Les entreprises qui se lancent dans la lutte militante savent parfaitement dans quoi elles s’engagent : un exercice d’équilibriste sur une corde raide, comme en font aujourd’hui l’expérience la marque de crèmes glacées Ben & Jerry’s et, bon gré mal gré, la société mère Unilever, dans un conflit avec Israël. Mais si tout se passe bien, votre marque n’en ressortira que plus forte. Nike , par exemple, l’a démontré récemment.
Plus de Ben & Jerry’s dans les territoires palestiniens occupés
Ces derniers jours, les relations entre Israël et Ben & Jerry’s, une marque du géant des biens de consommation Unilever, se sont détériorées. Ben & Jerry’s avait mis le feu aux poudres en annonçant qu’elle ne vendrait plus de crèmes glacées dans les territoires palestiniens occupés. L’entreprise ne renouvellera pas la licence avec son distributeur actuel, qui ne voudrait ou ne pourrait pas renoncer aux ventes dans ces territoires. La marque de crèmes glacées continuera à opérer dans le pays, mais sous un « autre arrangement », a-t-elle indiqué dans une déclaration acerbe sur son site web.
La réaction d’Israël a été, et c’est un euphémisme, très forte. Naftali Bennett, le nouveau Premier ministre, a immédiatement demandé des comptes au PDG d’Unilever, Alan Jope, le menaçant de « sévères conséquences », y compris sur le plan légal. Yair Lapid, ministre des Affaires étrangères et, selon la coalition gouvernementale en place, prochain Premier ministre, n’a pas hésité à aller plus loin. Lapid qualifie cette décision de reddition honteuse à « l’antisémitisme et au mouvement BDS ». Cette abréviation désigne Boycott, Désinvestissement et Sanctions. Il s’agit d’un mouvement international qui veut utiliser de telles actions économiques pour s’attaquer à Israël pour sa politique envers les Palestiniens.
Les clients ont un lien avec la marque
Unilever s’est retrouvé dans cette confrontation bon gré mal gré. Si l’entreprise possède bien la marque Ben & Jerry’s, selon le contrat d’acquisition en 2000, la marque de crèmes glacées a été dotée d’un conseil d’administration indépendant pour décider de manière autonome de l’application de la « mission sociale » de l’entreprise. Unilever n’a donc eu d’autre choix que de publier un communiqué de presse neutre dans lequel la multinationale tente par tous les moyens de ne froisser personne.
Cela démontre une fois encore combien il est délicat pour les entreprises d’adopter une position plus militante dans des domaines où les pour et les contre s’opposent ; un problème qui se pose moins dans le domaine de la durabilité et de l’activisme environnemental, par exemple. Surtout lorsqu’il s’agit d’entreprises comptant dans leur portefeuille des marques de biens de consommation célèbres, avec lesquelles de nombreux clients entretiennent des liens plus ou moins forts. Si une marque exprime soudainement une vision politique allant à l’encontre de celle des clients, cela suscite beaucoup d’émoi.
Nike et Colin Kaepernick
Les entreprises doivent donc agir de façon réfléchie et s’assurer qu’une prise de position potentiellement controversée soit en adéquation avec leur identité de marque. La façon dont Nike s’est positionné dans le débat délicat sur la violence policière à l’encontre de la communauté noire aux États-Unis en est un bon exemple.
En 2018, Nike a lancé une campagne publicitaire dont l’égérie était le joueur de football américain controversé Colin Kaepernick. Quelques années plus tôt, il avait été l’instigateur du mouvement consistant à poser le genou au sol avant chaque match, pendant l’hymne national américain, pour protester contre les violences policières excessives. Un mouvement qui s’est étendu au mouvement Black Lives Matter, et qui fait également jusqu’à ce jour des émules dans d’autres sports. Le Diable rouge Romelu Lukaku, notamment, en est un fervent défenseur.
Believe in something, even if it means sacrificing everything. #JustDoIt pic.twitter.com/SRWkMIDdaO
– Colin Kaepernick (@Kaepernick7) 3 septembre 2018
L’initiative de Kaepernick s’était attirée les foudres du président américain de l’époque, Donald Trump, et de ses partisans. Nike s’est donc aventuré en terrain potentiellement glissant avec le slogan de sa campagne « Believe in something, even if it means sacrificing everything ». Auquel Trump avait directement répondu par le tweet « What was Nike thinking ? », que nous ne pouvons plus intégrer car Twitter a désactivé le compte de Trump.
6 milliards de dollars de valeur de marque
Eh bien, Nike s’était de toute évidence bien renseigné. La campagne a remporté prix sur prix aux Cannes Lions, les Oscars du secteur de la publicité. Bien que la campagne remonte à 2018, elle a remporté un autre prix cette année pour l’impact qu’elle a suscité sur les ventes. D’après les calculs de l’organisation, la controversée campagne Kaepernick a entraîné une hausse du chiffre d’affaires de pas moins de 31 %, et la valeur de la marque Nike a grimpé de 6 milliards de dollars (5,1 milliards d’euros).
Il est peu probable que Ben & Jerry’s et/ou Unilever récoltent un bonus similaire de leur confrontation avec Israël. Ben & Jerry’s vaut la modique somme de 300 millions de dollars, ce qui signifie que, en matière d’échelle, il faut garder les choses en perspective. Reste également à voir ce qu’il adviendra dans les faits. En fin de compte, la marque de crèmes glacées ne se retire pas totalement d’Israël, reste donc à voir ce qui va changer en pratique.