Avec la chaîne russe Mere, c’est un hard discounter ambitieux qui fait son entrée sur le marché mature d’Europe occidentale. Le nouveau venu peut-il faire trembler Aldi et Lidl ? Les ambitions semblent réalistes, le timing est parfait…
La roue de la distribution
La France, la Grande-Bretagne, la Belgique, l’Autriche et l’Italie sont dans la ligne de mire de l’ambitieuse chaîne russe de hard discount Mere. Le détaillant possède des magasins en Allemagne et en Espagne. À l’Est, la chaîne est déjà implantée en Roumanie, en Pologne, en Lituanie et en Lettonie. Sous l’enseigne Svetofor , l’entreprise remporte un franc succès en Russie, en Biélorussie et au Kazakhstan. Avec plus de 2 000 magasins à l’heure actuelle, elle a largement dépassé le statut d’amateur. Cette entreprise veut conquérir le marché européen de manière hautement planifiée. Un marché déjà assez saturé, où le segment bas est déjà bien couvert par des acteurs mondiaux comme Aldi et Lidl. Alors, où se trouvent les opportunités ?
Pour y répondre, nous partons d’une célèbre théorie du marketing de détail, la « Roue de la distribution ». Selon cette théorie, les nouveaux arrivants entrent souvent sur le marché en concurrençant les prix de détaillants établis. S’ils remportent du succès grâce à leurs prix plus bas, après une période d’expansion rapide, ils chercheront souvent à se développer en améliorant leur concept : ajout de services, amélioration de la qualité, élargissement de la gamme. Cela entraîne une augmentation des coûts, et donc des prix de vente, ce qui gomme progressivement le caractère distinctif du nouvel acteur et laisse une place sur le marché pour un nouveau concurrent par les prix.
De discounter à supermarché de produits frais
C’est exactement ce qu’ont fait Aldi et Lidl dans toute l’Europe ces dernières années. Après une période de forte expansion, les deux hard discounters ont fermement assis leur position. Dans de nombreux pays, ce sont aujourd’hui des valeurs établies. En Allemagne ou en Belgique, par exemple, les possibilités d’ouvrir de nouveaux magasins sont presque inexistantes. Ils cherchent donc d’autres opportunités de croissance. Les deux détaillants ont opté pour une modernisation de leur concept de magasin. La gamme a été élargie, avec des produits frais et des marques A. Ils ont modernisé l’intérieur des magasins, lancé des publicités télévisées et des campagnes de promotion, publié des rapports de durabilité… Et, aujourd’hui, ils se lancent également (certes, par nécessité) dans le commerce électronique.
Tout cela pour attirer de nouveaux clients et encourager les clients occasionnels à acheter davantage. Par conséquent, Aldi et Lidl ne sont finalement plus vraiment des hard discounters. Eux-mêmes le disent. Lidl, par exemple, se qualifie volontiers de « discounter intelligent ». C’est une stratégie qui porte ses fruits, les deux acteurs réalisant toujours de belles performances, mais ils se rapprochent de plus en plus du supermarché moyen. Certes, avec des prix bas, une gamme de produits plus limitée et une priorité accordée aux marques de distributeur, mais un supermarché quand même. Ce ne sont donc plus des temples de bonnes affaires.
Timing parfait
C’est exactement ce qui explique l’apparition de nouvelles opportunités dans le segment bas du marché. En se rapprochant du supermarché, les hard discounters laissent de la place à un véritable concept « sans fioritures » avec une gamme basique à prix très bas. Il y a eu des tentatives ces dernières années, de la part d’entrepreneurs rusés qui essayaient d’écouler des stocks résiduels dans des supermarchés outlet, mais elles étaient souvent réalisées à petite échelle et de façon peu professionnelle. Mais les choses vont changer : avec Mere, c’est un professionnel chevronné qui fait son entrée sur le marché.
Le discounter russe entrevoit des opportunités pour ses magasins spartiates de moins de 1 000 mètres carrés où les produits sont disposés sur des palettes ou dans des caisses. Marques moins connues, surplus et stocks résiduels sont vendus à des prix10 à 20 % moins chers que ceux pratiqués chez Aldi et Lidl. Y a-t-il un public pour ce concept ? Les prix bas attirent toujours les clients. Le timing est parfait : une récession sévère se profile après la pandémie de coronavirus. 20 % de la population ne parvient pas à épargner. Beaucoup ont perdu leur emploi. Parallèlement, les prix des matières premières augmentent rapidement, ce qui se traduira inévitablement par une hausse des prix dans les rayon des supermarchés. La sensibilité au prix va continuer à s’intensifier. En ce sens, Mere arrive à point nommé. Le défi majeur pour le nouvel venu sera la vitesse d’expansion. La concurrence le suit de près.