Tout est communautaire, y compris par conséquent cette édition de Filet Pur qui non seulement révèle de nouveaux transferts sans précédent, mais pointe aussi les ambitions sournoises de Colruyt . Exclusif ! Et choquant !
Grands naïfs et forêt tropicale
L’activisme, le fléau de la décennie. Quand même les actionnaires de grandes entreprises commencent à se comporter comme les adeptes du mouvement woke de la génération Z, vous savez qu’on est mal barrés. Imaginez-vous : des investisseurs un peu trop zélés exigent de Tesco, le leader sur le marché britannique, qu’il agisse contre l’obésité – le fléau du siècle. Ces grands naïfs pensent-ils vraiment que cela fera monter le cours de leurs actions ? Ne feraient-ils pas mieux de revoir les principes de base de l’économie ? Pour gagner de l’argent, un supermarché ne doit-il pas précisément tenter de vendre un maximum de bonbons et de boissons ?
Bon, ils vont changer leurs habitudes, ils l’ont promis. Et par extension le monde entier – car avec Ahold Delhaize et Aldi, ils ont écrit une lettre de menace à Jair Bolsonaro : qu’il ne touche plus à la forêt tropicale ou plus une graine de soja brésilien n’entrera plus jamais en Europe. Curieux de voir ce qui en ressortira. Et comme si cela ne suffisait pas, Wouter Kolk veut lui aussi « rendre quelque chose à la société ». Une application plutôt vague, qui combine cours de cuisine et conseils pour postuler à un emploi. Nous supposons qu’un astucieux business plan se cache derrière l’initiative, mais en l’état, elle reste plutôt énigmatique.
Pas de surprise
Heureusement, il reste des multinationales qui gardent les pieds sur terre. « Meet the new boss, same as the old boss », chantaient les Who dans leur magistral Won’t Get Fooled Again – des paroles légendaires reprises aujourd’hui en chœur par le brasseur géant AB InBev. Carlos Brito prend une retraite anticipée et remet les clés du siège à son compatriote Michel Doukeris. Nous aurions également pu citer Radiohead : no alarms and no surprises. Il ne faut en effet s’attendre à aucun changement de cap radical : le nouveau patron, à qui l’on doit la mode du hard seltzer, dépensera sans doute moins en acquisitions, mais ce n’était pas difficile… Brito était certes réputé pour sa politique stricte de réduction des coûts, mais lui-même n’était pas à un ou deux millions d’euros en plus ou en moins, laissant ainsi la brasserie avec une montagne de dettes. Penny wise, pound foolish. Mais pas de panique, les ventes de bière vont exploser à partir de samedi. Pas vrai ?
C’est également une bonne nouvelle pour le grossiste en foodservice Metro, qui compte sur une forte reprise à partir de cet été, quand l’horeca européen pourra à nouveau tourner à plein régime. Plus que quelques semaines à se ronger les ongles. Reste à voir si ces assouplissements soulageront également des magasins Makro à l’agonie en Belgique et aux Pays-Bas. Les pertes reportées se chiffrent en centaines de millions. Comme j’ai déjà donné trop souvent mon unpopular opinion sur ce dossier, je vais donc laisser la parole à quelqu’un d’autre : « Un concept usé et dépassé », affirme l’expert de la grande distribution Paul Moers. Bref…
Le couteau sous la gorge
Qui aurait cru que la révolution numérique partirait du Limbourg ? Car oui : Hopr, le premier supermarché 100% en ligne du pays, a choisi Hasselt comme marché test – probablement parce que les habitants sont sympas, les allées bien dégagées et les embouteillages rares. L’assortiment complet est en ligne depuis lundi. Et suscite immédiatement des interrogations chez les plus intrépides défenseurs des intérêts des consommateurs de notre pays : Test-Achats le trouve plutôt maigre et surtout beaucoup trop cher. Un pure player ne devrait-il pas être moins cher qu’une chaîne de magasins physiques ? Si Picnic, le grand exemple, en est capable…
Sa camionnette électrique semble ainsi être la seule USP du nouveau venu par rapport aux autres sociétés de livraison de courses. Et plus pour longtemps, car Carrefour va également faire appel à des véhicules électriques depuis son tout nouveau centre de distribution e-commerce de Willebroek, qui compte 16 000 références et traitera bientôt 5 000 commandes par jour. À des prix compétitifs qui plus est, puisque le retailer a désormais officiellement l’autorisation de mettre le couteau sur la gorge de ses plus grands fournisseurs en tandem avec Provera. La foodretail et son univers impitoyable…
Pression
Tout est communautaire dans ce pays, y compris les courses. Les transferts les plus scandaleux y sont monnaie courante. Du sud vers le nord, en l’occurrence. De l’argent durement gagné qui file directement des comptes des pauvres consommateurs wallons aux poches bien garnies de Jef Colruyt. Car que révèlent les nouvelles mesures de Test-Achats ? Les supermarchés Colruyt sont jusqu’à 7% plus chers au sud qu’au nord. Il en résulte logiquement un creusement des inégalités : les riches Flamands deviennent encore plus riches, les pauvres Wallons encore plus pauvres. Qu’en pense Raoul Hedebouw ? Apparemment, il n’a pas le temps de lire RetailDetail.
