Ceconomy, la maison mère de MediaMarkt, détient les clés de la consolidation du secteur de l’électronique en Europe. Le retailer se transforme en fournisseur de services et de solutions : « Nous aidons les gens à prendre les bonnes décisions. »
Divorce à l’amiable
Petit rappel des faits : suite à la récente scission de l’ancien Metro Group, la branche électronique grand public, qui chapeaute les chaînes de magasins MediaMarkt et Saturn, a pris le nom de Ceconomy. Quelques semaines à peine après cette prise d’indépendance, l’entreprise a racheté 24,3 % des actions de Fnac Darty à la famille Pinault (Groupe Artémis). Si la consolidation européenne n’était pas encore un thème à la mode dans le secteur de l’électronique, elle l’est devenue. RetailDetail a rencontré le CEO Pieter Haas au siège central de MediaMarkt à Zellik, en compagnie de Sven Degezelle, CEO de MediaMarkt Belgique et Luxembourg.
Pieter Haas se montre très satisfait de la scission. L’accent est désormais mis là où il faut. « Nous avons divorcé à l’amiable, même si la séparation s’est déroulée plus difficilement que prévu. C’est souvent comme ça en cas de divorce : nous étions d’accord de rester bons amis, mais quand il y a de l’argent en jeu, le ton des discussions tend à se durcir. Quoi qu’il en soit, nous convenons tous qu’il s’agissait de la meilleure décision et nous réjouissons de pouvoir nous concentrer sur notre cœur de métier respectif », affirme-t-il.
Ceconomy a rapidement tenu sa promesse de se mettre en quête d’entreprises à reprendre. « La prise de participation dans Fnac Darty aussi vite après la scission n’était pas prévue, mais l’opportunité était trop belle pour la laisser passer. La famille Pinault souhaitait se défaire de ses actions et nous avons dû nous décider rapidement. Grâce à cette opération, Ceconomy détient les clés de la consolidation du secteur de l’électronique en Europe. Nous avons toujours dit vouloir jouer un rôle de leader en la matière et nous venons d’accomplir un grand pas dans ce sens. »
Cadeau du ciel
La France est en effet un marché à ne pas négliger quand votre ambition est de devenir un leader européen. « Nous avions 1,9 % de part de marché quand nous avons quitté la France en 2011 ; aujourd’hui, nous détenons 24,3 % du numéro un du marché. C’est excitant. C’est un cadeau du ciel, tombé au parfait moment. Et le plus beau dans l’histoire, c’est que nous n’avons rien à faire. Nous sommes un investisseur stratégique. Fnac Darty est pour nous une opération financière. Dans le fond, cela signifie que nous pouvons apprendre à mieux connaître le marché sans aucune obligation opérationnelle. Nous n’aurions de toute façon pas été prêts pour cela étant donné le caractère récent de la scission. »
Il est depuis longtemps question de consolidation dans le secteur de l’électronique grand public, mais rien ne se passait. Pourquoi cela arrive-t-il aujourd’hui ? « Parce que l’industrie est obligée d’investir pour procéder à des changements nécessaires. De nos jours, une approche multicanal est incontournable. Il n’est plus possible de se passer d’étiquettes de prix électroniques. Le CRM doit être performant, la chaîne d’approvisionnement doit être bien organisée, les magasins doivent être respectueux de l’environnement, grâce notamment à l’éclairage LED… Bien des entreprises n’ont pas les moyens de consentir de tels investissements, quelle que soit leur position de force sur leurs marchés locaux. À cela s’ajoutent la pression sur les prix et la transparence des prix. Le consommateur sait tout. Évidemment, cela ne veut pas dire que vous risquiez de faire faillite du jour au lendemain si vous ne vous dotez pas d’étiquettes de prix électroniques. La mort est un lent processus. Mais elle est inéluctable. Lorsque vous devez d’un coup baisser les prix de 1 500 produits à l’occasion du Black Friday, les étiquettes électroniques sont la seule planche de salut. »
« C’est la raison pour laquelle nous observons aujourd’hui un phénomène de consolidation à de multiples niveaux. Fnac Darty aurait très bien pu continuer sans nous, mais tenait malgré tout à nouer un partenariat. Ce mouvement est aussi perceptible à l’échelle locale. Cette année, un commerçant indépendant, membre d’Expert en Allemagne, a rejoint MediaMarkt. Nous avons laissé son nom en façade et y avons ajouté le logo de MediaMarkt. Il dispose ainsi aujourd’hui d’un magasin pérenne, enregistrant un chiffre d’affaires en hausse. »
Solutionneur de problèmes
