L’époque des colis à bas coûts importés directement de Chine est révolue, prédisent les experts de l’Université d’Anvers. En cause : la brutale augmentation des frais d’expédition et de livraison, associée aux problèmes capacité provoqués par le coronavirus.
Cocktail empoisonné
Le prix des produits vendus en ligne sur des plates-formes à bas prix comme AliExpress et Wish devrait augmenter de manière significative, affirment le professeur d’économie des transports Roel Gevaers et le professeur d’économie de l’aviation Wouter Dewulf (Université d’Anvers). Dans De Tijd, ils évoquent un « cocktail empoisonné » de quatre ingrédients qui pourrait mettre un terme à l’âge d’or du dropshipping.
Deux de ces ingrédients sont directement liés à l’épidémie de coronavirus et à ses conséquences logistiques, et en particulier à la disparition d’une grande partie des vols long-courriers et la surcharge des entreprises européennes de courrier qui n’ont actuellement plus de place pour ces « petits extras » à bas coûts en provenance de Chine. Roel Gevaers et Wouter Dewulf rappellent ainsi que les soutes des avions de ligne représentent plus de la moitié de la capacité de transport, et que la forte diminution du nombre de vols a décuplé le prix du fret aérien en provenance de Chine, passé de 0,75 à 7,5 dollars le kilo.
Une fois les articles débarqués en Europe, les plates-formes chinoises passaient parfois par des entreprises de courrier commerciales comme DPD et UPS quand ces dernières pouvaient leur offrir un tarif préférentiel : comme une camionnette remplie à ras bord est toujours plus rentable qu’une camionnette à moitié pleine, les Chinois étaient parfois en mesure de négocier un prix avantageux pour le « dernier kilomètre », traditionnellement le plus cher. Mais à présent que la crise sanitaire a dopé l’e-commerce au point de provoquer régulièrement des problèmes de capacité au sein des entreprises de courrier, cette option est en train de disparaître.
Réforme des tarifs postaux
De plus, le régime « caritatif » de l’Union postale universelle était particulièrement intéressant pour les plates-formes web à bas coût : encore considérée comme un pays du tiers monde quand il a été élaboré dans les années 60, la Chine bénéficie d’un tarif préférentiel sur le courrier qu’elle expédie dans le monde entier. Et ce régime n’a pas été adapté quand la Chine s’est élevée au rang de superpuissance. Concrètement, cela signifie que les entreprises postales nationales doivent livrer les colis en provenance de Chine presque gratuitement – voire à perte, surtout s’ils pèsent moins de deux kilos. Le président des États-Unis Donald Trump a cependant mis fin à ce système : à partir de 2021, chaque pays pourra fixer ses prix. Et cela pourrait presque tripler les tarifs postaux d’ici 2025.
Enfin, il y a le nouveau régime fiscal de l’Union européenne pour les livraisons « direct-to-consumer » qui vise précisément ce très populaire système de dropshipping. Pour l’instant, seuls les colis de plus de 22 euros sont soumis à la TVA, et les droits d’importation ne s’appliquent qu’aux colis de plus de 150 euros. Mais tout changera à partir de janvier 2021, quand les colis de moins de 22 euros seront également soumis à la TVA – en Belgique, cela implique une augmentation directe de 21 %.
C’est donc l’ensemble du modèle économique des acteurs chinois de l’e-commerce, fondé sur des livraisons gratuites pour des commandes de quelques euros seulement, qui risque de s’effondrer comme un château de cartes. Roel Gevaers et Wouter Dewulf voient donc l’e-commerce européen reprendre du terrain si les Chinois ne mettent pas rapidement en place leurs propres bases logistiques européennes – ce n’est pas une coïncidence si Alibaba tente de s’implanter à Liège alors que son rival JD.com veut en faire de même dans le port de Zeebruges…