En un an à peine, Chaussures Torfs a converti 14 de ses 78 magasins à un nouveau concept. Grand temps donc d’aller admirer le résultat et de poser quelques questions critiques à propos de la stratégie de l’enseigne. Et qui mieux que le CEO Wouter Torfs en personne pour nous répondre !
Vente croisée
« Nous avons pour habitude de renouveler l’intérieur des magasins tous les sept ans, entame Wouter Torfs, mais cette fois, nous avons été beaucoup plus loin. C’était une nécessité pour garantir l’attrait et la pertinence de nos magasins en 2019. Un coup de pinceau et du mobilier tendance ne suffisent plus. Nous avons donc résolument opté pour la carte de l’expérience. »
Quel est le fer de lance de toute cette opération ?
« Cette opération de modernisation comporte plusieurs aspects. Le plus frappant est sans doute la place centrale que nous avons créée dans nos magasins. Nous avons choisi d’entreposer les stocks sur la mezzanine afin de pouvoir exploiter toute la superficie du rez-de-chaussée. Malgré l’ajout de cette place centrale, la surface de vente proprement dite a été étendue partout où c’était possible, en moyenne de 20 % : de 750 à 900 m². La création d’expérience découle de l’ajout de nouveaux produits en plus des chaussures et de la maroquinerie, et de la présentation des marchandises en ‘îlots’. Les magasins disposent désormais aussi d’une spacieuse aire de jeux pour enfants équipée d’un arbre à grimper et d’un kicker, ainsi que d’un coin café où les adultes peuvent s’accorder une petite pause. »
Parvenez-vous à surprendre les clients ?
« D’après les échos des points de vente, les clients seraient agréablement surpris et passeraient plus de temps en magasin. Nous renforçons l’expérience en créant toutes sortes de combinaisons avec les chaussures et les sacs à main. Nous présentons par exemple des tenues complètes avec les chaussures assorties. Nous pratiquons la vente croisée avec les vestes et les jupes, mais aussi des coussins, des bougies et d’autres accessoires. En moyenne, le chiffre d’affaires des nouveaux magasins progresse de 15 %, alors que l’augmentation générée par les nouveaux produits ne dépasse pas 5 %. Notre cœur de métier profite donc aussi de ces changements. »
Shop-in-shop
L’opération correspond-elle à l’ADN de Chaussures Torfs ?
« Nous conservons le nom Chaussures Torfs et notre cœur de métier reste inchangé. Les nouveautés assument avant tout un rôle de soutien. La perception ne change pas, même si nous aimerions bien donner un côté un peu plus jeune et branché à la marque. Nous avons supprimé les faux-plafonds et avons opté comme revêtement de sol pour le polybéton plutôt que pour l’aspect léché du stratifié. Les matériaux utilisés créent un look & feel un peu plus grunge. L’expérience est encore renforcée par l’aménagement de shop-in-shops dédiés à différentes marques triées sur le volet. »
Chaussures Torfs séduit-elle toutes les générations ?
« Notre public cible n’est pas des plus jeunes. Il se compose plutôt de ménages à double revenu ayant des enfants, mais aussi de gens qui aiment se faire surprendre. Les intérieurs monotones d’autrefois ont fait leur temps. Les réactions initiales des clients sont en tout cas extrêmement positives. Quand je visite l’un des magasins rénovés, ils viennent me dire à quel point ils trouvent le cadre agréable et ils prennent le temps de boire une petite tasse de café. Borsbeek et Edegem ont été les deux premiers magasins rénovés. Aujourd’hui, nous en sommes à 14 et une dizaine de remodelages sont prévus cet automne. »
Un défi de taille
Investir dans les magasins physiques à l’ère du numérique, c’est culotté, non ?
« L’e-commerce et les magasins physiques sont deux canaux de vente qui doivent se renforcer mutuellement. Au sein d’une stratégie omnicanal, les canaux en ligne et hors ligne doivent œuvrer à l’unisson. C’est la raison pour laquelle les technologies numériques sont très présentes dans le nouveau concept. Nous proposons trois fois plus de chaussures dames en ligne que dans les magasins, et les clientes apprécient que nous les guidions dans leur navigation sur le webshop. Nous ne dissimulons donc en aucun cas nos activités en ligne dans les magasins rénovés, et mettons au contraire sciemment l’accent dessus et sur leur visibilité. »
Le personnel est-il lui aussi conquis par cette évolution ?