Qui sont aujourd’hui les principaux concurrents de Ceconomy en Europe ? « Expert est numéro deux, mais a un autre modèle d’affaires reposant sur les entrepreneurs indépendants. Et puis n’oublions pas Amazon, pas tant parce qu’elle vend les mêmes produits que nous, mais parce qu’elle cible le même consommateur. Ce qui me préoccupe le plus, c’est que les clients d’Amazon soient ‘captifs’ et qu’ils achètent aussi leur électro sur cette plate-forme. La conquête du client constitue donc le véritable enjeu. »
Ceci nous amène tout naturellement à la question suivante : comment rivaliser avec la toute-puissance d’Amazon ? « J’admire Amazon et j’en suis moi-même un bon client. Leur modèle est extrêmement simple pour le consommateur, mais il a aussi ses limites. Si le produit que vous avez acheté ne fonctionne pas, Amazon ne peut pas vous aider. Et je ne veux pas nécessairement dire quand le produit est défectueux, mais aussi quand il ne fait pas ce que vous en attendez. Acheter le produit n’est pas le problème, le faire fonctionner est une autre paire de manches. Les gens ont besoin de quelqu’un qui les aide dans leur vie numérique. C’est là qu’intervient MediaMarkt. Nous résolvons vos problèmes, we empower your digital life. Nous ne vendons pas de boîtes, nous vendons une vie numérique au consommateur. »
« Notre rôle de vendeur de produits est dépassé. Nous aidons les gens à prendre les bonnes décisions. Imaginons que vous vouliez acheter une installation sonore sans fil Sonos. Il convient alors d’abord de vérifier que la bande passante de votre connexion Wi-Fi à la maison est suffisante. Pas seulement en théorie, mais aussi dans la pratique, quand vos enfants sont en train de regarder Netflix… C’est là que nous avons un rôle à jouer. Cela va bien plus loin que le service après-vente ou une réparation. We help you manage your digital life. »
Les réparations comme générateur de trafic
Les réparations restent néanmoins une source d’opportunités pour MediaMarkt. « Si l’écran de votre iPhone casse, vous devez vous rendre dans une boutique Apple si vous voulez que la garantie reste valable. Et là-bas, on vous dit : revenez dans une semaine. Or on le sait, les gens ne peuvent plus se passer de leur smartphone… Nous proposons une réparation immédiate, pendant que vous attendez. Nous sommes en négociation avec Apple afin de voir comment préserver la validité de la garantie. C’est ce qui nous distingue d’Amazon. »
Sven Degezelle enchaîne : « Notre solutions corner, qui effectue les réparations dans les 40 minutes, remporte un vif succès. Nous y accueillons beaucoup de clients ‘pure play’ qui font désormais appel à nous. Cette activité génère du trafic supplémentaire. »
Amazon Echo et Google Home sont actuellement très en vogue. Que pense Pieter Haas des apps pilotées à la voix ? « Vous vous demandez si nous ne devrions pas aussi développer un tel système ? Honnêtement, c’est un puits sans fond… Notre rôle est ailleurs. Google Home est inutilisable en soi, il a besoin d’un écosystème pour fonctionner. Mais c’est vrai que Google Home nous donne l’occasion de parler de smart homes, le plus vaste marché non existant du monde qui prend enfin progressivement forme. Les gens auront besoin de quelqu’un pour les aider et, dans ce cas-là, Alexa leur demandera : veux-tu que j’appelle MediaMarkt ? »
« Le shopping n’est pas le premier champ d’application de la reconnaissance vocale. Le multicanal est le principal moteur des ventes en ligne. Amazon a seulement évincé les autres pure players. Le canal en ligne n’offre une solution qu’aux clients qui savent exactement ce qu’ils veulent ; c’est un pur outil transactionnel. »
Magasins plus petits
Pieter Haas est convaincu que, dans ce contexte, les magasins physiques conserveront toute leur pertinence. Le commerce en ligne n’a pas le monopole. « Le consommateur veut tout : achats mobiles, magasins, livraison à domicile… Les gens recherchent l’équilibre entre les mondes numérique et analogique. Le multicanal n’est pas un terme très pertinent en soi. Le consommateur se considère comme un client de MediaMarkt, pas comme un client multicanal. Le modèle retail d’hier est obsolète. À l’époque, nous avions plus de clients que de produits. Nous avons ouvert un magasin et avons mis 500 téléviseurs en promotion. Lorsque le 501e client s’est présenté, nous lui avons dit qu’il aurait dû venir plus tôt. Aujourd’hui, le retail consiste à se demander ce que vous pouvez faire pour votre client. »
