux contiennent beaucoup de glucides, et plusieurs producteurs ont recours à des additifs comme des exhausteurs de goût.
Nouvelle génération
L’Impossible Burger contient même un ingrédient entièrement neuf : de l’hème de soja, une substance que l’on trouve également dans l’hémoglobine de notre sang, mais qui est dans ce cas extraite du soja par fermentation. C’est cette substance qui donne au burger végétarien son aspect de véritable viande… mais certains consommateurs pourraient se méfier de telles nouveautés technologiques. Ce burger est d’ailleurs toujours interdit à la vente en Europe.
L’essor de la « viande » végétale n’est pas terminé. Les produits deviennent plus durables, plus sains et plus savoureux et via les supermarchés et les restaurants, ils sont adoptés par un nombre croissant de consommateurs. Mais s’agit-il d’un point final ou d’une simple étape dans une évolution qui pourrait nous mener beaucoup plus loin ? Le rêve ultime de nombreux pionniers reste de cultiver de la viande, de la volaille et du poisson « in vitro » dans des bioréacteurs. De la viande de laboratoire, et peut-être d’usine par la suite. Nous pourrions continuer à manger de la « vraie » viande sans devoir tuer aucun animal et avec une empreinte écologique très limitée. Mais c’est une autre histoire.
Cet article est basé sur un extrait du livre « The Future of Food » de Jorg Snoeck, fondateur de RetailDetail, et Stefan Van Rompaey, rédacteur en chef, qui sera publié par Lannoo Campus et Van Duuren Management fin septembre.