Stefaan Le Clair, managing director de Berenike Global Fashion Management, a assisté au World Retail Congress Asia 2013 et a été surpris de tout ce qu’il y a vu et entendu. Lors du séminaire ‘E-commerce : Why switch ?’ en avant-programme du Congrès Retaildetail du 25 avril 2013, il nous expliquera pourquoi l’omni-channel est un must et comment les consommateurs changent à une vitesse fulgurante.
Asie : des milliards de jeunes consommateurs ayant un pouvoir d’achat
D’ici peu l’influence de l’Asie sur nos contrées sera fortement perceptible. Ces cinq dernières années les choses ont considérablement changé en Asie. En Chine, on prévoit que d’ici 2 à 3 ans la classe moyenne – disposant d’un pouvoir d’achat important – comptera 300 millions de personnes. On constate cette même évolution en dehors de la Chine. Ainsi Singapour, où a eu lieu le World Retail Congress Asia 2013 est considéré comme la ‘Silicon Valley’ et le centre financier de la région.
Alors qu’auparavant le rôle de l’Asie se limitait essentiellement à la production, on constate aujourd’hui qu’un énorme vivier de consommateurs commence à se former. Selon le dernier recensement d’il y a 15 ans, l’Indonésie comptait 280 millions d’habitants, un nombre qui n’a fait que s’accroître jusqu’à aujourd’hui. On pourrait quasiment parler d’un continent en soi. Plus encore le pays compte autant de consommateurs potentiels que toute l’Europe réunie. Pareil pour l’Inde, où d’ici quelques années sur une population totale de 1,1 milliard d’habitants, le nombre de consommateurs ayant un pouvoir d’achat important pourrait atteindre les 200 millions de personnes.
Autre facteur très intéressant, selon Stefaan Le Clair : la population y est très jeune. En Indonésie près de 50% de la population a moins de 25 ans. De ce fait ces consommateurs ont une longueur d’avance sur l’Occident. Ils ont des besoins et des exigences propres à la nouvelle génération, qui apparaîtront également chez nous d’ici quelques années.
Nouveau monde, nouvelles règles
Comment le retailer occidental doit-il réagir face à cette situation ? Stefaan Le Clair cite l’exemple de la chaîne de supermarchés britannique Tesco, qui ces dernières années est confrontée à la stagnation de l’économie européenne, mais qui a néanmoins su se profiler à l’international avec succès.
Selon Le Clair, l’approche de Tesco est très moderne : « A la base Tesco est un réel ‘big box player’, mais à l’autre bout du monde, le distributeur a su adapter son concept. Etant confronté à un autre type de consommateur et une démographie totalement différente, il a très vite compris qu’il fallait y appliquer une autre stratégie. »
Mais il n’est pas seulement question de s’adapter, si l’Occident veut faire du commerce avec d’autres continents – ce qui selon Le Clair était pourtant l’un des messages-clés au World Retail Congress Asia 2013 : « please do make your homework », soyez préparés, si vous voulez réussir en Orient –, car eux aussi viennent chez nous et changent les règles du jeu en Occident.
Suite à cette croissance de la classe moyenne en Orient, on croise de nombreux Asiatiques (et surtout des Chinois) dans les rues commerçantes à Londres et à Paris, explique Le Clair, mais l’inverse est vrai également : il y a quelques mois à Londres, au coin de South Molton Street et Oxford Street, la Mecque du shopping, est venu s’implanter la chaîne de mode pour hommes Bosideng dans un immeuble de plus de 2.000 m². Une façon de dire ‘nous voilà’. « Leur présence physique est un signal très net pour nos marques occidentales. »
Du webshop à la place de marché digitale
Nous pouvons également tirer des leçons de l’approche online en Asie. « Ici nous considérons l’e-commerce comme un nouveau canal de vente important. En Asie, ils voient les choses différemment : on y parle plutôt ‘d’une place de marché digitale’, dont certaines sont déjà actives en Europe. Pensez par exemple à l’e-tailer Rakuten. Il y a quelques mois Rakuten.de s’est implanté sur le marché allemand, mais la Belgique et les Pays-Bas sont également approvisionnés via Rakuten.com. L’entreprise, fondée à Tokyo en 1997, qui a démarré avec 5 collaborateurs, compte aujourd’hui 10.000 employés et réalise un chiffre d’affaires de plus de 10 milliards.
A noter qu’ils adoptent une approche assez particulière : on y parle de ‘places de marché’, car l’idée d’un environnement digital pour vendre son produit est abandonnée. Ils proposent plutôt un environnement d’achat virtuel. Ils considèrent leurs fournisseurs comme des ‘shop partners’, à qui ils demandent de concevoir un concept commercial au sein de leur infrastructure, créant ainsi des shop-in-shops digitaux.
« En Occident vous recherchez un environnement digital ‘clean’ avec une description bien précise du produit et une organisation bien structurée », remarque le Chief Marketing Officer de Rakutent lors du World Retail Congress Asia. Mais cela ne correspond pas au vécu que recherche l’entreprise : leurs clients (majoritairement jeunes) souhaitent plutôt un flux d’information hyper-dynamique, où tout est axé sur la marque et l’expérience du produit.
