Le Saint Graal de l’alimentation saine reste la nutrition personnalisée : des produits et des recettes adaptés aux besoins spécifiques de chacun à un moment donné. Si le concept est prometteur, il n’en est encore qu’à ses balbutiements – notamment parce qu’il nécessite des recherches scientifiques particulièrement complexes et approfondies.
Régimes intelligents
La technologie doit permettre aux consommateurs de développer une approche hyperindividualisée de leur santé physique et mentale. Les régimes intelligents vont se multiplier d’ici 2030 : un accès plus large aux tests (ADN) et aux technologies de mesure permettra aux consommateurs de mieux comprendre ce qui les rend uniques, eux et leurs besoins biologiques. Grâce à de nouveaux systèmes de production comme l’impression 3D, les entreprises pourront ensuite personnaliser les aliments et les boissons en fonction des données que les consommateurs partageront avec elles.
C’est la nutrigénomique, un nouveau domaine qui combine génétique et science de l’alimentation. L’idée fondamentale est que notre génome contient des informations précieuses sur les besoins de notre organisme. Comme nous sommes tous génétiquement différents, nous devons adopter un régime alimentaire personnalisé pour vivre longtemps et en bonne santé. On commencera par faire cartographier son ADN, après quoi une application intelligente indiquera les aliments à consommer et à éviter.
Les consommateurs n’attendent pas seulement de ces listes de courses, recettes et repas personnalisés qu’ils soient adaptés à leurs goûts, mais aussi qu’ils améliorent leur bien-être physique et mental. Car pour un nombre croissant de consommateurs, la santé mentale devient un enjeu au même titre que le régime alimentaire et l’exercice physique – d’autant qu’il est de plus en plus évident que les différents systèmes de notre corps fonctionnent ensemble, notamment que le cerveau, le système digestif et les émotions sont liés.
En 2030, des appareils portables et applications pour smartphone seront également capables d’alerter instantanément leurs utilisateurs en cas de changements hormonaux ou de stress. On peut par conséquent également s’attendre à des évolutions dans la manière, les moments et les lieux où les produits alimentaires et boissons seront vendus afin que les consommateurs aient accès aux produits adéquats pour améliorer leur santé ou même leur humeur à tout moment.
Plan de nutrition personnel
Habit est une application de ce type : la société propose un plan nutritionnel personnalisé basé entre autres sur un prélèvement d’ADN, une analyse de sang à jeun, vos mensurations et un questionnaire sur votre comportement. L’application fournit ensuite une liste d’aliments recommandés, un guide nutritionnel quotidien et des recettes personnalisées. Les utilisateurs peuvent également connecter leur Fitbit à leur compte afin que leur plan soit adapté à leur activité.
Nestlé XiaoAI, un assistant alimentaire chinois basé sur l’IA, est une enceinte intelligente dotée de connaissances en matière de nutrition et de santé qui peut répondre aux questions des utilisateurs sur les recettes, de la musique et de la nutrition personnalisées. Et au Japon, les utilisateurs de l’appli Nestlé Wellness Ambassador envoient des photos Instagram de leurs repas : l’appli fait ensuite appel à l’intelligence artificielle pour suggérer des changements de mode de vie et recommander des compléments alimentaires. Certains utilisateurs commandent déjà pour environ six cents euros par an via l’application.
Les consommateurs sont manifestement prêts à payer pour leur santé, et cela pourrait devenir un gros business. Un rapport de MarketsandMarkets évalue même le marché potentiel à près de quatorze milliards d’euros en 2025.
La semaine dernière, nous avions déjà évoqué Sushi Singularity, un restaurant futuriste à Tokyo qui sert à ses clients des sushis imprimés en 3D hyperpersonnalisés. À Londres, le restaurant de sushis YO ! Sushi proposait une démarche similaire : il s’était associé à DNAfit, une société qui commercialise des tests ADN. Les clients pouvaient envoyer un échantillon de salive et, sur la base de celui-ci, recevoir un rapport leur indiquant s’ils souffraient d’intolérance au lactose ou s’ils présentaient une carence en oméga 3. Ensuite, YO ! Sushi conseillait les plats les plus appropriés au menu pour chaque individu. Le moteur du concept est le logiciel de la plate-forme de commande Vita Mojo, qui permet aux clients de faire leur choix au sein du menu en fonction de leur compte DNAfit. Pour l’instant, il s’agit plus de marketing que de science : nous en savons encore très peu sur les liens entre nos gènes et nos besoins nutritionnels. Les recherches sur les ingrédients qui influencent favorablement notre santé intestinale sont plus prometteuses, par exemple.
Gradations
Si la tendance à l’alimentation personnalisée prend de l’ampleur, elle constituera un défi majeur pour l’industrie agroalimentaire traditionnelle. Celle-ci est en effet totalement vouée à la production de masse : la même recette pour tous. Comment une multinationale peut-elle personnaliser sa gamme ? Et comment faire parvenir ces produits personnalisés au consommateur de manière efficace ? Il sera nécessaire de changer de modèle économique, et ce n’est pas facile. Une piste de réflexion intéressante d’Oakland Innovation consiste à considérer la personnalisation comme un spectre, avec différentes gradations.
