Quand on se prénomme Albert, on ne devrait avoir aucun problème pour se mêler aux francophones, n’est-ce pas ? Reste à apprendre la langue. Mais ce constat vaut dans les deux sens : qu’attendent ces ambitieux entrepreneurs wallons ? Filet Pur a mené l’enquête.
En avant, marche !
Nous avons commencé la semaine par une belle fête d’anniversaire. Mardi, cela faisait exactement dix ans qu’Albert Heijn lançait à Brasschaat une campagne des Flandres qui dépassera toutes ses espérances. Une décennie que nous avons célébrée en grande pompe, avec une édition spéciale anniversaire de notre lettre d’information, y compris une double interview approfondie de la CEO Marit van Egmond et de celui qui était à l’époque le premier employé belge de la chaîne et qui en est désormais le Country Manager pour la Belgique : Raf Van den Heuvel. Ne vous laissez pas abuser par leur modestie naturelle : qu’Albert Heijn soit déjà passé aussi vite d’une simple curiosité à une valeur sûre en Flandre est un authentique exploit.
Nous avons également pris la peine de sonder quelques experts autoproclamés du retail, qui ont été unanimes sur un point : la frontière linguistique est la next frontier pour la petite usine à promotions bleue. Si Kruidvat et Zeeman y sont parvenus, AH doit pouvoir le faire. Allez Albert : En avant, marche ! Le premier franchisé flamand ne cache pas sa fierté. Vous n’entendrez pas Marco Van Ende prononcer un mot de travers, mais pour l’ancien vilain petit canard du foodretail flamand, diriger aujourd’hui quatre supermarchés aussi magnifiques que prospères doit avoir un petit arrière-goût de revanche bien agréable. S’ensuivait une analyse qui concluait, pour faire court, que Bébert avait donné un coup de pied au derrière bien mérité à l’ensemble de la grande distribution belge. Avec une réduction bonus, comme il se doit.
Le reste appartient à l’histoire
En bref, une édition spéciale particulièrement riche. Mais tout cela n’était-il pas un peu exagéré ? Fallait-il vraiment sortir le grand jeu ? Oui, vraiment. Non seulement parce que cette décennie d’Albert Heijn en Belgique a secoué le secteur, mais aussi parce que leur arrivée il y a dix ans a été une étape importante pour RetailDetail.
Car notre Grand Timonier barbu, aujourd’hui également connu sous le nom de Capitaine Iglo du retail, avait été informé plusieurs mois avant tout le monde des projets que ces Hollandais fomentaient à Brasschaat. Et quand ils ont paniqué à l’idée que leur Grand Secret puisse être dévoilé, ils ont carrément envoyé à Anvers leur grand sachem Sander van der Laan (qui préside désormais aux destinées d’Action) pour conclure un deal avec M. Snoeck en personne – lequel n’a eu besoin que de deux Duvel à peine pour accepter de faire vœu de silence en échange de quelques scoops mâtinés d’interviews exclusives. Le reste appartient à l’histoire. La concurrence (dont je faisais partie à l’époque) n’a pu qu’observer impuissante l’avalanche de primeurs qui a déferlé par la suite. Ce sourire éclatant n’a plus jamais quitté son visage depuis. Vous savez désormais pourquoi.
Plus est en vous !
Mais revenons au cœur du sujet. Si aucune nouvelle fusion ne vient tout bouleverser, Albert Heijn atteindra son fameux objectif de 100 magasins dans quatre bonnes années. Et les voyez vraiment se contenter ensuite d’un « Ok, on y est, bon boulot les gars, on s’arrêter là » ? Exactement. Dans la presse francophone, le retailer a formellement répété n’avoir actuellement aucun projet concret pour WalloBrux. Loin de nous l’idée de les accuser de mentir éhontément, mais quand même.
Des préparatifs secrets ne seraient-ils pas en cours ? Avec trois magasins tests bilingues dans la périphérie bruxelloise, ils en apprennent déjà beaucoup sur leurs concitoyens francophones – et d’autres ouvertures sont prévues. En bref, si j’étais un aspirant entrepreneur wallon désireux de me lancer dans le retail, je m’inscrirais immédiatement à un cours de néerlandais, histoire de pouvoir aller prendre un café à Zaandam. Bon, je ne suis ni wallon ni ambitieux, mais je me pose la question : où est le Jan Peeters du Sud ? C’est quand même énorme opportunité à saisir. Plus est en vous !
À la française
Albert Heijn pourrait notamment s’inspirer de Picnic, qui, ville par ville, est également en train de conquérir non seulement les Pays-Bas et l’Allemagne, mais aussi, bientôt, le nord de la France. Plus précisément Valenciennes, une ville industrielle où il n’y a pas manifestement grand-chose à faire (quand Tripadvisor place l’hôtel de ville dans le top 3 des lieux à visiter, vous savez ce qu’il en est), mais dont les habitants pourront bientôt se faire livrer leurs courses à domicile par minibus électrique. En français.
Picnic va ainsi mettre fin à la domination du Drive – le point d’enlèvement à la française – outre-Quiévrain. Avec un coup de main de Cora, apparemment le seul qui ait été prêt à prendre le risque. En Allemagne, ils bénéficient de l’appui du leader du marché, Edeka, ce qui a quand même une autre allure. On aurait pu penser que les Allemands donneraient un coup de fil à E. Leclerc, leur allié au sein d’AgeCore. Mais manifestement, ce n’est pas comme ça que ça marche. Michel-Edouard n’avait pas envie. Soit.
Suivez l’argent
Reste à savoir pourquoi Picnic ignore si obstinément notre beau petit pays ? Pourquoi manquer ainsi l’occasion de conquérir une ville aussi superbe qu’Anvers avant de descendre lentement vers la Méditerranée ? Bref…. Peut-être la Belgique est-elle trop insignifiante pour avoir une place dans ces plans ambitieux. Un tel pure player reste un modèle particulier, dont le core business consiste à faire partir de l’argent en fumée. La start-up ne sert les consommateurs que pour mettre la main sur du capital-risque. Ce qu’ils veulent, c’est toucher le jackpot : follow the money. En franchissant la frontière belge, vous ne ferez pas la Une des Echos ou du Financial Times.
C’est aussi la raison pour laquelle Amazon n’ouvre pas ses premières supérettes sans caisse Fresh dans la capitale de l’Europe, mais à Londres, qui, en dépit du Brexit, reste le port d’attache de la Grande Finance Internationale. La deuxième inauguration est intervenue une semaine à peine après la première. À nouveau dans la partie occidentale de la ville, la plus riche. Et d’autres sont annoncées. Même les observateurs locaux ont été surpris par ce blitzkrieg. Ealing n’était donc pas un simple test : ils ont vraiment décidé de lâcher les chevaux. Amazon suit manifestement la même stratégie qu’Albert Heijn en Belgique : mettre le marché sous pression jusqu’à ce qu’un concurrent exsangue vienne quémander une « fusion entre égaux ». On sait désormais qu’un tel plan peut fonctionner au-delà de toute espérance. À la semaine prochaine !
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