Six ans après la fusion, les ambitions démesurées de Kraft et Heinz laissent place à un constat amer : la fameuse stratégie « buy&build » est un échec. Avec la vente de sa division Fruits à coque, le groupe se replie encore un peu plus sur son cœur d’activités. Une réinterprétation du mythe d’Icare ?
Cacahuètes
Six ans presque jour pour jour après la création de Kraft Heinz par le gourou de l’investissement Warren Buffett et le fonds d’investissement brésilien 3G en 2015, on apprend que le géant de l’agroalimentaire va vendre ses activités dans les fruits à coque – sa filiale danoise Planters – à son rival Hormel Foods.
Ce dernier met sur la table le montant assez généreux de 3,35 milliards de dollars (2,76 milliards d’euros). Pour Hormel, déjà active dans le secteur des fruits à coque avec notamment la marque de beurre d’arachide Skippy, l’acquisition permet indéniablement de renforcer des activités existantes.
Et c’est précisément le point faible du château de cartes édifié par Buffett et 3G ces dernières années : si Kraft Heinz repose essentiellement basée sur les deux marques du même nom, la stratégie d’acquisitions agressive qu’il a menée a conduit à l’ajout d’un trop grand nombre de pièces rapportées qui ne renforcent pas suffisamment la structure globale et ont dispersé le groupe.
Unilever
En soi, la décision de Kraft Heinz n’a rien d’étonnant. Les Brésiliens de 3G voulaient manifestement reprendre la recette d’AB InBev : grossir par des acquisitions osées et puis rentabiliser l’opération par une chasse impitoyable aux économies et aux synergies, une stratégie qui avait permis à la modeste multinationale InBev de devenir premier brasseur mondial.
Ce qui s’était notamment traduit en 2017 par une tentative très audacieuse de prendre le contrôle d’Unilever. Que le groupe anglo-néerlandais soit beaucoup plus grand que Kraft Heinz n’avait pas empêché ces derniers de mettre quelque 120 milliards d’euros sur la table. Mais la tentative de rapprochement a été immédiatement rejetée par le conseil d’administration d’Unilever. Et quand la Première ministre britannique de l’époque Theresa May a commencé à s’immiscer dans le dossier, Kraft Heinz a été contraint de faire marche arrière. Les Américains auraient ensuite jeté son dévolu sur Danone, mais ces rumeurs ne se sont jamais concrétisées par une offre officielle.
Déclin
C’était le début d’un long déclin. Au moment de l’offre sur Unilever, les actions de Kraft Heinz avaient atteint un sommet d’un peu moins de 97 dollars. Aujourd’hui, elles se négocient aux alentours de 35 dollars. Kraft Heinz a bien poursuivi ses activités cahin-caha durant les années suivantes, mais il était déjà clair parmi les dirigeants qu’il fallait intervenir.
C’est ce qui s’est produit en 2019. Le CEO Bernardo Hees a été renvoyé, remplacé par Miguel Patricio, l’ancien directeur marketing de (oui, oui) AB InBev. Lequel a immédiatement décidé de procéder à un grand nettoyage. Plusieurs opérations comptables ont d’abord abouti à 15 milliards de dollars de dépréciations sur des marques qui ne répondaient pas aux attentes.
Patricio veut à présent se concentrer sur son cœur d’activités : les arômes, les plats cuisinés et les snacks. En septembre dernier, il a ainsi vendu la division fromage à Lactalis pour quelque 2,6 milliards d’euros. Et c’est à présent le tour des fruits à coque de Planters.
L’agroalimentaire n’est pas la bière
En soi, il serait trop sévère de dire que les propriétaires de Kraft Heinz ont commis une erreur. Mais pour un groupe qui tente de se positionner dans l’industrie agroalimentaire au sens large, il n’y a guère de sens à copier la stratégie d’acquisitions d’une société strictement concentrée sur un produit particulier – le directeur général d’AB InBev, Carlos Brito, a toujours affirmé qu’il n’avait aucune ambition en dehors du secteur brassicole.
Buffett et 3G semblent ainsi avoir sous-estimé la question quand ils se sont lancés dans l’aventure Kraft Heinz en 2015. Peut-être, comme l’a subtilement remarqué le FT, sont-ils meilleurs pour négocier un bon prix sur une vente que pour racheter de nouvelles activités.