« Il va de soi que la conversion oblige nos collaborateurs à s’adapter à une nouvelle manière de travailler. Les clients qui découvrent la place centrale pour la première fois ont besoin de temps pour l’explorer. Cela ne sert à rien de leur sauter dessus pour les pousser à l’achat. Les magasins sont aussi plus spacieux et – délibérément – un peu moins ordonnés, ce qui oblige les membres du personnel à se montrer plus attentifs à tout ce qui se passe autour d’eux. Le travail est un peu plus dur, mais nous prévoyons des formations adaptées afin de faciliter la période de rodage dans les magasins rénovés. Les collaborateurs font preuve d’autant d’enthousiasme que les clients : ils voient ça comme un défi motivant. Dans les magasins à l’ancienne, on me demande souvent : et, à quand notre tour ? C’est selon moi un signal très positif ! »
Se réinventer
Les magasins urbains sont-ils aussi concernés par le nouveau concept ?
« Les magasins implantés en centre-ville et dans les centres commerciaux sont beaucoup plus petits, entre 200 et 400 m². Il n’est donc pas possible d’y transposer un concept étudié pour une superficie de mille mètres carrés. Nous envisageons néanmoins d’accorder une place plus importante à l’expérience et au lifestyle dans les magasins citadins à partir de mi-2020. Nous devrons repartir d’une page blanche. Le processus a déjà démarré, sous la forme de brainstormings avec les équipes chargées des ventes et de l’infrastructure. Il n’est pas non plus exclu que les clients deviennent parties prenantes de cette réflexion. C’est ce que nous avons fait dans le cadre du réaménagement de l’aire de jeux destinée aux enfants. Ce sont eux qui nous ont expliqué préférer l’escalade, les campements et le kicker au gaming et aux écrans. »
Vous participez aussi au projet The Athlete’s Foot ?
« Effectivement. Il s’agit d’une formule de sneakers à succès à laquelle nous participons en tant que franchisé avec une offre de baskets premium très tendance. Nous ouvrons des magasins afin de soigner les relations avec des marques telles que Nike et Adidas, et de les convaincre du bien-fondé de leur collaboration avec les retailers. Nous avons déjà des franchises à Deinze, Eeklo, Hasselt, ainsi qu’au Waasland Shopping et au Wijnegem Shopping. Cinq points de vente en un an, ce n’est pas mal. »
Résultats conformes aux attentes
D’où vous est venue l’idée de cette métamorphose ?
« Les idées sont à 100 % le fruit du travail mené en interne, à l’issue de brainstormings organisés par nos deux architectes d’intérieur, Angelique et Femke, avec les équipes facility et sales. C’est par exemple notre sales manager Yves qui a eu l’idée d’introduire la place centrale et de faire en sorte que les magasins de Chaussures Torfs ne se limitent pas seulement à une ‘succession de rayonnages’. Les premiers essais ont été évalués et recadrés. Certains des meubles choisis se sont par exemple avérés inadéquats, mais nous y avons déjà remédié. Le concept est à présent prêt à être déployé à un rythme plus soutenu. »
Les réactions sont positives, mais le jeu en vaut-il la chandelle ?
« Nous avions tablé sur une hausse de 10 % du chiffre d’affaires, ce que nous jugions déjà assez ambitieux vu les pressions exercées sur le commerce physique. Or, fin 2018, la hausse du chiffre d’affaires atteignait déjà 16 % et elle est même de 18 % pour la période janvier-mars. La croissance se poursuit. Faut-il en conclure que ‘the sky is the limit’ ? Je n’irais pas jusque-là. L’idée maîtresse est que, si les canaux en ligne et hors ligne se renforcent mutuellement, il ne faudra pas envisager la fermeture de magasins physiques, ce qui est plutôt rassurant. D’ici cinq ans, la part de marché des ventes en ligne pourrait atteindre 30 % – je reviens d’un voyage en Chine avec RetailDetail et là-bas, une part de marché de 40 % pour la vente en ligne dans le secteur de la mode et des accessoires n’a plus rien d’exceptionnel. Nous devons donc évoluer avec notre temps, au risque de nous retrouver avec un très gros problème. »
Déploiement progressif
Sur les 78 magasins de Chaussures Torfs, 14 ont déjà été transformés. Une dizaine seront rénovés à l’automne 2019. Il en restera alors encore une bonne cinquantaine. « Ceux-là seront modernisés dans les deux à trois ans à venir », annonce Wouter Torfs. « Et quand nous aurons terminé, il sera déjà presque temps de recommencer ! Ce rythme de rénovation tous les sept ans environ met évidemment l’organisation sous pression, mais notre facility team – Yves à la vente, Lise au marketing, Jens et Amelie… – a vraiment accompli un travail formidable. » Plusieurs chantiers se déroulent en même temps et occupent une soixantaine de prestataires externes (p. ex. architectes d’intérieur).