Tant que c’est encore permis, les partenaires commerciaux continueront à s’enquiquiner mutuellement. Un reportage live sur les querelles en cours dans ce Filet Pur, servi dans un pot-au-feu, épicé comme il se doit.
Belles traditions
C’est officiel : d’ici peu les retailers n’auront plus le droit d’extorquer, exploiter, menacer, intimider leurs fournisseurs, ni de les éjecter des rayons. Voilà ce qu’a décidé le Parlement européen. Dommage qu’ainsi se perdront quelques belles traditions de notre secteur FMCG. Mais peut-être ont-ils prévu une échappatoire. Espérons-le, car sans cela que nous resterait-il à écrire ?
Quoiqu’il en soit cette semaine, comme à l’accoutumée, les commerçants et les fabricants n’ont pas été des plus tendres les uns envers les autres. Ainsi un exploitant de plusieurs magasins Carrefour, pourtant très sympathique, a insulté ses fournisseurs, leur reprochant d’être incapables de faire un simple calcul. « Ces account managers déphasés ne comprennent rien aux marges et aux prix », nous disait-il. Désormais il y aura donc un examen d’entrée officiel pour chaque représentant qui se pointe chez un retailer. Une décision tout à fait justifiée. Pour ceux qui auraient des questions à ce sujet, ils pourront interroger le brave homme en personne le 21 mars prochain.
Course à l’élimination
Toujours à propos de Carrefour : le distributeur risque d’être victime de son propre comportement exemplaire. La chaîne est en effet la seule en Belgique à respecter la loi, en n’acceptant pas des chèques-repas pour des achats non alimentaires. Tandis que tous ses concullègues s’en lavent les mains, impunément. C’est du joli ! Ambiance brouillée également entre Albert Heijn et son partenaire de livraison Deliveroo : ce dernier boycotte le service repas de l’enseigne aux moments de pointe. Comme si les clients du restaurant chinois du coin avaient davantage de droits que ceux d’Appie ? Le porte-parole du retailer lésé a répliqué poliment : « Compréhensible, mais inopportun ». Alors qu’on l’entendait penser : « S’ils osent encore nous faire ce coup-là, je vais les étrangler un à un, tous ces gars avec leurs stupides sacs-à-dos kangourous ».
Et pour couronner le tout, Nils van Dam – pourtant un homme aimable en temps normal – s’est transformé en réel prophète de malheur The end is nigh! Il prédit un tsunami de fermetures pour les supermarchés au Benelux et ailleurs. 40% des supermarchés feront définitivement faillite et les survivants devront tenter de s’en sortir en ouvrant un restaurant ou en organisant des leçons de yoga. Non, nous n’inventons rien. Selon l’expert, les food retailers en sont encore au stade du déni. Ils continuent d’ouvrir des magasins, parce qu’ils ne veulent pas être les premiers à mettre la clé sous la porte. Bref, la fuite en avant. Mais s’ils ne changent pas radicalement, ils devront payer les pots cassés. Une course à l’élimination s’annonce dans le food retail. Ça promet !
Rouge comme un rouge-gorge
Et en plus, les infos lui ont donné raison. Auchan par exemple a vu ses résultats plonger dans le rouge, aussi rouge que le petit rouge-gorge de son logo. Faites le calcul : plus d’un milliard de perte en 2018. Un milliard ! Quelqu’un pourrait-il nous expliquer comment faire partir en fumée un milliard d’euros. Bien joué, la famille Mulliez ! Votre entreprise n’est-elle pas dirigée par des managers bardés de diplômes, royalement payés et hyper expérimentés ? Des hommes (et quelques femmes probablement) qui jonglent avec les feuilles de calcul Excel et connaissent la différence entre l’EBIT et l’EBITDA. C’est la faute aux gilets jaunes, prétendent-ils. Mais un peu leur faute à eux aussi, puisqu’ils se sont rendu compte trop tard qu’ils auraient dû miser sur l’online, la proximité et la réorganisation des hypermarchés désuets. En tout cas les clients belges à Roncq n’y sont pour rien.
