Vu l’évolution vers la livraison à domicile, d’ici peu les supermarchés traditionnels connaîtront de graves difficultés, prédit Nils van Dam (Duval Union Consulting) : il s’attend à ce que 30 à 40% des supermarchés soient contraints de fermer dans les dix années à venir, par manque de rendement.
« 30% seront déficitaires »
En cause, notamment les frais fixes élevés dans le secteur : pour les food retailers ces frais varient entre 60 et 70% du chiffre d’affaires. « Il suffit que les grandes chaînes perdent 3% au profit des acteurs en ligne, pour que leur marge passe en-dessous de 1%. Cela signifie donc qu’environ 30% des magasins seront déficitaires », explique Nils van Dam de Duval Union Consulting. Van Dam a plus de 30 ans d’expérience dans l’industrie alimentaire, a occupé des fonctions directionnelles au niveau global, européen et local chez Unilever, AB InBev et Censydiam et est actuellement consultant chez Duval Union Consulting, un bureau de premier plan dans le domaine de la transition digitale.
Jusqu’à présent le marché alimentaire semblait avoir échappé à l’impact du e-commerce, mais van Dam est convaincu – bien qu’actuellement les grandes chaînes de supermarchés ouvrent un nombre étonnant de nouveaux points de vente – que cette tendance s’inversera suite à la croissance des livraisons à domicile et à l’arrivée de nouveaux acteurs en ligne, qui n’ont pas de frais fixes de magasin.
Le retail belge est fragile
« Certaines chaînes, comme Albert Heijn et Jumbo, demandent de l’argent pour la livraison à domicile. Ils sont bien obligés, sinon ce serait impossible à financer avec tous les magasins physiques dont ils disposent encore », affirme van Dam. « Si Amazon et d’autres nouvelles entreprises s’implantent sur le marché néerlandais, ils ont de grands avantages par rapport aux supermarchés existants. Ils n’ont pas de magasins qui leur coûtent de l’argent et peuvent se permettre de proposer la livraison à domicile gratuite. En outre ils gagnent de l’argent surtout grâce aux données qu’ils collectent et qu’ils revendent ensuite à des annonceurs. Eh oui, la question de la vie privée se pose, mais les gens l’utilisent quand même. Nous sommes toujours sur Facebook et posons des questions très intimes à Google. »
Néanmoins certains supermarchés physiques subsisteront, mais selon van Dam ils auront le plus de chances de réussite dans des zones densément peuplées, avec de nombreux travailleurs. « C’est facile lorsqu’on veut s’acheter quelque chose en vitesse. Les grands supermarchés XL en dehors de la ville seront les premiers à succomber. En ce sens le retail belge est beaucoup plus fragile. »
Expérience et commodité
Les grandes chaînes peuvent-elles encore faire quelque chose pour éviter ce scénario catastrophe et maintenir l’emploi ? Van Dam : il y a un large consensus sur le fait que les supermarchés doivent améliorer l’expérience en magasin. Songez par exemple à un restaurant dans le magasin, des coins café, des dégustations, des ateliers culinaires, aux Etats-Unis ils donnent même des cours de yoga dans des magasins de denrées alimentaires. Cela vaudrait vraiment la peine que les grands supermarchés adaptent progressivement leur modèle. »
Selon van Dam, le comportement des commerçants alimentaires au Benelux varie du déni à l’expérimentation prudente. Officiellement ils ne croient pas à la livraison à domicile gratuite et s’attendent à ce que ce concept reste marginal : « il n’y a pas de demande et il n’y pas de business model rentable ». Pour faire la différence le magasin physique du futur devra exceller dans l’expérience en magasin, la situation géographique (magasin de proximité) ou la facilité d’enlèvement.
Investissez dans les données
« Collectez et utilisez davantage les données des clients, comme Ahold Delhaize le fait déjà avec la carte Bonus et la combinaison avec bol.com. Soyez conscients du fait que les supermarchés n’échapperont pas à la révolution digitale, faites des investissement orientés vers l’avenir et adaptez votre infrastructure. C’est ainsi que l’on pourra peut-être éviter des fermetures de magasins forcées et des pertes d’emplois. »
Pourquoi dans ce contexte les food retailers continuent-ils à ouvrir des magasins ? Van Dam y voit deux raisons importantes, l’une tactique et l’autre stratégique. « Tactiquement il est très difficile de fermer des magasins sans perdre de chiffre d’affaires et de parts de marché. Les magasins restants dans les alentours auront vite fait de récupérer ce chiffre d’affaires, car la plupart des consommateurs font leurs courses dans un rayon n’excédant pas les 3 à 5 km autour de leur domicile ou leur lieu de travail. Stratégiquement, les derniers retailers restants acquerront une position plus solide sur le marché. Une grande partie des consommateurs continueront en effet d’opter pour le shopping physique. Par conséquent les magasins restants seront à nouveau extra rentables. » Bref : « The last man standing wins ».