Si un acteur européen, et non un acteur étranger comme le canadien Couche-Tard, se présentait comme candidat au rachat du groupe de supermarchés français Carrefour, la France serait probablement favorable à un accord. C’est ce qu’a déclaré Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes.
Souveraineté alimentaire
Récemment, le gouvernement français s’est démené comme un diable dans un bénitier lorsque le groupe canadien Couche-Tard s’est présenté comme potentiel repreneur de Carrefour. Tandis que les Canadiens menaient des discussions préliminaires et amicales avec le PDG de Carrefour, Alexandre Bompard, le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, est monté au créneau.
Le Maire a brandi des termes tels que « souveraineté alimentaire » pour accréditer son opposition. Il considère Carrefour comme un « maillon essentiel » de l’approvisionnement alimentaire français, qui ne doit pas tomber entre des mains étrangères. Un choix de mots fort, qui devait en réalité masquer un réflexe protectionniste typiquement français. Dans un excès de zèle, Le Maire a laissé entendre que les pâtes ou le riz pourraient soudainement disparaitre des rayons de Carrefour si la chaîne était cédée à des étrangers.
La rhétorique quelque peu exagérée a pourtant eu l’effet escompté, puisque les discussion de rachat entre Carrefour et Couche-Tard ont été rapidement interrompues. Plutôt qu’un rachat, les deux entreprises étudient désormais un nouveau partenariat pour l’avenir.
Un processus d’évaluation différent pour les entreprises européennes
Pas touche à Carrefour, donc ? Pas tout à fait, semble-t-il. Le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes a accordé une interview à la chaîne de télévision LCI, dans laquelle il a indiqué qu’un éventuel candidat européen pour le rachat Carrefour se heurterait à nettement moins de résistance : « Nous appliquons un processus d’évaluation différent pour les entreprises européennes », a indiqué Beaune. « Notre priorité est la souveraineté nationale et européenne. »
Beaune s’est toutefois empressé d’ajouter que les intéressés avaient tout intérêt à attendre la fin de la crise du coronavirus. Cette crise a renforcé l’importance stratégique de Carrefour pour les Français. « Aucune offre n’a été soumise pour Carrefour à l’heure actuelle, mais ce ne serait de toute façon pas une bonne option », a ajouté Beaune.
Plus de leviers français dans un accord européen
La position de Beaune n’est pas tout à fait surprenante. Dans un paysage européen, le gouvernement français disposerait de beaucoup plus de leviers pour sauvegarder les intérêts de la France dans un éventuel accord. Mais de facto, cela signifie surtout que le rachat de Carrefour n’aura pas lieu dans un avenir proche. Un acheteur français est déjà exclu : le chevauchement considérable entre le réseau de magasins de Carrefour et ceux de ses concurrents rend impossible les économies d’échelle.
Et dans le reste de l’Europe, peu d’acteurs ont la capacité pour réaliser une telle prise de contrôle. On peut se demander si Ahold Delhaize, avec une branche belgo-hollandaise et une branche américaine, aurait vraiment envie de se lancer en plus dans une aventure française, avec une montagne de défis dont Carrefour n’est pas encore venu à bout pendant toutes ces années.
Le seul candidat pourrait être le britannique Tesco . Le groupe travaille déjà avec Carrefour dans le domaine des achats. Une combinaison des deux donnerait sans aucun doute naissance à un champion européen. Reste à savoir si la France considère toujours un acteur britannique comme « européen » dans un monde post-Brexit.