L’acquisition de e5 Mode par les frères Kristof et Peter De Sutter est pour le moins ambitieuse dans un contexte particulièrement difficile. Pourtant, ils prévoient déjà l’ouverture de quatre magasins. Quelles sont les chances de réussite ?
Des magasins supplémentaires déjà au programme
Faire en sorte que « l’icône flamande e5 soit à nouveau florissante », tel est le souhait de Peter De Sutter, le nouveau co-PDG de e5 Mode. Comment les frères du secteur textile comptent-ils s’y prendre ? Les projets d’avenir se révèlent vastes et ambitieux, en particulier dans le contexte actuel du coronavirus. Non seulement les 55 magasins physiques en Flandre seront maintenus, mais en plus de nouveaux magasins ouvriront. Le duo miroite déjà sur quatre nouveaux emplacements.
L’expérience physique manque aux consommateurs, qui reviendront dans les magasins après la crise du coronavirus, pense-t-il. Néanmoins, la numérisation figure aussi à l’ordre du jour : la boutique en ligne devra représenter 20% du chiffre d’affaires et le « marketing direct » en ligne sera renforcé. Les projets font écho à la vision de l’ex-PDG, Ronald Boeckx, qui avait déjà fait valoir dans RetailDetail le potentiel du groupe cible plus âgé de e5 Mode, tant dans le monde réel que virtuel.
Bien que les « silver surfers » aient une forte présence en ligne, ce groupe cible attache toujours une grande importance au service personnel en magasin. Le personnel de la chaîne, expérimenté et souvent un peu plus âgé, inspire confiance. Les tailles et les coupes sont souvent plus difficiles à choisir pour ce groupe cible, ce qui limite également les offres en ligne et chez les concurrents.
Retour d’une « icône flamande » ?
Reste à savoir combien de temps ce modèle restera d’application, une fois qu’une nouvelle génération de personnes âgées entrera en scène. Celle-ci sera encore plus habituée au numérique et mieux informée, tout en ayant moins de liens historiques avec cette « icône flamande » au nom vieillissant. En interne, e5 Mode envisage depuis déjà plusieurs années un relooking à grande échelle, mais il y a eu d’autres priorités.
C’est pourquoi les De Sutter veulent maintenant proposer des collections plus larges et « plus complètes » avec, outre des marques privées, des « marques européennes abordables et sympathiques ». C’est probablement là que les autres filiales de Kristof et Peter De Sutter entreront en jeu : en tant que fabricant international de vêtements et de jeans, ils pourraient impliquer d’autres clients dans la relance de e5 Mode pour créer leur propre réseau intégré. D’ailleurs, avec leur filiale Ansi , ils fournissaient déjà des jeans à e5 Mode ; une collaboration qui a finalement abouti à cette acquisition.
Les banques ne participent pas
Le coût de tous ces rêves ? Trois millions d’euros supplémentaires viendront s’additionner au prix d’achat de 2,5 millions. Et c’est justement là que se posent les véritables défis pour cette entreprise risquée : e5 Mode est fortement déficitaire depuis plusieurs années, et les acheteurs eux-mêmes admettent qu’ils ne pourront pas compter sur le soutien des grandes banques.
Même une garantie bancaire du véhicule gouvernemental Gigarant sur 75% de la somme prêtée n’a pas convaincu les banques. Belfius a fait volte-face à la dernière minute et BNP Paribas , en tant que créancier de e5 Mode, s’est opposé à l’offre parce qu’elle n’était pas la plus élevée. Le seul point positif est que les De Sutter ont repris e5 Mode sans les dettes et que les deux cycles de réorganisation de l’année dernière ont déjà permis d’importantes réductions des coûts. Tous les magasins en Wallonie ont en effet été fermés en 2020.
Second plan
Néanmoins, le financement reste un facteur d’incertitude : il aura fallu beaucoup de stratagèmes de dernière minute pour se présenter au tribunal mardi dernier avec un accord abouti. Parallèlement, outre la perte de Belfius en tant que prêteur, le nom de Christian Bultiauw a également disparu du tableau. Selon le dossier soumis, ce grossiste en électronique devait co-investir, mais il a brutalement été remplacé vendredi matin par une famille industrielle flamande, dont on ignore encore l’identité. « Nous prenons beaucoup de risques », admettent les frères De Sutter dans De Standaard.
« On peut se demander si la reprise telle que formulée par les De Sutter est réaliste et a des chances d’aboutir », a reconnu le tribunal de l’entreprise dans son jugement. Mais toutes ces préoccupations sont pour l’instant au second plan, car les acquéreurs étaient les seuls à promettre une relance complète et, surtout, à vouloir garder presque l’ensemble du personnel. « C’est également pour ces raisons que l’offre mérite d’avoir ses chances », indique le tribunal, pragmatique. Pour faire court, il n’y avait pas beaucoup d’options, ils ont donc le bénéfice du doute.