Les mesures prises contre le coronavirus provoquent des conflits entre les chaînes de magasins et les propriétaires de locaux commerciaux : les détaillants ont en effet décidé unilatéralement de ne plus payer leur loyer. Cette décision ne plaît pas du tout au secteur immobilier, mais les discussions restent ouvertes.
Demande d’intervention
De plus en plus de détaillants non alimentaires déclarent qu’ils refuseront de payer un loyer tant que leurs magasins seront contraints de garder portes closes à cause de la crise du coronavirus. En Belgique, il s’agit notamment de Schoenen Torfs, JBC, Bristol et FNG (Brantano), rapporte le journal De Tijd. Aux Pays-Bas, C&A, Hunkemöller et WE font passer le même message.
Il y a peu, de grands groupes internationaux comme Inditex (Zara) et H&M avaient aussi communiqué des informations similaires. Primark vient, quant à lui, d’annoncer qu’il ne paiera pas son prochain loyer trimestriel afin de forcer les propriétaires à ouvrir des négociations.
Leur raisonnement est clair : il s’agit d’une situation de force majeure ainsi que d’une responsabilité partagée. Puisque les magasins ne génèrent plus de revenus, aucun loyer ne peut être payé. De plus, même après la pandémie, les détaillants s’attendent à des concessions de la part de leurs propriétaires pour leur permettre de surmonter la crise.
La chaîne de mode C&A, qui subit des difficultés financières depuis un certain temps déjà, a envoyé une lettre aux propriétaires de ses surfaces commerciales afin de les informer qu’elle comptait sur une réduction des loyers et autres charges locatives pendant tout le temps qui lui faudra pour remettre ses opérations sur pieds, au même niveau qu’avant la crise, rapporte De Telegraaf. Les propriétaires qui ne s’y opposent pas dans les cinq jours sont réputés avoir accepté la proposition du détaillant.
De manière solidaire
Les grandes chaînes de distribution estiment être en position de force pour négocier avec les propriétaires : elles représentent, après tout, un volume important de revenus locatifs, et ce, dans un marché mis sous pression depuis un certain temps déjà avec la chute des loyers les plus élevés et l’augmentation du taux d’inoccupation, même dans les endroits les plus prisés.
Pourtant, tous les locataires ne jouent pas sur un pied d’égalité. « Nous voulons parvenir à une solution tous ensemble, de manière solidaire, où tout le monde est logé à la même enseigne », affirme Bart Claes dirigeant de JBC à De Tijd. Elise Vanaudenhove, de la chaîne de chaussures Bristol, appelle également à une flexibilité mutuelle : « Nos propriétaires privés font preuve de compréhension. C’est beaucoup moins le cas des grands groupes immobiliers. Nous sommes locataires de surfaces commerciales, mais ma famille est elle-même propriétaire de surfaces similaires qu’elle met en location. Nous ferons preuve de solidarité avec nos locataires. »
Appel au dialogue
La fédération professionnelle Comeos exhorte le gouvernement belge à prendre des mesures supplémentaires. Pour le CEO de la fédération, Dominique Michel, il faut « reconnaître cette crise comme un cas de force majeure pour une période de trois mois, afin que les magasins n’aient pas à payer leur loyer maintenant. Cela doit bien sûr se faire en concertation avec le secteur immobilier. »
Koen Tengrootenhuysen, directeur de l’immobilier chez Décathlon et également président du Retail Forum Belgium (RFB), ne veut pas précipiter les choses : « Maintenant que nous ne pouvons plus faire d’affaires, nous ne pouvons en effet plus payer de loyer. Nous conseillons à nos membres d’entamer des entretiens individuels avec leurs propriétaires et de chercher ensemble des solutions pour surmonter cette crise, » dit-il à RetailDetail. « Il doit y avoir une solidarité tout au long de la chaîne : si nous voulons redémarrer rapidement après cela, les deux parties doivent pouvoir garder la tête hors de l’eau. »
Le RFB se tourne vers le gouvernement et le secteur financier : c’est à eux de prendre des mesures qui protègent aussi les promoteurs et les propriétaires immobiliers. Une option consiste à « geler » les contrats de location pendant la période de crise. Cela ne désavantagerait personne sur le plan financier. Mais avant tout, Tengrootenhuysen plaide pour la paix : « Nous devons traverser cela ensemble. »
Aux Pays-Bas, les organisations sectorielles des secteurs du retail et de l’immobilier ont lancé un appel commun dans lequel ils demandent à chacun de garder son calme et de continuer à faire preuve de bon sens. Ils plaident en faveur d’une solution commune et à court terme aux graves problèmes de liquidité qui surviennent actuellement. Pour le long terme, il sera ensuite possible de travailler sur des solutions « sur mesure ».
Concrètement, les parties concernées demandent que le loyer soit reporté minimum jusqu’au 20 avril, qu’aucun rappel ne soit envoyé, qu’aucune amende ou aucun intérêt ne soient comptés pour ces paiements différés, et que les loyers trimestriels soient ajustés aux loyers mensuels. Les détaillants dont la perte du chiffre d’affaires atteint moins de 25 % restent en dehors de cette discussion.
Ne pas trop exiger
Et qu’en pensent les propriétaires ? Ils sont réticents. « Nous examinons au cas par cas », annonce Kasper Deforche de Wereldhave Belgium. C’est également la ligne de conduite adoptée par la société immobilière aux Pays-Bas. Il n’exclut toutefois pas la possibilité de recourir à la voie juridique dans certains cas. « Nous avons aussi des prêts à rembourser. »
« Nous voulons aider nos partenaires, mais pas à n’importe quel prix », déclare Jan De Nys, de Retail Estates. Il attend des locataires qu’ils élaborent un plan pour une reprise réussie et ne veut rien savoir des entreprises dont les exigences sont trop élevées : « Les grandes chaînes comme McDonald’s et Pizza Hut ne recevront aucune réduction. Je ne vais pas non plus subventionner des entreprises au bord de la faillite. » Dans un communiqué de presse publié ce matin, le fonds immobilier Qrf a déclaré « être prêt à trouver des solutions équilibrées avec les locataires pour que les deux parties puissent surmonter cette crise. »