Les analystes craignent que l’arrivée de Jumbo en Belgique n’ait un impact négatif sur les marges de Colruyt. Les deux retailers pratiquent la garantie du meilleur prix et fixent leurs prix au niveau local. Dans le cas de Jumbo cette stratégie entraîne des ‘écarts de prix extrêmes’ entre les différents magasins.
Trois niveaux de prix
Jumbo pratique une stratégie du plus bas prix au quotidien (EDLP) et applique la garantie du meilleur prix aux Pays-Bas. Quiconque trouve un produit similaire à un prix fixe inférieur dans les environs, se verra offrir le produit gratuit et Jumbo adaptera son prix au plus vite. La garantie n’est cependant pas valable pour les actions promotionnelles temporaires. La chaîne serait en moyenne 5 à 6% moins chère que le leader du marché Albert Heijn.
Mais cela n’est pas le cas dans tous les magasins, révèle une analyse réalisée par le ‘Nederlandse Consumentenbond’ (ligue des consommateurs néerlandais) : la chaîne pratique en effet trois niveaux de prix différents en fonction de la concurrence locale. Jumbo appliquerait le niveau de prix le plus élevé dans 54% de ses magasins, le niveau de prix moyen dans 32% de ses points de vente et le niveau de prix le plus bas dans 14% de ses magasins. Cette révélation a suscité de vives critiques de la part des consommateurs.
Le comparateur de prix Superscanner a procédé à un examen minitieux des prix de Jumbo et vient de publier les résultats de son analyse dans la revue spécialisée Foodmagazine. Il en ressort que les différences de prix sont parfois importantes : pour la catégorie des vins, de la bière et des boissons fortes la différence de prix entre un Jumbo cher et un Jumbo bon marché s’élève à 3,5%, pour le rayon droguerie l’écart est de 3,0%. Pour les produits individuels les différences sont parfois nettement plus élevées : pour un déodorant par exemple Superscanner a découvert une différence de prix de 120%, pour une variante de dentifrice Colgate 108%, pour un rouleau de bonbons italiens 98,7% ….
Le plus cher possible
Ces grandes différences ne concernent pas uniquement les marques A, mais également les produits sous marques propres et sont probablement le résultat de réactions face à des concurrents meilleur marché dans des zones spécifiques. Il se peut que Jumbo compense les baisses de prix sur les produits de marques par des hausses de prix sur ses marques maison. Vu ces différents niveaux de prix, Jumbo applique jusqu’à huit prix différents pour un produit en fonction du magasin : ainsi l’analyse a détecté trois prix différents pour 2464 produits et quatre prix différents, voire plus, pour 739 produits.
Les consommateurs estiment que cette stratégie manque de transparecne et se sentent trompés. Toutefois Jumbo ne pourrait être rentable s’il pratiquait sa garantie du meilleur prix sur base de prix nationaux. Tout retailer tente de vendre au plus cher, à moins qu’il ne puisse faire autrement. Bref, la démarche de la chaîne néerlandaise n’est donc guère différente de celle de Colruyt en Belgique. Chez Colruyt aussi il y a des différences de prix en fonction des magasins, bien qu’il ne soit jamais question de différences extrêmes. En dehors du fait que Jumbo ne réagit pas aux actions, les règles de la garantie du meilleur prix sont assez semblables chez les deux retailers. La plus grande différence entre les deux enseignes se situe au niveau de la définition de la notion ‘locale’ : chez Jumbo la garantie est valable uniqement dans l’agglomération où se situe le magasin. Pour Colruyt la définition est plus large : le discounter adapte ses prix dans les magasins aux alentours. Le rayon est déterminé par divers facteurs : d’où viennent les clients, la diffusion de l’offre promotionnelle du magasin concurrent, le format de ce magasin …
Prix hollandais
La question est de savoir si Jumbo parviendra à exporter sa politique de prix sur un marché où un acteur – leader de surcroît – applique déjà une stratégie du meilleur prix similaire ? Car que se passe-t-il lorsque deux concurrents revendiquent le prix le plus bas? En effet, une guerre des prix risque d’éclater … D’ailleurs le discounter a déjà annoncé à divers journaux belges que cette guerre aurait bien lieu si le challenger le défiait. Le meilleur prix est la raison d’être de Colruyt. Le discounter n’en démord jamais, c’est une question de crédibilité.
Une telle guerre des prix coûtera plus cher à Colruyt qu’à Jumbo, car Colruyt sera obligé d’adapter ses prix dans un plus grand nombre de magasins. Mais fondamentalement il n’y a pas de grande différence entre l’arrivée de Jumbo et celle d’Albert Heijn, qui mise sur des promotions agressives auxquelles Corluyt réagit – et là il est question de bien plus qu’un petit eurocent de différence. Le discounter belge est mieux armé, plus grand et plus rentable que Jumbo et communique de manière plus transparente. Il se peut que la chaîne néerlandaise puisse acheter un peu moins cher chez certains fabriquants de marques, mais les débats sur les conditions de prix au Benelux – entamés par Ahold Delhaize à l’époque – font rage en ce moment …
Jumbo peut-il s’installer en Belgique sans garantie du meilleur prix ? Albert Heijn pour sa part a déjà prouvé qu’en adoptant une image judicieusement pensée avec des ‘Prix hollandais’ et un assortiment surprenant pour la Flandre, il est bel et bien possible de se faire une place sur le marché belge. Mais il semble peu probable que le péril jaune renonce à ses ‘7 certitudes’. Ce qui nous ramène à la même question : deux retailers avec la même propostion peuvent-ils coexister ? Quoi qu’il en soit Jumbo sera un chien encombrant dans le jeu de quilles …