Alors que le pays est presque entièrement saturé de supermarchés, la bataille pour la domination totale se déplace vers les nuages. La concurrence dans le food-retail se transforme ainsi en une véritable « course à l’espace ». Filet Pur pointe déjà les gagnants et perdants potentiels.
Capital-risque en feu
On le sait : le food-retail est le théâtre d’une véritable race to the bottom, une concurrence meurtrière. Mais une autre course s’y déroule en parallèle : la course vers votre porte d’entrée, pour être le plus rapide. « Commandé aujourd’hui, livré demain » est désormais une proposition complètement dépassée. Une blague… Une promesse de livraison le jour même est un aveu de faiblesse. Si vous ne parvenez pas à déposer ses courses sur le pas de la porte de votre client dans la demi-heure qui suit, autant abandonner immédiatement la partie.
Résultat ? Dans l’Europe entière, les livreurs éclair, ultra-courriers et autres sociétés de livraison sprint – ou tout autre nom que vous voudrez bien leur donner – poussent comme des champignons. Ils s’appellent Gorillas, Getir, Glovo, Everli ou Weezy (dont un Belge, d’ailleurs : Kristof Van Beveren, l’homme de Showpad) et promettent tous plus ou moins la même chose : un long sprint en vélo électrique jusqu’à l’adresse de votre choix, avec un sac rempli de nourriture sur le dos. Bien entendu, le véritable modèle économique de ces start-up se déroule dans les cercles financiers (principalement à Londres), car le jeu consiste à brûler le plus de capital-risque possible. Mais en attendant, ils viennent complètement bouleverser les acteurs établis du food-retail.
Grosse empreinte
Car quand même un géant habituellement aussi prudent et attentiste qu’Aldi s’y met, vous savez qu’il n’y a plus le choix. Dans les belles villes de Barcelone et de Lisbonne, les clients affamés peuvent désormais se faire livrer à domicile dans la demi-heure par les courriers à vélo de Glovo. Un jeu d’enfant pour l’instant, puisqu’il n’y a aucun touriste sur le chemin. Et il ne s’agit que d’un tour de chauffe avant un déploiement européen. Curieux de voir ce qui en ressortira.
Bien sûr, ces nouveaux venus ne font qu’imiter le modèle commercial qui a permis à des prédécesseurs visionnaires comme Uber Eats et Deliveroo d’ouvrir le marché en livrant non seulement des plats de restaurant, mais aussi des courses urgentes. Carrefour s’est donc empressé d’étendre encore un peu plus son partenariat avec Deliveroo : c’est à présent au tour de Paris, Anvers et Gand. Qu’ils se soient également associés à Uber Eats et qu’ils aient lancé dans la foulée leur propre service de livraison à vélos, Shipto, n’est pas un problème : tous ces services sont complémentaires, dit-on. L’important est d’être omniprésent : de la même manière que l’objectif est de développer un réseau comptant autant de magasins bien situés que possible dans l’espace physique, la stratégie consiste ici à établir l’empreinte la vaste plus vaste possible dans l’espace numérique. C’est ce qu’ils font. Une véritable course à l’armement dans le nuage.
Pourboires
Un modèle qui a du potentiel ? Le fiasco de Deliveroo en Bourse semble indiquer que les investisseurs ont de sérieux doutes quant à la viabilité future du concept. Qu’une entreprise exploite des étudiants innocents en les envoyant sillonner les rues à vélo pour des salaires de misère et sans protection sociale ne soulèvera sans doute pas d’objections morales parmi les riches investisseurs, mais les questions pratiques demeurent. Combien de temps les gouvernements encore vont-ils fermer les yeux sur cette situation ? Bref….
Et pourtant : un service de livraison de vélos a réussi à récolter les sous nécessaires à sa croissance. La société londonienne Supper paie ses livreurs salariés 10,5 euros de l’heure et leur offre des congés payés. Mais il ne s’agit pas de livreurs ordinaires, plutôt des majordomes en bonne et due forme qui livrent des plats des restaurants étoilés en scooter de luxe à des stars du foot et des managers de grandes entreprises. Avec de tels clients, vous avez une certaine marge. Et de bons pourboires, sans doute. Ça aide.
Rouge de honte
Les bières régionales évincent les pintes ordinaires des rayons des supermarchés. La pils doit se réinventer, lisons-nous. Évidemment, le dossier nous intéresse. Le plus grand brasseur au monde est pourtant en train de réaliser le coup marketing de l’année : le lancement de la campagne Jupiler en prévision du Championnat d’Europe de football. Un Euro que notre équipe nationale ne peut que perdre, vu l’ampleur des attentes. « C’est maintenant ou jamais pour les Diables rouges, toute aide est donc la bienvenue », dit-on chez AB InBev. C’est une façon de voir les choses. Résultat : le leader sur le marché des blondes les teint temporairement en rouge. Pas sûr que cela aide nos Diables. Mais c’est effectivement du jamais vu… Allez, tous ensemble tous ensemble : du moment qu’ils ne sortent pas rouges de honte…
Rouges de honte, c’est également ce que devraient être les dirigeants d’Ahold Delhaize, du moins selon les sources anonymes du Volkskrant. Leur conflit avec les rivaux Jumbo au sujet d’Hema ferait de nombreux dommages collatéraux. Les accusations d’abus de pouvoir ne manquent pas, au contraire de l’arme du crime. Pour moi, ce sont surtout les journalistes qui espéraient se distinguer en levant ce lièvre qui devraient être rouges de honte. Et puisqu’on en est au péril jaune : Jumbo espère être accueilli à bras ouverts par nul autre que Jean-Marie Dedecker, le chroniqueur-populiste qui, à ses heures perdues, est aussi bourgmestre de la belle cité balnéaire de Middelkerke. La chaîne de supermarché veut s’y établir entre un Colruyt, un Aldi, un Lidl et quelques autres. Ça va être amusant.
Marché de croissance gigantesque
Ces Parisiens prétentieux ne savent pas apprécier les merveilles de notre gastronomie. Ils n’aiment pas les produits Boni, et encore moins ceux d’Everyday. C’est du moins ce que l’on peut conclure de la timide tentative de Colruyt de conquérir la région Île-de-France, qui a pris fin après à peine trois ouvertures de magasins. Ils vont donc vendre les locaux à Carrefour – du moins, si le chien de garde de la concurrence est d’accord. Ce qui soulève encore quelques questions.
Par exemple : Colruyt a-t-il réellement une stratégie en France ? Une petite expérience en Alsace offre-t-elle des perspectives ? Belle région, bon vin, pas de problème. Mais une croissance organique à un rythme (très) modéré, dans un coin reculé d’un marché dominé par E. Leclerc, Carrefour, Casino, Intermarché et compagnie ? On pourrait éventuellement voir cet exercice français comme une étude de marché en vue d’une éventuelle acquisition. Mais si ce n’est pas le cas, peut-être vaut-il mieux tout vendre et mettre la clé sous le paillasson, vu le gaspillage d’énergie et de ressources que cette présence outre-Quiévrain implique… Il y a quelques années, ils s’étaient déjà lancés dans une tentative tout aussi timide et donc vouée à l’échec aux Pays-Bas, vous vous souvenez ? Non, Colruyt et nos pays voisins, ça ne colle pas. Peut-être pourraient-ils essayer l’Inde ? Un marché en pleine croissance. Jef aime y méditer et ils ont déjà une société informatique. Qu’est-ce qui les retient ? À la semaine prochaine !
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