Une réouverture générale des magasins provoquera-t-elle une dangereuse ruée vers les rues commerçantes comme le craignent certains experts ? Les spécialistes du comportement ne sont pas de cet avis, et les premières expériences à l’étranger leur donnent raison.
Des rues commerçantes tranquilles
Bien que des doutes et des désaccords subsistent quant à la date finale, la réouverture des magasins est de toute façon imminente. L’une des raisons pour lesquelles les experts privilégient une réouverture par phase plutôt qu’une réouverture générale est la crainte d’entrainer un débordement massif dans les zones commerciales, ce qui ne permettrait pas de garantir une distance de sécurité entre les consommateurs. Mais cette crainte est-elle justifiée ? Nous observons la situation dans certains pays où une réouverture a déjà eu lieu.
Commençons par les Pays-Bas, aucune fermeture obligatoire des magasins n’y a été décrétée après l’apparition du coronavirus. Un certain nombre de grandes chaînes ont cependant décidé de fermer leurs magasins de leur propre initiative. Le passage dans les rues commerçantes a donc, par conséquent, aussi diminué de manière significative. De plus en plus de détaillants ont entre temps rouvert leurs portes, mais la situation reste particulièrement calme dans les rues commerçantes : les comptages de passants ont montré que le lundi de Pâques était 85 % plus calme qu’en 2019.
Pas de files
En Autriche, une partie importante des magasins a pu rouvrir le 14 avril. Les centres-villes sont restés calmes, mais les magasins de bricolage et les jardineries ont suscité beaucoup d’intérêt. Tout comme en Belgique, donc. À partir du 1er mai, les centres commerciaux et les salons de coiffure seront également autorisés à ouvrir.
En Allemagne, les magasins de moins de 800 m² sont autorisés à reprendre leurs activités depuis le lundi 20 avril. Les librairies, les magasins de vélos et certains grands détaillants, dont Ikea, ont pu faire de même, à condition de respecter des mesures strictes similaires à celles en vigueur dans notre pays. Cela n’a pour l’instant entrainé aucun afflux massif de consommateurs : le calme règne dans les rues commerçantes. « Tout s’est passé de manière très détendue, il n’y avait pas de file ni de foule », déclare Stefan Stukenborg, responsable d’un magasin Ikea à l’extérieur de Cologne. Son magasin peut accueillir jusqu’à 640 clients en même temps, des panneaux en plexiglas et des masques buccaux garantissent la sécurité des employés, le restaurant et la garderie restent fermés.
« Le shopping de revanche »
Pourtant, le géant de l’ameublement remarque un retour de la confiance des consommateurs. Le détaillant affirme que trois de ses centres commerciaux rouverts en Chine ont pu retrouver, relativement rapidement, une capacité de travail de 70 à 80 % par rapport au niveau d’activité de l’an passé. En Chine, il est même question de « revenge spending » (« shopping de revanche ») : Les acheteurs qui n’ont pas pu se rendre dans les magasins pendant des semaines, voire des mois, sont déterminés à inverser rapidement la tendance et font donc la file, certes avec un masque, devant les boutiques de marques de luxe telles qu’Hermès, Gucci et Dior. Bien entendu, ces acheteurs ne représentent pas le consommateur moyen. Ici aussi, les entreprises parlent principalement d’une « reprise lente, mais nette » et d’un « optimisme prudent ». Fin mars, les centres commerciaux de Shanghai estimaient encore que le nombre de visiteurs n’atteignait que 30 % de celui enregistré avant l’apparition du Covid-19.
Pourquoi les consommateurs ne retournent-ils dans les rues commerçantes qu’au compte-goutte et de manière très prudente ? Selon le spécialiste du comportement, Simon Moore, du cabinet de conseil Innovation Bubble, les gens sont plutôt sur la défensive dans les circonstances actuelles, en raison de l’incertitude engendrée par la pandémie. Ils attendent la « preuve sociale » que d’autres retournent en masse dans les magasins avant de le faire eux-mêmes. Cela s’explique par le fait que l’être humain se fie bien plus à l’instinct et aux émotions pour prendre des décisions en période d’incertitude, affirme-t-il à CNBC.
Selon la spécialiste en psychologie du consommateur, Cathrine Jansson-Boyd, de l’Anglia Ruskin University, le comportement des consommateurs ne se normalisera que lorsqu’ils sentiront que la menace du virus sera passée. Actuellement, les appels à la distanciation sociale sont encore fermement ancrés dans l’esprit des consommateurs, ce qui influence leur comportement.