« Sur le site de Rakuten, tout va très vite. Parfois trop vite, selon nos normes, mais pour ce type de clients, cela fonctionne. Ainsi ils parviennent à atteindre la Génération Y, voire même la Génération Z, la première génération d’enfants avec des jouets digitaux. » Stefaan Le Clair estime que cette vision des Japonais peut nous être très utile, si nous voulons attirer la nouvelle génération : « Ils ont besoin d’autres messages que notre approche directe et ciblée. »
« Un petit coup de peinture dans votre magasin, ne servira à rien »
On l’aura compris, la vitesse est de mise, mais pas seulement pour dynamiser l’expérience d’achat : les clients eux aussi évoluent rapidement. « L’avenir du retail, c’est donc littéralement demain. Pas dans un an ou même cinq, mais demain. Il s’agit donc d’une toute autre approche pour les retailers, qui avaient l’habitude des projets à long terme. Aujourd’hui nous sommes obligés de répondre instantanément aux désirs du consommateur. »
L’apparition d’un environnement digital oblige le retail à progresser de manière révolutionnaire pour parvenir à suivre le consommateur. Tant chez nous qu’à l’autre bout du monde, la vente de ‘smart devices’ (appareils intelligents) connaît un énorme boom. Qui plus est en Asie, où la digitalisation connaît une montée en flèche, suite à la jeunesse de la population et la classe moyenne croissante. Mais c’est une règle générale : toute marque ou tout retailer, partout au monde, est contraint de s’adapter rapidement.« De plus, on ne peut plus innover comme on le faisait par le passé, en lançant un nouveau produit ou en créant un nouveau concept de magasin. Donner un petit coup de peinture à son magasin, n’y changera rien. » Un point de non-retour a été atteint selon Le Clair : ceci deviendra la norme et ceux qui n’y croient pas, s’en rendront compte rapidement.
« L’Europe doit arrêter de s’apitoyer sur son sort »
Lorsqu’en Occident nous sommes confrontés à un tel scénario, nous ne savons comment aborder cette nouvelle situation. Une fois de plus l’Orient peut nous servir d’exemple, estime Stefaan Le Clair : « Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’énorme dynamisme et optimisme que dégagent les retailers de là-bas. Pourtant ils sont confrontés à de sérieux défis : une croissance effrénée peut engendrer autant de problèmes qu’un manque de croissance comme c’est le cas chez nous. Ils se cassent littéralement la tête, afin de trouver des solutions pour faire face à cette croissance. »
Le conseiller en retail prévoit qu’à l’avenir le dynamisme proviendra d’Asie. C’est pourquoi il est très important d’observer comment les choses y évolueront, tout comme il est absolument nécessaire que l’Europe sorte de son marasme. « La consommation ne disparaîtra pas et par conséquent le retail non plus. Même par mauvais temps et avec un budget plus limité, le consommateur aura toujours des besoins. A nous de trouver une nouvelle manière de déterminer quels sont ses besoins et de les stimuler. Pour ce faire, les médias sociaux ont certainement un rôle important à jouer. »
Seule la rapidité pourra faire la différence
Les centaines de participants aux World Retail Congress Asia 2013 ont incontestablement compris le ‘wake-up call’. « Cela nous concerne directement. Nous ne devons pas lutter uniquement avec nos voisins de gauche et de droite que nous connaissons bien. Mais il s’agit également d’un combat virtuel face à des acteurs et des règles de jeu que nous ne connaissons pas. »
Dans cette optique nos retailers semblent encore trop ancrés dans leur point de vente. « Les bons retailers pourront augmenter la conversion, malgré un trafic moindre, alors que les autres lèveront désespérément les yeux au ciel. Finalement aujourd’hui il ne s’agit plus de conversion : chacun devra s’adapter, petits et grands, forts et faibles, sans distinction. »
Les problèmes de taux de fréquentation des rues commerçantes ne se solutionnent pas : « Le ‘traffic slowdown’ est un fait. Quels que soient votre emplacement, les réductions accordées ou les nouvelles collections proposées, tout cela n’y changera rien. Les ‘triggers’ sont différents, c’est une nouvelle réalité. » Cette nouvelle réalité n’est pas unidimensionnelle, mais tridimensionnelle : un éventail de différents canaux complémentaires.
La seule manière de se distinguer est la rapidité, selon Le Clair : les plus rapides à s’adapter, seront les vainqueurs. « Le terrain de jeu a été chamboulé, la plateforme s’est transformée. Le changement est donc une nécessité : si vous ne vous adaptez pas, quelqu’un d’autre le fera à votre place … »
‘E-commerce: why switch?’ est un avant-programme dans le cadre du Congrès Retaildetail du jeudi 25 avril au San Marco Village à Schelle. Découvrez ici la totalité du programme et inscrivez-vous via www.retaildetailcongres.be.