Ceci dit, c’est vrai que les magasins évoluent. « Nous avons jusqu’ici misé sur les grandes surfaces, mais aujourd’hui, nous avons besoin de concepts de magasin différents. Le consommateur ne veut plus passer une demi-heure dans sa voiture. Même IKEA ouvre de petits magasins en centre-ville, sans parking. Nous devons aller à la rencontre du consommateur. C’est la raison pour laquelle nous ouvrons aussi des magasins de proximité, dont la superficie n’est pas de 3 000 m². À Berlin, nous sommes présents dans la gare centrale. Nous avons aussi ouvert un magasin numérique au cœur de Barcelone. Le succès ne sera peut-être pas toujours au rendez-vous, mais nous n’avons plus peur d’échouer. L’échec est le meilleur apprentissage. Nous devons changer d’attitude : ‘fail faster’. Pas comme en France où nous avons vivoté pendant vingt ans… »
Partenariat gagnant-gagnant avec Makro
Un axe important de la stratégie est la collaboration avec d’autres partenaires, et notamment les distributeurs alimentaires. « Ceux-ci sont doués pour ‘vendre des boîtes’, mais ils ne proposent pas de solutions. Nous si. Ils disposent de l’espace et du trafic, et nous d’une excellente connaissance du secteur de l’électro. Ils servent d’autres clients, qui reviennent chaque semaine. Cela ouvre des perspectives. C’est pour cette raison que nous collaborons avec Makro en Belgique, avec Metro en Russie et avec Tesco en Hongrie. C’est un modèle qui a fait ses preuves. »
Sven Degezelle confirme : « Nous avons aujourd’hui des filiales dans six magasins Makro et nous n’observons aucune cannibalisation vis-à-vis des magasins MediaMarkt environnants. Notre magasin à Makro Lodelinsart ne fait que 1 000 m² et il vend davantage de cartouches d’encre que notre plus grand magasin belge. Makro nous permet de toucher une clientèle différente : souvent des couples un peu plus âgés. Ces magasins atteindront le seuil de rentabilité dès la première année d’activité, et ce sans le moindre impact sur nos autres magasins. On peut vraiment parler d’un partenariat gagnant-gagnant. Cela m’a personnellement donné l’occasion de redécouvrir Makro. Ces magasins ont énormément changé, et ils offrent un assortiment extrêmement complet. »
Avec sa participation de 24,3 % dans Fnac Darty, le groupe Ceconomy a en théorie vraiment beaucoup de magasins en Belgique. Que va-t-il advenir de Vanden Borre ? « La Belgique et les Pays-Bas sont des exceptions. Il n’y a que là qu’il existe un tel chevauchement. MediaMarkt et Vanden Borre sont deux marques fortes. Et de toute façon, cela n’est actuellement pas un sujet de discussion. Nous détenons une participation de 24,3 % mais, d’un point de vue légal, c’est comme si nous avions 0 % des actions. Nous ne pouvons pas toucher au nom de marque ni au portefeuille de magasins. Nous sommes toujours concurrents, mais nous pouvons unir nos forces, par exemple au niveau des achats, dans le respect des dispositions légales bien entendu. »
Blockchain et robots
La pression sur les prix continue d’augmenter. Comment Ceconomy entend-elle préserver sa rentabilité ? « Notre grandeur d’échelle est un atout. Les fournisseurs ont visiblement redécouvert nos magasins. Nous travaillons aussi en coulisses à l’optimisation de nos processus. Nous évoluons d’une approche orientée produits vers une stratégie orientée services et solutions. Une dernière option – pas pour tout de suite mais à l’avenir – consiste à valoriser les données au lieu de nous en débarrasser. Retail Media Group a été créé dans cette optique. En agrégeant les données relatives aux comportements en ligne, nous pouvons adresser des messages publicitaires très ciblés aux consommateurs, qui correspondent parfaitement à leur profil, comme le font déjà Amazon et Google. Mais cela ne marchera que si les retailers comprennent qu’ils doivent partager leurs données. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons rivaliser avec des mastodontes comme Amazon et Google. Nous faisons preuve d’une grande ouverture. Nous combinons déjà nos données non personnalisées avec celles de Metro, Pro Sieben, Saturn, Thalia, Real, iBood, Juke… »
« Nous voulons devenir une entreprise tournée vers les technologies de l’information. Par le passé, on nous a souvent traités d’idiots ratant à chaque fois le coche. Aujourd’hui, nous faisons figure de précurseurs. Nous avons nommé un chief digital officer qui est chargé de surveiller les tendances susceptibles de prendre de l’importance dans les deux années à venir. La blockchain en est une. C’est une technologie que nous devons apprendre à maîtriser. Nous sommes aussi en avance en termes de robotisation. Paul, notre robot, n’est pas encore très polyvalent, mais il va gagner en intelligence. Nous continuons d’apprendre et d’expérimenter. »
Quelle est, pour conclure, la mission de Ceconomy, sa raison d’être ? « Pourquoi nous existons ? Pour vous donner le contrôle de votre vie à l’ère numérique. Nous voulons être le partenaire et le compagnon qui vous aide à vivre dans le monde numérique. »