Les marques FMCG cultivent leurs relations avec les food bloggers créatifs et cette collaboration tend même à se professionnaliser. D’un sympathique hobby, certains blogs se transforment en source de revenus à part entière. Mais le moteur principal reste la passion.
Contacts non contractuels
Belles photos, recettes originales, placement de produit, ateliers : c’est sûr, les food bloggers ont la cote ! En Belgique, le phénomène reste relativement modeste. Difficile en effet de réunir des millions de followers dans un petit pays comme le nôtre. Cela n’empêche pas certains blogueurs culinaires belges de se professionnaliser et de formaliser leur collaboration avec les marques. Certains blogueurs se sont constitué un véritable kit média, avec des tarifs fixes pour les mentions ou pour l’élaboration d’une recette par exemple. Un goodie bag ne suffit plus. Qu’attendent les marques de leur partenariat avec les blogueurs ? Quels services les deux parties peuvent-elles se rendre mutuellement ? Nous avons déniché pour vous quelques exemples de collaborations inspirantes.
Le marketing manager Christophe Janssens de Charlier Brabo Group (Elvea, Target…) collabore occasionnellement avec des blogs de cuisine, tels que Cookameal, le blog d’Amylia De Schepper, et Hap en Tap, le blog de Myriam Minne. « Nous n’avons pas de partenariats exclusifs. Disons que nous entretenons de bons contacts non contractuels. Lorsque nous planifions des ateliers culinaires lors d’un événement tel qu’Antwerpen Proeft, nous faisons appel aux services de nos amis blogueurs moyennant rémunération. Ces relations se sont développées tout à fait naturellement. »
Créativité et enthousiasme
Les blogueurs offrent-ils donc autre chose que les agences culinaires professionnelles ? « En premier lieu, la créativité et l’enthousiasme. En tant que marque alimentaire, vous êtes toujours à l’affût de bonnes idées. Lorsque vous faites appel à des professionnels, vous pouvez souvent deviner entre les lignes quel chef est l’auteur de la recette. Les blogueurs nous proposent un plus large éventail de plats créatifs. Je suis toujours épaté par l’énergie et le temps qu’ils consacrent à leur blog. Ces gens – souvent des jeunes femmes – sont extrêmement passionnés. N’oublions pas qu’ils exercent pour la plupart cette activité en marge d’un emploi à plein temps. »
Elvea ne paie généralement pas les recettes. « Nous leur remettons par exemple des goodie bags qu’ils peuvent distribuer à leurs followers, ou nous organisons un ‘blog challenge’, à l’issue duquel l’auteur de la meilleure recette remporte un dîner entre amis. Il faut savoir que bon nombre de blogueurs ne peuvent pas facturer leurs services puisqu’ils ne possèdent pas le statut d’indépendant. »
Elvea accorde une belle place aux recettes des blogueurs sur son site Web et les utilise également dans ses publications, entre autres dans Simply You, le magazine de Carrefour. Le blog y est alors explicitement mentionné. « Ils nous rendent service, et vice versa. Tout le monde y gagne. J’apprécie beaucoup cette manière de travailler. »
« Une relation à développer »
À l’heure de rédiger cet article, nous voyons passer de nombreux avis de blogueurs à propos de la boîte repas Simply You. Cela ne peut être un hasard. Et effectivement, Carrefour collabore aussi régulièrement avec des blogueurs, nous confirme le porte-parole Baptiste Van Outryve. « La force des blogueurs, c’est qu’ils s’occupent eux-mêmes de recruter des fans et de bâtir leur crédibilité. Cette garantie d’authenticité est essentielle et il est donc important de leur laisser carte blanche. Nous ne leur donnons donc pas d’instructions et ne les censurons évidemment pas. Concrètement, cela veut dire qu’ils testent les produits et écrivent et publient ce qu’ils veulent à ce sujet. »
Carrefour recherche-t-elle chez les blogueurs quelque chose que les autres médias ne peuvent lui offrir ? « Les blogueurs et influenceurs sont un média complémentaire des autres et disposent de leur propre communauté de lecteurs. Ils jouissent en outre d’une grande authenticité et crédibilité auprès de leur public, ce qui représente une réelle valeur ajoutée. » On ne choisit pas les blogueurs, ajoute Baptiste. « Il faut développer la relation et leur faire des propositions sur base de leur spécialité et de votre calendrier. Si cela les intéresse et s’ils ont le temps, ils testent les produits ou les services. »
Les testeurs de la Simply You Box n’ont pas été rémunérés, mais ont reçu des codes de réduction à distribuer à leurs lecteurs. « La grande force des blogueurs, c’est l’image d’indépendance, d’authenticité et de crédibilité dont ils bénéficient auprès de leur audience. Contrairement à d’autres, Carrefour est d’avis qu’il faut défendre ces points forts. Il n’est donc pas question pour nous de les payer : nous n’achetons pas d’espace publicitaire ! Nous laissons les blogueurs libres d’écrire ce qu’ils veulent. Nous apprécions leurs critiques constructives. Les avis de spécialistes ou d’amateurs nous permettent de perfectionner nos produits et services. »
