Jeff Bezos, fondateur et PDG du géant d’Internet Amazon, annonce son retrait à la surprise générale. Dès le troisième trimestre de cette année, il passera le flambeau à Andy Jassy, actuellement à la tête de la branche des services cloud Amazon Web Services.
Premier livre vendu en 1995
On a trop souvent tendance à enjoliver les accomplissements des personnalités de renom. Pourtant, dire que Jeff Bezos a complètement bouleversé le secteur de la vente au détail au cours des 25 dernières années est presque un euphémisme. Et bien plus.
En 1995, après avoir choisi de se consacrer entièrement à Internet suite à une brève carrière à Wall Street, Bezos vendait son premier livre sur sa librairie en ligne, qu’il avait finalement baptisée Amazon après une recherche laborieuse. Le livre en question ? « Fluid Concepts and Creative Analogies: Computer Models of the Fundamental Mechanisms of Thought », par Douglas Hofstadter. Un titre assez obscur pour une initiative qui n’avait pas fait grande impression sur les observateurs de l’époque.
Appréciation de plus de 10 000%
Les experts en commerce de détail étaient en effet unanimes : Amazon serait rapidement pulvérisé par les grandes chaînes existantes une fois qu’elles se seraient également lancées sur Internet. Mais Bezos avait bien compris que ces grandes chaînes ne pouvaient pas faire le grand saut du jour au lendemain. Il a enfoncé la pédale d’accélération.
À peine deux ans plus tard, Amazon faisait son entrée en bourse. À l’époque, le prix de l’action s’élevait à 18 dollars. Qui avait alors eu le cran d’investir environ 1 000 dollars dans la petite librairie de Bezos possède aujourd’hui un paquet d’actions d’une valeur de 1,14 million de dollars. Ce qui revient à une appréciation de plus de 10 000%. Une course folle en bourse, rendue possible par la détermination sans faille de Bezos : faire d’Amazon un maillon indispensable sur Internet et, par extension, dans notre quotidien.
Bezos a développé l’offre d’Amazon à une vitesse éclair. Avec des ajouts logiques au départ, comme des CD et des DVD, mais l’offre n’a cessé de s’élargir, y compris pendant la crise dotcom, qui a mis l’entreprise en difficulté à plusieurs reprises. L’entrepreneur a continué à innover, insufflant à son entreprise en pleine croissance une mentalité de start-up perpétuelle.
Un monstre flambeur
Cette stratégie a eu un prix : pendant des années, Amazon est apparu comme un monstre flambeur. Les bénéfices et les marges étaient subordonnés à la croissance et à la part de marché. Une stratégie risquée, mais Bezos est chaque fois parvenu à financer ce rythme de croissance fulgurant. Jusqu’à ce qu’il atteigne l’échelle souhaitée, et les profits ont alors suivi presque naturellement.
Les chiffres sont stupéfiants. Au quatrième trimestre de 2020, ce compris la période cruciale des soldes de fin d’année, Amazon a franchi pour la première fois de son histoire la barre des 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires (125,6 milliards de dollars ou 104,3 milliards d’euros). En 3 mois. Le bénéfice par action a atteint 14,09 dollars (11,7 euros), alors que les analystes avaient statué en moyenne sur 7,34 dollars par action. Alors qu’Amazon a déjà largement fait ses preuves, le monde extérieur continue encore à sous-estimer Bezos.
Ce succès n’a pas seulement porté un coup dur aux chaînes de magasins classiques, pour ne pas citer la chaîne de librairies Barnes & Noble désespérément à la dérive. Le modèle d’Amazon a été largement copié depuis, avec des résultats mitigés. Il suffit de penser au secteur des services de taxi, comme Uber, ou des livraison de repas. Plusieurs joueurs s’affrontent en adoptant la même stratégie : devenir le numéro 1, et le profit suivra.
Cocotte-minute d’expériences de vente au détail
Multipliant les entrées dans d’autres secteurs, comme le streaming vidéo, Amazon reste une cocotte-minute d’expériences de vente au détail. L’acquisition de la chaîne américaine de supermarchés haut de gamme Whole Foods a surpris beaucoup d’observateurs. Que comptait faire une boutique en ligne avec un réseau de près de 500 supermarchés physiques ? Mais là encore, Bezos a fait taire la critique. Les magasins Whole Foods ont offert à Amazon un réseau avec lequel développer ses services de livraison à domicile.
Et les expériences d’Amazon avec les magasins physiques ne s’arrêtent pas là. Il y a les magasins entièrement sans caisses Amazon Go, regorgeant d’innovations technologiques. Et, cerise sur le gâteau, les librairies physiques Amazon Books. Qui aurait tendance à lever les yeux au ciel en entendant parler de stratégies omnicanal devrait y réfléchir à deux fois. Si Amazon s’y met, c’est qu’il y a quelque chose à en tirer.
Pas un au revoir, mais un nouveau poste
Bezos considère l’invention (et la réinvention) comme le moteur de sa stratégie à la tête d’Amazon ces 25 dernières années. « Si vous le faites bien, une invention étonnante devient quelque chose de normal au bout de quelques années », écrit-il. « Les gens bâillent. Ce bâillement est le plus grand compliment qu’un inventeur puisse recevoir. Lorsque vous regardez nos résultats financiers, vous regardez en fait la somme d’une longue série d’inventions. Aujourd’hui, Amazon est au sommet de son inventivité, c’est donc le moment idéal pour opérer cette transition. »
Ce n’est pas une coïncidence si le successeur de Bezos vient d’Amazon Web Services. L’offre de services cloud à des tiers est entre-temps devenue le moteur de croissance d’Amazon. Et ce moteur est déjà une puissante « muscle car » brassant un chiffre d’affaires de 45 milliards de dollars.
Bezos pourra désormais se concentrer davantage sur ses nombreux projets annexes, notamment l’entreprise spatiale Blue Origin. C’est l’une des raisons pour lesquelles le nom de Bezos est souvent associé au PDG de Tesla et SpaceX, Elon Musk. Mais il ne renonce pas encore complètement à l’œuvre de sa vie : Bezos deviendra président exécutif, ce qui lui permettra de rester impliqué de près dans les grandes décisions stratégiques. « Jeff ne part pas, il change de poste », comme l’a indiqué le directeur financier, Brian Olsavsky.