Non, même Carrefour n’a pas autant cafouillé ces dernières années. Ni le Groupe Casino d’ailleurs : tout autant impactés par le mouvement des gilets jaunes, ils sont néanmoins parvenus à réaliser des résultats acceptables, comme en témoigne le communiqué de presse. Certes, après plus de quatre ans d’exercices de transformation, mais bon. Et ce n’est pas encore fini.
Petit filou
Un communiqué de presse qui mérite d’être lu jusqu’au bout, puisqu’à la fin Casino dévoile d’ambitieux projets d’avenir, notamment de réaliser 30% du chiffre d’affaires via l’e-commerce – grâce à des partenariats avec Ocado et Amazon, entre autres – et de devenir le numéro un du bio. Cela ne vous a pas échappé, je suppose, ces projets rappellent étonnement ceux de son rival Carrefour. Car monsieur Bompard lui aussi veut être le numéro un du e-commerce (avec l’aide de Google et Tencent) et nourrit de hautes ambitions dans le bio. Une belle lutte concurrentielle en perspective ! Nous serons au premier rang !
Dans une récente interview, le PDG Bompard n’a pourtant pas hésité à critiquer son partenaire Google : il est grand temps que ces plateformes numériques paient enfin des taxes, estime-t-il. Beau partenariat ! Et entre les lignes, un autre détail a attiré notre attention : à terme Carrefour veut que sur son marché domestique 95% de l’offre de fruits et légumes soit d’origine française. 95% ? Oui, vous avez bien lu. Je vous vois venir : est-ce à dire que le retailer va renoncer à la vente de bananes, de mangues et d’avocats ? C’était aussi ma première réaction. Mais la France est plus grande qu’on ne le pense, du moins au sens large. « La France est plus qu’un pays, elle est une idée », vous savez bien. Plus concrètement, il y a ces fameuses régions d’outre-mer, qui officiellement sont françaises et ont même adopté l’euro. J’ai vérifié pour vous. Bompard peut donc sans problème faire venir des ananas et haricots venant de Guadeloupe, de Martinique ou de Guinée française, tout en honorant sa promesse. Petit filou !
Sacré Jef !
La citation de la semaine nous vient de Steven Van Sweevelt, ancien Delhaizien, actuellement responsable des achats chez Van Marcke et orateur lors de l’incontournable ‘Trade & Shopper Marketing Congress’ de RetailDetail. Voici son point de vue : « Oui nous vendons des cuvettes de toilettes, mais dans des magasins plus beaux que ceux où Colruyt vend de l’alimentation et des boissons. » Mais quel rapport entre Colruyt et des cuvettes de toilettes direz-vous ? Mais oui, il y a bel et bien un lien.
Je m’explique : il y a dix ans environ le discounter de Hal a décidé que la lunette de toilette était une invention totalement superflue et pouvait donc tout aussi bien être supprimée dans les sanitaires du groupe. Une économie de plusieurs milliers d’euros, qui d’emblée a été applaudie par Jef Colruyt en personne. Mais l’histoire a une suite : un manager du grand Walmart, qui lors d’un rendez-vous d’affaires en Europe se rendit au petit coin, fut subjugué par cette idée géniale. A son retour à Bentonville le plus grand retailer au monde a jeté des millions de lunettes de toilettes par-dessus bord. Après quoi, manque de pot, Greg Foran, patron de Walmart US, a été inondé par pas moins de 2.700 e-mails de collaborateurs furieux. Il a ensuite découvert que la restitution des lunettes de toilettes à ses équipes avait aider à les motiver à participer à une restructuration nécessaire. Une histoire de pot émouvante, n’est-ce pas ? Encore un sujet intéressant à aborder lors de notre prochaine invitation au site de Wilgenveld. Toujours très instructif, ce Filet Pur. A la semaine prochaine !
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