L’explication est pourtant claire : les Hollandais accentuent la pression dans le nord du pays. Si Albert Heijn et Jumbo n’existaient pas, le pouvoir d’achat du citoyen flamand serait mal en point. Nous leur devons une gratitude éternelle. À certains plus que d’autres d’ailleurs : le Péril Jaune n’a pas ouvert un seul magasin en Belgique au cours des quatre premiers mois de 2021, alors qu’à Ingelmunster, Bébert en était déjà à sa troisième inauguration de l’année. Les affaires roulent. Vous voyez que la concurrence libre et sans entrave est une bénédiction. Le capitalisme marche. Car de concurrence, il n’en est pratiquement pas question dans la partie rouge du pays, en dessous de la frontière linguistique. Même Intermarché reste plus de 20% plus cher que le leader du marché, malgré les promotions-chocs de cette semaine (c’est la semaine dingue, profitez-en !). 20% : c’est se moquer du consommateur wallon, non ?
À la chaîne
Enfin, bref. Le résultat est qu’à Halle, ils ne savent tout simplement plus que faire de leur argent. À la banque, il ne rapporte rien, et il est impossible de racheter ses propres actions indéfiniment, pas vrai ? Donc ils enchaînent les achats impulsifs. Je sais maintenant qu’il est inutile d’envisager souper à 18 heures un lundi soir : un nouveau communiqué de presse tombera irrémédiablement dès la fermeture de la Bourse. Il y a une semaine, c’était une entreprise de restauration spécialisée dans les maisons de retraite, lundi dernier, c’était la chaîne de fitness JIMS, qui n’est pas en grande forme d’ailleurs. Une bonne affaire, sans aucun doute. Mais pour en faire quoi ? Refourguer des abonnements à une salle de sport aux titulaires de la carte Xtra ? Remplir de tapis de course les espaces excédentaires des supermarchés ?
Filet Pur vous le dit : Jef se prend pour Jeff. Il nous fait une Amazonite… À l’instar d’Amazon qui envahit l’intimité du consommateur où qu’il se trouve dans le monde et à toute heure de la journée avec des services de streaming, du cloud, de la logistique, des soins de santé, des assurances et de l’alimentation en plus de sa camelote bon marché dans toutes les catégories de produits possibles, Colruyt Group veut faire partie de votre, de notre vie privée, sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Ils font simplement le chemin inverse : eux partent du supermarché pour aller dans d’autres domaines comme la mode, les jouets, le sport, l’agriculture, l’énergie et la santé… Et ils ne s’arrêteront jamais. Si quelqu’un a une entreprise de bricolage à vendre : appelez Jef, il est intéressé. Une belle chaîne de restaurants ? N’hésitez pas. Hé, pourquoi pas un groupe hospitalier ? Le gouvernement envisagerait-il toujours de privatiser la SNCB ? Tout est permis, aux meilleurs prix. Ce n’est donc qu’une question de temps avant que Colruyt ne fasse ses premiers pas dans le tourisme spatial : Envoie-moi sur la lune, Jef. Dans une capsule orange vif ornée du logo CARA (pour Colruyt Aerospace Rocket Agency). Here am I, sitting in my tin can far above the moon… À la semaine prochaine !
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