Les rayons vides se multiplient : en France, ce pourrait être la conséquence d’une OPA amicale, chez nous, ils sont provoqués par une impressionnante offensive hivernale en Espagne, et en Grande-Bretagne, ils sont l’expression d’une souveraineté retrouvée. Reste-t-il du Filet Pur ?
Bombe calorique multiculturelle
Des Américains de pacotille avec un drôle d’accent, qu’ils parlent la langue de Shakespeare ou de Voltaire. Des fans de hockey polis qui noient tous leurs plats de sirop d’érable. Sauf leur poutine, un lointain parent de cette bombe calorique multiculturelle que nous appelons désormais kapsalon, influence néerlandaise oblige. Mais aussi des gens qui nous ont donné Neil Young, Daniel Lanois, Joni Mitchell, Leonard Cohen et The Tragically Hip – vous ne m’entendrez donc jamais dire du mal des Canadiens.
Cette offre amicale sur Carrefour est sérieuse. Le très noctambule Couche-Tard veut apparemment se débarrasser de sa dépendance excessive aux ventes de carburant. Car ils voient déjà le scénario : bientôt, tout le monde roulera à l’électricité… Et à quoi leur serviront encore leurs pompes à essence ? Pour les analystes, l’offre est absurde : il n’y a guère de potentiel de synergie entre les deux groupes. Ces Canadiens sont des gérants de stations-service : des vendeurs d’essence, de bonbons et de cigarettes. Et ce sont eux qui vont sortir les hypermarchés du marasme dans lequel ils sont plongés ? Bonne chance !
Spasme patriotique
Mais. Le fait que le PDG de Carrefour Alexandre Bompard ait accepté – ne serait-ce que par politesse – de discuter avec Couche-Tard n’en est pas moins significatif. Une affichette « à vendre » trône désormais sur la vitrine des hypermarchés. « D’autres candidats, disposant de meilleures cartes, ne manqueront pas de se manifester », nous a confié un professeur d’Université spécialisé dans le commerce de détail et généralement bien informé. Après tout, Carrefour est une proie intéressante, et pas trop chère pour ne rien gâcher. Mais qu’attend Jeff Bezos ? Amazon ne veut-il pas devenir un grand food-retailer ? Avec Whole Foods et une poignée de magasins sans caisse, ça risque d’être juste. Une telle occasion ne se représentera pas deux fois.
Peut-être hésite-t-il encore face aux réactions franchement hystériques du monde politique français ? Car la chaîne de supermarché est soudainement devenue si essentielle qu’une nationalisation s’impose. Le raisonnement : une prise de contrôle étrangère risque de donner lieu à des rayons vides. Bien sûr. Si ces Canadiens sont prêts à débourser plus de 16 milliards d’euros pour Carrefour, c’est dans le seul but d’affamer la France et de mettre la société en faillite le plus rapidement possible. Logique, non ? C’est aussi ce que vous feriez, pas vrai ? Sans doute Bruno Le Maire n’est peut-être pas totalement demeuré. Mais le problème, c’est qu’il y a des élections l’année prochaine. Et qu’il n’y a rien de tel qu’un bel élan patriotique pour augmenter ses chances de réélection. Une simple surenchère populiste, donc.
Hommes d’affaires véreux
Reste à savoir si l’Élysée peut continuer à bloquer la vente de son numéro deux de la grande distribution. Alexandre Bompard est certes un excellent orateur qui a lancé une stratégie intelligente avec Act for Food, mais les résultats sont à la traîne. En Bourse, l’action ne décolle pas. Et cela n’est pas du goût de l’homme le plus riche de France : Bernard Arnault, le patron du groupe de luxe LVMH est accessoirement actionnaire majoritaire de Carrefour. Son investissement ne lui ayant encore procuré beaucoup de plaisir jusqu’ici, il pourrait être tenté d’accepter une belle offre. Comme le dit toujours notre Grand Timonier : money talks, bullshit walks. Amen. Dossier à suivre, donc.
Nous, Belges, avons parfois des difficultés à comprendre ce chauvinisme français. Par exemple, nous ne voyons aucun problème quand des hommes d’affaires véreux d’outre-Moerdijk rachètent nos entreprises en faillite en promettant l’impossible, vident caisses et entrepôts, escroquent l’État, laissent les employés sur le carreau et disparaissent ensuite comme si de rien était. C’est notre légendaire ouverture d’esprit. L’économie de marché, c’est vraiment top.
À qui la faute ?
Un autre qui a tout compris à l’économie de marché, c’est notre compatriote Stéfan Descheemaeker, qui est en train de faire du spécialiste du surgelé Nomad Foods un véritable géant de l’alimentation. Le propriétaire d’Iglo, Belviva et Findus ajoute un nouveau nom à son portefeuille déjà bien garni et renforce sa position en Europe centrale et orientale. Économie de marché toujours : Coca-cola met en place une campagne « d’une ampleur sans précédent » pour Chaudfontaine, notre fierté nationale. Quand les ventes des sodas s’effondrent, c’est de l’eau que doit venir le salut. Même s’ils lancent également une limonade bio. « La première à bénéficier d’une large distribution », selon eux. La Bionade n’est-elle pas aussi disponible dans tous les supermarchés ?
Vive la science, cet îlot des fact-checkers dans un océan de fake news. Cette fois, les chercheurs se sont penchés sur les lamentations des cultivateurs et éleveurs démunis face aux grands méchants supermarchés. Et elles s’avèrent injustifiées. Les supermarchés ne s’enrichissent pas sur le dos des agriculteurs. Enfin, ils s’enrichissent, mais pas sur le dos des agriculteurs. Et les agriculteurs sont pauvres, mais ce n’est pas la faute des supermarchés. C’est leur faute à eux. Ne serait-il pas temps qu’ils commencent enfin à écouter les marketeers avant de semer ? Ça, ce serait une vraie révolution agricole. Pendant ce temps, à Liège, une start-up sympathique tente de leur apporter du réconfort en livrant leurs produits directement au domicile du consommateur. Et pourquoi pas ?
Un saumon heureux
Même si le vendredi est le jour du poisson, nous ne mangerons probablement pas de saumon ce soir : ils sont en train de pourrir à Douvres. « C’est peut-être du poisson pourri, mais c’est du poisson britannique, et il est beaucoup plus heureux comme cela », répondent les Brexiters. Really. Ça ne s’invente pas. Les légumes non plus n’arrivent plus dans nos assiettes, du moins quand ils proviennent d’Espagne : les camions sont bloqués dans la neige. Il ne manquait plus que ça.
Mais ne vous inquiétez pas, l’Europe prend des mesures : dorénavant, il est tout à fait légal de manger des vers de farine. Et c’est durable, en plus. Intégrez-les dans votre pâte à gâteaux ou faites-les sauter dans un peu d’huile d’olive avec quelques herbes de Provence. Attention toutefois la prochaine fois que vous ouvrirez la porte de votre congélateur à la recherche d’un dessert. Ces jolis pots colorés ont effectivement l’air bien appétissants, mais ils ne sont pas pour vous : ces crèmes glacées sont réservées à votre fidèle compagnon. Elles sont d’ailleurs plus chères que leurs variantes destinées aux humains. Où va le monde ? À la semaine prochaine !
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