Ce coronavirus rend les consommateurs étrangement plus sains, mais pas les entreprises : il pleut des avertissements sur bénéfices et des suspicions. Heureusement, un Filet Pur bien poivré nous redonne de la force.
Suspicions
C’est un constat quelque peu douloureux : le coronavirus affecte l’image des prix de nos supermarchés, et pas qu’un peu. La semaine avait en effet mal commencé pour le secteur de la distribution alimentaire en général et pour Colruyt en particulier : l’augmentation de 2,6% sur la moyenne des prix et de plus de 10% sur au moins 1.500 produits pendant le confinement n’a évidemment pas été bien reçue par les consommateurs, qui n’ont pas chanté en chœur Walk on through the wind, walk on through the rain.
Que du contraire ! C’était prévisible, les suspicions sont allées bon train : les détaillants alimentaires sont de sales profiteurs qui profitent de la situation pour se remplir les poches, en particulier ce discounter à Halle. C’était le refrain sur les groupes Facebook où les acheteurs examinent méticuleusement leurs tickets de caisse. Une lecture des plus amusantes dont on ne se lasse pas. Enfin, si cela peut consoler Jef Colruyt : leurs homologues du supermarché en ligne Ocado ont été les cibles d’accusations similaires au Royaume-Uni. Ils auraient prix de plus de 1.000 produits et supprimé des milliers de promotions. L’accusé nie les faits.
Interprétation large
Il est encore un peu difficile d’expliquer aux consommateurs non avertis comment fonctionne une telle stratégie de suivi des prix. Les heureux détenteurs d’une carte Xtra bénéficient donc de réductions et de prix rouges, grâce à la carte ou l’application. Si les concurrents se refusent à proposer des réductions pour réagir, eux le font. Le discounter adopte une interprétation remarquablement plus large de la notion de « réductions accordées ou en vigueur avant le 18 mars » que bon nombre de ses collègues.
Mais ce n’est rien : bientôt tout sera rentré dans l’ordre, et plus rien ne fera barrage aux promotions. Non pas qu’ils se soient retenus chez Intermarché, où ils distribuent à nouveau, comme à leur habitude, de la viande très bon marché. Ou chez Albert Heijn, qui dégaine des « méga petits prix ». Une époque différente après le coronavirus ? Hmmm… Le prix est plus que jamais au premier plan. C’est, je crois, Jeff Bezos qui a fait remarquer que les journalistes lui demandent toujours ce qui va changer dans le commerce de détail, au lieu de lui demander ce qui ne va pas changer : « Les gens ne me supplieront pas d’augmenter les prix dans dix ans. » Ça, c’est sûr.
Le verre est vide
En tout cas, l’immunité de groupe contre ce virus n’a pas encore gagné le secteur des produits de grande consommation. Certes, Casino a profité de la vague de surstockage et d’une augmentation explosive des achats en ligne, et il a donc pu suivre : vous lisez, chers amis de Collect&Go ? Et Nestlé est la seule multinationale qui s’en tient encore à ses prévisions antérieures. Mais à part ça, c’est l’hécatombe. Le producteur de sodas Coca-Cola, par exemple, aurait bien besoin d’un coup de pouce promotionnel : son chiffre d’affaires a chuté de 25% à cause du coronavirus et l’avenir semble très incertain. Maintenant qu’on ne peut plus boire un verre en terrasse, le chiffre d’affaires de Pernod Ricard est lui aussi confiné. Le verre est vide.
Il pleut des avertissements sur bénéfices et une tendance se dessine : si le chiffre d’affaires mord la poussière, la direction et les actionnaires se partagent les coups. Carrefour divise le dividende par deux et le grand patron Bompard donne le bon exemple en renonçant à une part de son salaire, et en demandant à son comité exécutif de faire de même. Chez Heineken aussi, la direction doit joindre l’acte à la parole : 20% de réduction des salaires et pas de primes, maintenant que les ventes hors domicile sont inexistantes. Et ils ont lancé un autre avertissement : « Le deuxième trimestre sera encore pire. » Aïe. Le grossiste pour le secteur horeca Sligro est également en souffrance: l’entreprise a déjà perdu 45 millions d’euros à cause du coronavirus.
Crèmes glacées et faux produits laitiers
Pour l’instant, Unilever ne touche pas à ses dividendes, même si la multinationale a déjà retiré ses prévisions annuelles : les ventes des produits d’hygiène restent à flot, mais celles des crèmes glacées prennent l’eau. On pourrait penser que Danone n’aurait pas de quoi se plaindre : les gens mangent apparemment plus de produits laitiers pendant le confinement. Et ce, même si ces produits laitiers sont en fait de faux produits laitiers : chez Alpro, la production ne peut tout simplement pas suivre. Pourtant, le PDG Emmanuel Faber ne s’en réjouit pas. Les vagues de surstockage sont de l’histoire ancienne et les coûts continuent d’augmenter. Mais il estime que la santé reste un argument de vente important.
Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le coronavirus nous rend plus sains. Maintenant que nous ne sommes plus autorisés à sortir, nous buvons moins de bière, de vin et de sodas. Et les Belges s’adonnent à la cuisine en utilisant des . Peut-être pour compenser l’excès de pâtisseries riches en beurre et en sucre, englouties ces dernières semaines. Nous devons nous débarrasser de ces coronakilos. Et ce n’est pas tout : on se laisse aller. Et de toute évidence, ça ne nous dérange pas. À quoi bon, si on ne peut plus sortir de chez nous ? Si nous achetons encore des colorations capillaires, nous avons renoncé au maquillage et aux produits de rasage. Tirez-en vos conclusions.
Accros à la malbouffe
On savait déjà que le virus affecte aussi les papilles gustatives, et cela a encore été prouvé cette semaine. Des conducteurs affamés aux yeux enfoncés et aux joues creuses ont fait la file des heures durant pour un pâle Big Mac accompagnées de frites cartonneuses, dès la réouverture des drive-in. Accros de la malbouffe. Il doit y avoir une partie de la population qui est tellement excédée de la cuisine maison après seulement quelques semaines qu’elle est prête à envoyer valser toutes les normes et valeurs. Cela promet pour la suite.
Et ce n’est pas tout. Le communiqué de presse le plus étrange qui est arrivé dans notre boîte aux lettres éditoriale cette semaine ? « 5 conseils contre l’addiction au shopping ». Authentique. Une contribution constructive de Malaika Brengman, experte de la VUB sur le comportement des consommateurs. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le moment est bien choisi. Hé, Malaika, nous avons tous été désintoxiqués ! La seule option était un sevrage brutal . Et cela a fonctionné. Ne nous exposez pas une nouvelle fois à la tentation.
Car la réouverture massive des magasins n’est pas encore pour demain : bientôt, tout le monde pourra à loisir s’en prendre ce fameux groupe d’experts. Ces virologues sont tout sauf des experts de la vente au détail, cela ne fait aucun doute. Mais c’est une autre histoire. Comme l’a écrit l’éminent François de la Rochefoucauld : « Personne ne se trompe plus souvent que ceux qui refusent d’admettre qu’ils ont tort. » Vous avez tout un week-end pour y réfléchir. Soyez prudents et à la semaine prochaine !
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