Qu’obtient-on en combinant l’amour de la Chine pour la numérisation avec les usines textiles bon marché du pays ? Shein . Ce nouveau venu a détrôné Amazon en tant qu’application d’achat la plus téléchargée aux États-Unis, et pourtant vous n’en avez peut-être jamais entendu parler.
Partout sauf en Chine
Le nom de Shein, prononcé She In, ne vous dit rien ? Dans ce cas, il y a de fortes chances que votre adolescente en sache plus. Shein est le Zara d’il y a quinze ans, en version tout à fait adaptée à la nouvelle génération Z qui préfère passer son temps en ligne sur TikTok. Comme indiqué précédemment, il s’agit d’une société chinoise pour le moins mystérieuse. Cela n’a pas empêché le détaillant de mode branché de devenir l’application de shopping la plus téléchargée aux États-Unis mi-mai, un honneur jusqu’alors réservé à Amazon.
L’entreprise vaudrait plus de 15 milliards de dollars et a réalisé un chiffre d’affaires de près de 10 milliards de dollars en 2020, un doublement maintenu pendant huit années consécutives. Le site Web serait le site de mode le plus consulté au monde. Shein préfère éluder qu’il a été fondé en Chine, par le PDG Chris Xu, vers 2008. Au contraire, le site avait longtemps indiqué que le vendeur de vêtements était originaire du New Jersey. Le pure player en ligne vend pratiquement dans le monde entier, excepté en Chine. Pourquoi ? C’est très simple : là-bas, les hauts et les chemises à 5 euros ne sont pas aussi exclusifs que dans le reste du monde.
Un millier de nouvelles pièces chaque jour
Comme l’entreprise aime à se qualifier, Shein est une « plateforme internationale de vente de vêtements en ligne de type B2C ». En dehors de la Chine, l’entreprise compterait depuis déjà plusieurs années des bureaux aux États-Unis, aux Émirats arabes unis (le Moyen-Orient est un important marché de la marque) et en Belgique pour l’Europe. Il n’existe pas d’adresse en Belgique, mais bien une offre d’emploi pour un poste d’ « assistant de bureau » en Wallonie, dont l’une des missions serait de rechercher un emplacement de bureau approprié. L’aéroport de Liège, où Alibaba fait venir ses colis par avion, sert peut-être de centre logistique.
Parler de mode rapide est un euphémisme dans le cas de Shein. Matthew Brennan, auteur du livre « Attention Factory » sur TikTok, préfère le terme « commerce de détail en temps réel ». Tout va si vite que, chaque jour, ce sont littéralement des milliers de nouveaux articles qui viennent s’ajouter à l’offre. En trois jours, une nouvelle pièce peut passer de la phase de conception à la phase de production et être mise en vente avant même que les premiers modèles soient sortis de la chaîne de production.
Google demande, nous exécutons
Sa force réside dans l’intégration verticale complète de la chaîne de valeur et dans une gestion unique des données. Shein n’a pas de style, Shein n’a pas d’image de marque. Le mot d’ordre : un choix illimité à des prix souvent inédits. L’entreprise fabrique les pièces qui répondent à la demande, littéralement. En tant que l’un des plus gros clients chinois de Google, elle suit les évolutions en continu grâce à Google Trend Finder. L’application suit également de près les offres des concurrents et toutes les actualités sur les réseaux sociaux. Ajoutez à cela le comportement des utilisateurs sur l’application et sur le site, et le fabricant de mode ultra-rapide peut automatiquement prévoir la demande et adapter les stocks en temps réel.
Sans grande surprise, cette stratégie peut parfois être source de problèmes. Cette semaine, par exemple, l’acteur du e-commerce a commis un impair avec un étui de smartphone, avec lequel il espérait intelligemment jouer sur le mouvement Black Lives Matter. L’étui affichant un homme noir saisi par le col par un policier a cependant été perçu comme fortement raciste. De même, la société chinoise avait reçu une volée de bois vert pour un pendentif en forme de croix gammée. Voilà le résultat quand on donne carte blanche aux algorithmes.