Enthousiasme communicatif
Nous sommes allés éclairer notre lanterne auprès d’Amylia De Schepper du blog cookameal.be, qui attire chaque mois quelque 15 000 visiteurs uniques. « À travers mon blog, je souhaite encourager tout le monde à se mettre aux fourneaux », raconte-t-elle. « Cookameal.be propose pour ce faire une combinaison de recettes, d’anecdotes culinaires et de conseils, le tout relevé d’un zeste d’originalité et d’une bonne pincée d’enthousiasme. Les ‘cookamealtjes’ sont des recettes faciles à réaliser, à base d’ingrédients assez courants. Le blog propose également des articles dédiés aux voyages et au lifestyle, bourrés d’anecdotes, de conseils et de belles photos, toujours avec un clin d’œil vers la nourriture. » Depuis janvier, Amylia publie également chaque semaine une recette dans le journal gratuit Deze Week. « J’en suis vraiment très fière. Et puis, cela me permet de toucher un tout autre public. Ma grand-mère fait désormais aussi partie de mes fans ! »
Collabore-t-elle avec des marques alimentaires ? « Oui, je mentionne des marques sur mon blog. Aussi bien à titre gratuit que payant. Le principal critère, c’est que les produits me plaisent vraiment, sinon ça ne m’intéresse pas. Les gens me disent souvent que mon enthousiasme est communicatif, et c’est justement parce que j’assume réellement tout ce que j’écris. »
Une amusante activité d’appoint
Il existe plusieurs formes de collaboration possibles, explique-t-elle. « J’ai par exemple déjà fourni de nombreuses recettes et/ou photos à des clients externes. J’ai récemment réalisé les photos pour un restaurant anversois et produit les photos et les recettes pour le dépliant de fin d’année d’un magasin de cuisine et de décoration d’intérieur. » La collaboration avec Elvea n’est pas structurelle mais plutôt basée sur des initiatives ponctuelles, ou des kits d’échantillons de produits. « L’année dernière, j’ai évidemment participé à Antwerpen Proeft… et je remets ça cette année ! Je collabore régulièrement avec des entreprises et des marques actives dans des secteurs très divers. »
Le blog marche bien, mais Amylia n’envisage pas d’en faire son métier. « C’est une amusante activité d’appoint qui me donne l’occasion d’assister à de chouettes événements et d’être en contact avec une communauté de followers fidèles. Pour l’instant, je fais vraiment ce qui me plaît. Je ne fais rien dont je n’ai pas envie. Lorsque votre blog devient votre profession, vous êtes obligé d’accepter certaines missions et d’écrire sur des sujets imposés pour vous assurer des revenus mensuels suffisants. Mais j’admets que je rêve parfois de travailler un jour en moins par semaine pour pouvoir mieux organiser mon temps. Qui sait, cela arrivera peut-être un jour. Mais pour l’instant, je suis tout à fait satisfaite de ce hobby quelque peu envahissant. »
La passion pour moteur
Un blog populaire du côté francophone est celui de Sophie Charlier, baptisé Tomate-Cerise. Une pionnière du genre, puisqu’elle est active depuis 2007. Son blog a vu le jour un peu par hasard. « J’étais enseignante à l’époque et j’ai créé ce site Web en guise d’exemple pratique à l’usage de mes étudiants. J’ai décidé d’y publier quelques recettes afin de les partager avec mes amies, et une chose en a amené une autre… »
Depuis, Sophie a pris le statut d’indépendant et exerce différentes activités. Son blog attire en moyenne 20 000 visiteurs uniques par mois grâce à des recettes accessibles, des idées de décoration et des critiques de produits. Elle possède aussi sa propre chaîne YouTube. La passion reste son moteur. « J’adore vraiment ce que je fais. »
Bloguer coûte de l’argent
On observe ici aussi une tendance à la professionnalisation : les personnes intéressées peuvent commander un kit média via le site Web. « Il ne faut pas oublier que bloguer coûte de l’argent. Il faut payer pour l’utilisation d’une URL et pour vos déplacements. On investit beaucoup de temps. Je trouve donc tout à fait normal d’être rémunérée lorsque les marques me contactent pour me demander d’élaborer une recette par exemple. J’indique alors toujours clairement ‘en partenariat avec…’. Mais les produits ou adresses qui me plaisent particulièrement ont toujours droit à une mention gratuite. »
Nous voyons en effet des références à des marques telles que Côte d’Or, Knorr, Nutella, Les Fromages de Suisse… « Les marques cherchent par ce biais à gagner en visibilité et à accéder à ma communauté. Il doit cependant s’agir de produits qui me plaisent et qui cadrent avec l’esprit de Tomate-Cerise. » En plus de son blog, Sophie a également publié un livret de recettes imprimé qu’elle distribue via diverses épiceries fines de la région bruxelloise, à un tirage de 10 000 exemplaires.
