L’action Colruyt dégringole. Bah, c’est un non-événement. Les analystes financiers sont des requins idiots, qui se donnent un air compétent, alors qu’en fait ils boursicotent à l’aveuglette. Ce n’est pas RetailDetail qui le dit, mais la science. On ne le répétera jamais assez.
En retard
La solitude est un problème sous-estimé chez les top managers d’enseignes alimentaires, surtout lorsqu’elles sont leader du marché et involontairement entraînées au cœur d’une tempête. Les lecteurs clairvoyants de Filet Pur en sont certainement conscients. A titre illustratif voici une scène entièrement fictive, mais 100% véridique et déchirante, qui s’est déroulée jeudi matin dans un grand immeuble de bureaux dans une petite ville au sud-ouest de Bruxelles.
Un homme grimaçant, élégamment vêtu, se trouvait devant la fenêtre de son sombre bureau à regarder dans le vague. Ses yeux parcouraient un paysage vallonné avec des éoliennes, alors que dans le lointain passait le train S vers Edingen. Huit heures dix-huit, lisait-il sur sa montre. Deux minutes de retard. « Et ce n’est pas le seul à être en retard ce matin », grognait-il. « Où va-t-on, si on ne peut même plus compter sur le dévouement inconditionnel de ses proches collaborateurs. N’ont-ils vraiment aucune idée de l’énorme poids qui repose sur les épaules d’un CEO à succès ? »
Soudain un personnage ébouriffé fit irruption dans son bureau. « Ah, vous êtes là ? En bien ? Vous avez eu un pneu crevé en route? Le retardataire haletant fit non de la tête. « F-f-file. W-w-wevelgem. C-c-camion reversé d’A-A-Alpro …». Visiblement l’homme était à bout de souffle et très stressé, mais son supérieur fit preuve de peu de compassion à son égard : « Alpro ? Actuellement nous cultivons nous-mêmes notre soja, vous savez bien ? Marc, quand diable allez-vous laisser votre voiture chez vous et prendre le bus ou les vélos électriques mis à disposition par l’entreprise ? Bon, asseyez-vous. Vous irez chercher votre café plus tard, nous avons plus important à faire pour l’instant. Dites-moi, qu’ai-je fait de mal ? »
Mauvaise nouvelle
L’homme tourmenté pointait du doigt le journal couleur saumon ouvert sur la table, juste à côté de sa bible de la médiation. Le titre en gras était sans équivoque : « L’action la plus mal aimée d’Europe, c’est Colruyt. »
« C’est épouvantable, Hofman ! Notre action a grimpé de 40% en un an, voire même de 90% en dix ans. Citez-moi un seul investissement dont le rendement est plus élevé. Et que crient en chœur les analystes financiers ? Vendre! Pas un n’a donné un conseil d’achat, ni il y a un an, ni il y a six mois et encore moins maintenant. Pourquoi ces types sont-ils si grassement payés ? Pensent-ils réellement que notre brillant modèle d’entreprise est menacé parce que ces rigolos de Zaandam n’arrêtent pas de reprendre des Carrefour déficitaires ? Croient-ils vraiment qu’une trentaine de petits Express peuvent peser sur notre rendement ? S’attendent-ils vraiment à ce que tous les Belges fassent désormais livrer leurs courses dans le Proxy local ou dans l’un de ces détestables Fresh Atelier? Ces prétentieux banquiers pensent-ils que Jumbo va plonger en-dessous de nos prix ? Ou craignent-ils que la semaine prochaine nous annoncions une mauvaise nouvelle? »
« Oh non, ça certainement pas, monsieur Colruyt », répliqua d’un ton rassurant son fidèle collaborateur, qui entretemps avait lu l’article en diagonal. « Ne vous inquiétez pas. C’est sans importance. Plus encore : c’est parfaitement explicable, scientifiquement. J’ai récemment lu un livre qui explique tout cela en détail. »
Coup de bol
« Oh, monsieur a lu un livre et lequel donc ? », ricanait le patron.
« Un livre de Daniel Kahneman, un psychologue qui en 2002 a gagné le Prix Nobel de l’Economie. Un ouvrage qui n’a pas particulièrement plu aux économistes, mais bon, ils l’avaient cherché. Bref, un livre passionnant que je vous recommande vivement. Un ouvrage dans lequel l’auteur démontre notamment que les recommandations des analystes financiers ne valent rien. Ils donnent l’illusion d’être compétents, mais ne le sont nullement. C’est du pur bluff. Et lorsqu’ils font mouche, c’est un pur hasard, sans plus. Et pourtant ils touchent des bonus comme s’ils avaient fourni des performances extraordinaires. C’est ce que conclut Kahneman sur base d’une analyse méticuleuse de leur rendement sur une période de huit ans. Une étude approfondie, quoi. »
« Et alors ? Ces fameux experts financiers ont-ils adapté leur stratégie ? »
« Non, même pas, c’est le comble. Kahneman est allé présenter son étude aux comités de direction de grands gestionnaires d’actifs au cours de dîners chics. Il leur a démontré qu’ils récompensaient des coups de bol, comme si c’était de la compétence. Ils ont poliment opiné de la tête, mais sans plus. Les gens ne digèrent pas les infos qui heurtent leurs convictions personnelles ou leur ego, c’est bien simple. Et donc ils continuent à faire pareil, comme s’ils étaient de grands experts financiers capables de prédire l’avenir. Quod non, évidemment. »
Une banane Boni
Pensif, le CEO lui répondit : « C’est bien possible, Marc, mais cela ne change rien à ces recommandations de vendre, qui sont bel et bien mentionnées dans le journal. Nous sommes la risée du BEL20. »
« Bah, un journal que personne ne lit. D’ailleurs, à propos de journalistes je pourrais vous en dire de belles sur eux, mais ce sera pour une autre fois. Concentrez-vous plutôt sur les chiffres : +90% en dix ans, +40% l’an dernier. Pourquoi nous plaindre ? »
Le 95ème meilleur CEO au monde n’avait pas encore considéré les choses sous cet angle. « Allez, c’est bon, Marc. Je vais aller vous chercher un café. Et entretemps achetez-nous quelques actions, car si nous ne le faisons pas nous-mêmes … »
Le directeur opérationnel poussa un ouf de soulagement, alors que son patron disparaissait dans le couloir, et ouvrit son attaché-case pour en sortir une banane Boni bien méritée. Si quelque observateur attentif avait été sur place, il aurait remarqué dans cette mallette un autre livre à succès, un fin livret avec une couverture orange vif. Effectivement The Subtle Art of Not Giving a F*ck. A la semaine prochaine !
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