Une première étape consisterait alors à développer des produits adaptés à différents groupes cibles clairement définis qui présentent des besoins spécifiques. Un peu sur le modèle de G FUEL, une boisson énergétique qui prétend améliorer la concentration et le temps de réaction des joueurs, les fabricants pourraient développer des produits spécifiques qui améliorent la santé intestinale de certains groupes cibles comme les jeunes mères, les enfants de bas âge ou les personnes âgées. Il s’agirait en quelque sorte d’une « personnalisation de masse ». C’est ce que fait la multinationale Mars en collaboration avec la start-up foodspring, un fabricant de produits de nutrition sportive qui a développé un coach numérique permettant aux utilisateurs de choisir les produits qui leur conviennent le mieux.
Un deuxième modèle économique pourrait s’inspirer de HelloFresh, qui propose des kits repas personnalisés. Étant donné que les box repas sont composées de différents ingrédients emballés séparément, il est relativement aisé de faire preuve de flexibilité et de proposer à chaque client une combinaison différente, avec des ingrédients sains adaptés à leurs besoins. Amazon Fresh collabore ainsi avec la plate-forme d’alimentation personnalisée Habit : les utilisateurs remplissent un questionnaire et soumettent les résultats d’une analyse de sang pour connaître notamment leur taux de cholestérol. Habit leur envoie ensuite un plan nutritionnel et des recettes personnalisées. Et Amazon leur livre les ingrédients à domicile.
Un troisième modèle économique s’inspire de l’approche des chaînes de restauration quick-service comme Five Guys. Ils partent d’un cœur de compétence (comme les hamburgers ou les tacos) qu’ils peuvent aisément décliner et personnaliser à l’aide d’ingrédients standardisés. Voulez-vous un hamburger sans laitue ou avec un supplément de ketchup ? Pas de problème Reste évidemment à transposer un tel modèle à la production et à la distribution de produits préemballés sans perdre en rentabilité.
Le quatrième et dernier modèle est celui de Vita Mojo, avec des conseils alimentaires personnalisés basés sur un profil nutritionnel.
Le consommateur est prêt
De la science-fiction ? Trois conditions sont à remplir pour que l’alimentation personnalisée devienne une réalité, selon la plate-forme Future of Food de Deloitte. Tout d’abord, il faut mieux comprendre les facteurs qui influencent les besoins nutritionnels d’un individu. La science comprend de mieux en mieux l’influence du microbiome intestinal, de la glycémie et même du sommeil sur nos réactions aux aliments. Mais il reste beaucoup à faire dans ce domaine.
Nous avons ensuite besoin de technologie pour recueillir toutes ces données, les combiner aux besoins alimentaires personnels, puis les transformer en conseils pour un régime personnalisé. La technologie progresse très rapidement : pensez aux trackers de forme physique et à l’émergence de solutions de tests très accessibles pour le sang, l’ADN et le microbiome. Des applications conviviales peuvent aider à prendre des décisions en matière d’alimentation.
Last but not least, les consommateurs doivent être prêts à adopter cette alimentation du futur. Mais cela semble de plus en plus le cas : ils tiennent davantage compte de l’impact de l’alimentation sur leur santé. Une étude européenne intéressante réalisée par Deloitte et Ahold Delhaize a révélé que les consommateurs étaient tout à fait disposés à partager leurs données personnelles avec les détaillants. Cela laisse une opportunité à l’industrie alimentaire de développer des services et des modèles commerciaux basés sur les données.
Les consommateurs ont une grande confiance dans les food-retailers, mais ils restent prudents. Quand on les a interrogés sur les services personnalisés destinés à améliorer leur santé qui les intéressaient, ils ont cité en première position les produits de marques alternatives plus saines (46%), suivis par des recommandations basées sur leurs habitudes d’achat (45%). Ils sont moins intéressés par des services d’analyse de leur régime alimentaire (37%), des rapports sur leurs progrès dans la réalisation de leurs objectifs de santé (37%), des offres liées à la santé (32%) ou une comparaison entre leurs objectifs de santé et ceux d’autres personnes (33%).
Deloitte entrevoit en tout cas plusieurs opportunités. Pensez aux conseils nutritionnels personnalisés basés sur un suivi de l’alimentation, des mesures intelligentes d’activités physiques et les tests sanguins. Ou encore la nutrition de précision et la nutrition momentanée, qui répond aux besoins en fonction d’objectifs précis. Quiconque entame un programme d’entraînement en vue de courir un marathon appréciera certainement des conseils nutritionnels appropriés.
Cet article est basé sur un extrait du livre « The Future of Food » de Jorg Snoeck, fondateur de RetailDetail, et Stefan Van Rompaey, rédacteur en chef, qui sera publié par Lannoo Campus et Van Duuren Management fin septembre.