Car ces données filent d’ailleurs directement dans les usines. Shein utilise le modèle « C2M » (Consumer to Manufacturer) en plein essor en Chine : Chris Xu est parvenu à conclure des partenariats exclusifs avec un vaste réseau d’usines textiles, en leur promettant des paiements rapides et des tirages importants. Un seul impératif : celles-ci doivent utiliser le système TIC du détaillant. Pourquoi ? Pour faire correspondre l’offre et la demande en temps réel. Le feedback et le comportement des clients sur l’application sont convertis en direct en nouvelles commandes de production ou en ajustements. Shein peut effectuer des tests A/B en continu, pour des milliers de nouveaux articles chaque jour.
Les acheteurs deviennent des micro-influenceurs
Il n’est même pas nécessaire de produire la moindre pièce pour mettre en marche la machine marketing agressive : sur les réseaux sociaux, les messages publicitaires de Shein abondent sur les fils d’actualité des jeunes acheteurs de la génération Z. Outre un budget monstre de publicité en ligne, la société utilise un modèle de marketing « best in class » inspiré du marché chinois : les consommateurs chinois se laissent guidés par d’autres acheteurs considérés comme des « leaders d’opinion » dans un domaine particulier. Une distinction est faite entre les célébrités et les véritables influenceurs, tels que Katy Perry et Lil Nas X, qui font la promotion du détaillant, et les micro-influenceurs ou KOC (Key Opinion Consumers).
Chaque client de Shein devient lui-même un micro-influenceur puisqu’il dispose d’un profil public dans l’application. Les clients peuvent obtenir des réductions en recommandant leurs articles préférés à leurs amis, en postant des photos de leurs tenues et en aidant les autres acheteurs à trouver la taille qui leur convient grâce à des selfies. Après tout, pour la génération Z qui attache une grande importance à l’image, une photo en dit plus qu’un millier de commentaires. Sur TikTok, les vidéos dans lesquelles les filles défilent devant leur caméra avec une pile de vêtements commandés, la livraison gratuite pour tout achat de plus de 40 euros permettant d’obtenir facilement dix pièces, font un carton. Une grande partie de ce contenu est publié gratuitement, les « frais d’affiliation » représentant jusqu’à 20 % des ventes réalisées.
Où s’arrêtera la roue d’inertie ?
La roue d’inertie du nouvel acteur chinois accélère, conduisant à des téléchargements et des ventes records. Où s’arrêtera-t-elle ? L’expansion est logiquement à l’ordre du jour : le modèle du prêt-à-porter féminin peut potentiellement être transposé dans d’autres catégories. L’entreprise aurait l’intention de racheter un distributeur chinois de mobilier de jardin. Ironiquement, le webshop Shein était candidat à la reprise de TopShop en faillite, qu’il avait pourtant contribué à faire couler. Actuellement, l’application évolue déjà vers une plateforme, avec également d’autres marques et produits. L’étape la plus importante dans cette transition est Shein X, dans le cadre de laquelle de jeunes designers conçoivent des vêtements pour le détaillant.
Chez Shein, tout est une question de prix et d’offre illimitée. Oubliez les livraisons rapides, le délai de livraison étant d’environ deux semaines, et les retours faciles et gratuits. Les colis n’arrivent souvent pas en une seule fois mais article par article, et les frais de retour s’élèvent à 4,5 euros. Dans leurs commentaires, les clients se plaignent d’une mauvaise qualité, de mauvaises coupes et de différences par rapport aux photos. La mode jetable ultra-bon marché et ultra-rapide est donc bien loin de s’inscrire dans la tendance de durabilité. En outre, en 2018, un important vol de données avait exposé les données de plus de 6 millions de clients, tandis que, en Inde, l’application et 57 autres applications chinoises ont été interdites l’année dernière au nom de la sécurité d’État. Mais est-ce suffisant pour arrêter la roue d’inertie ?