Approche personnalisée
Ellen Van Gool décrit son blog Kokerellen.be (qui comptabilise quelque 15 000 visiteurs par mois) comme un blog culinaire personnel reposant sur quatre piliers : rapidité, facilité, santé et plaisir. Elle publie une nouvelle recette deux fois par semaine et un billet (le plus souvent) dédié à la cuisine une fois par semaine. « Mon blog parle de la cuisine de tous les jours, adaptée au rythme de vie effréné des gens comme vous et moi. J’essaie d’apporter ma patte à mes recettes et à mon blog en publiant de temps en temps un article personnel ou en associant des anecdotes que j’ai vécues à mes recettes. Je remarque que mes lecteurs sont nombreux à apprécier cette touche personnelle. »
Kokerellen est aujourd’hui une véritable entreprise, qui collabore avec les marques et qui ne s’en cache pas. « Ma préférence va aux missions rémunérées, mais je ne perds jamais l’authenticité de mon blog de vue. Il n’est pas question pour moi de collaborer avec une marque qui ne cadre pas du tout avec l’image de mon blog, peu importe les sommes en jeu. À l’inverse, si je suis vraiment convaincue par un produit, je n’hésite pas à le promouvoir à un prix avantageux voire gratuitement, tout simplement parce que je veux le faire connaître à mon audience. Je fais très attention à ne pas me transformer en publicité ambulante. »
Ateliers culinares
Ellen Van Gool est également active hors ligne : « J’aide les entreprises à formuler leurs stratégies de marketing social, je crée du contenu (articles de presse relatifs à la cuisine, photographie et stylisme culinaire, ou création de recettes pour les entreprises). J’organise également des ateliers culinaires, là encore tout à fait dans l’esprit de mon blog. »
Ellen est particulièrement enthousiaste à propos de sa collaboration avec Camp’s, une marque qui partage les mêmes valeurs que Kokerellen. « J’ai imaginé plusieurs recettes pour eux, que je publie chaque mois sur mon blog. En tant qu’ambassadrice, j’assiste régulièrement à des événements afin de promouvoir les produits de Camp’s. » Dans le cadre de ce partenariat, Ellen a notamment imaginé la recette des Poivrons au vinaigre, qui a intégré la gamme Camp’s Classics.
A-t-elle l’ambition de vivre de son blog ? « Je travaille actuellement à mi-temps en tant qu’indépendante et j’ai bien du mal à tout gérer. Je ne m’en plains évidemment pas, car peu de gens ont la chance de faire de leur passion leur métier. Je trouve toutefois très important d’offrir un service de qualité à chacun de mes clients, donc il n’est pas exclu que Kokerellen devienne à terme mon activité principale. »
Jusqu’à 500 euros
« La plupart des blogueurs travaillent à titre gratuit, mais si une marque recherche certaines garanties par rapport à une publication, elle est parfois amenée à rémunérer l’auteur », témoigne Sarah Van Oostende, managing partner de l’agence de relations publiques Yapado. Le fait que les blogueurs se fassent rémunérer pour l’élaboration de recettes ou la réalisation de photos est compréhensible. « La plupart des blogs sont illustrés de très belles photos. » Certains blogueurs demandent jusqu’à 500 euros par recette. D’autres blogs se montrent réticents vis-à-vis de cette approche commerciale et préfèrent préserver leur indépendance.
« Il y a quand même du changement dans l’air. Autrefois, il suffisait d’envoyer des colis d’échantillons par la poste ou de distribuer des goodie bags. Aujourd’hui, nous investissons davantage dans l’expérience de marque. Nous organisons plus régulièrement des événements, des ateliers culinaires… où nous essayons de nous inspirer mutuellement. L’important dans tout ça, c’est de développer des contacts positifs et spontanés avec les blogueurs. Ils nous soumettent parfois aussi des idées, à titre gratuit ou non. »
Crédibilité
Les Pays-Bas font figure de précurseur en la matière. « Là-bas, les blogueurs food réclament quasi systématiquement une rémunération par publication : 50 euros, 75 euros, voire beaucoup plus. Certains blogs culinaires sont regroupés chez un bureau marketing qui gère leurs budgets publicitaires. Je n’ai jamais vu ça en Belgique. »
Il y a malgré tout encore de la place pour des collaborations spontanées aux Pays-Bas. « Nous sommes par exemple en contact avec Rens Kroes, la sœur du top model Doutzen Kroes et la blogueuse food par excellence aux Pays-Bas. Elle a réagi spontanément à un communiqué de presse relatif à la bouteille Klean Kanteen et à l’ECOlunchbox, toutes deux en acier inoxydable. Étant donné qu’elle promeut notamment des lunchs sains à emporter sur son site, ces deux marques collent bien avec sa vision. Nous lui avons proposé de choisir des produits pour un montant de 300 euros, dont elle assure aujourd’hui la promotion sur son blog sans frais supplémentaire. Tout simplement parce qu’elle apprécie personnellement la marque. Ce sont selon moi les collaborations les plus agréables et les plus crédibles, et c’est finalement ça qui compte. »