Le secteur des voyages était-il en veille lorsqu’un étudiant du nom de Joost Romeijn s’est accaparé le marché ?
P.T. : « Le fondateur de Sunweb, Joost Romeijn, a toujours cru au modèle direct sans intermédiaires. Il appelait ça skip the middleman. Lors des débuts de Sunweb, il organisait des voyages pour étudiants sous le nom de GOGO Tours, mais les étudiants ne sont pas étudiants éternellement, il a donc dû trouver un moyen de renouveler son groupe cible. Il plaçait des annonces sur télétexte en Hollande et proposait des voyages sous un nouveau nom, SUNtext, prédécesseur de Sunweb. A partir de ce moment-là, il a su atteindre un large public et l’ascension fulgurante de Sundio Group était lancée.
La plupart des agences de voyages opéraient encore selon un modèle d’entreprise classique avec une structure d’agences de voyages, de tour-opérateurs et d’agents de voyages. Une formule très onéreuse qu’ils n’ont pas pu renverser immédiatement. En plus, à cette époque, l’utilisation d’internet en Hollande s’est développée massivement. Sunweb a su prendre la balle au bond et a proposé des voyages sur le net. Les prix étaient bien plus bas que ceux des agences de voyages classiques, puisque le client ne devait plus payer toutes les commissions des personnes intermédiaires. La base du succès».
Les collègues du secteur des voyages ne vous ont certainement pas été reconnaissants.
P.T. : « Effectivement. Contrairement à nos collègues, nous démarrons avec une page blanche, sans frais supplémentaires. Nous ne livrons pas de voyages à la carte, nous faisons juste ce que nous savons faire de mieux, avec une bonne rentabilité. Chez nous, vous ne trouverez pas de voyage itinérant aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud. Notre structure n’est pas fondée sur ce concept ».
‘Le client sait exactement où il veut aller’
Les agences de voyages n’ont-elles pas la vie dure , maintenant que les fournisseurs s’adressent aux consommateurs en direct?
P.T. : « Vous avez deux styles de tourisme: le tourisme de masse et les voyages à la carte. Dans le cas du tourisme de masse, le prix a une importance décisive, du moment que le service proposé soit identique sur place. Après tout, le client sait aussi calculer et il compare les offres de voyages sur internet. Par exemple, ce client ne comprend pas pourquoi il devrait payer plus cher auprès d’une autre agence de voyages pour le même hôtel au même endroit. Quand il s’agit d’un voyage à la carte, par exemple en Namibie, le client a moins tendance à faire les recherches lui-même.
Les agences de voyages qui fonctionnent uniquement en tant que ‘passe-plats’ vont disparaître. Grâce aux nouvelles technologies, le voyageur est souvent mieux informé que l’agence de voyage elle-même. Il est impossible de connaître par coeur les centaines de milliers de destinations, avec hôtels. Nous choisissons consciemment de ne pas proposer ce segment, parce que, notre technologie n’est pas destinée aux voyages à la carte. Il y a un avenir pour les agences de voyages qui se spécialisent dans les voyages à destinations bien spécifiques ».
Sortez-vous du lot grâce au ‘destination power’ et à la technologie?
P.T. : « C’est une question que nous nous posons souvent. Au fait, nous sommes le Colruyt du secteur des voyages. Nous vendons les produits A à un prix plus bas. Nous ne pouvons pas nous permettre d’offrir une mauvaise qualité. Grâce à une demande importante, nous proposons les mêmes voyages, soutenus par les nouvelles technologies. Puisque nous sommes devenus des acteurs à part entière au niveau volume, nous avons également le même destination power. Ce qui nous différencie des autres fournisseurs, c’est que nous ne passons pas par des intermédiaires et que la réduction revient donc en direct au client ».
Que devient le conseil personnalisé? Est-il devenu inutile à cause de la technologie actuelle?
P.T. : « C’est effectivement la réalité. Le modèle d’entreprise traditionnel des deux grands groupes, Thomas Cook et TUI, fonctionnait très bien lorsque l’agent de voyage représentait le canal de distribution principal pour la vente de voyages. Mais grâce à internet, le produit push est devenu un produit pull. Maintenant, c’est le consommateur qui décide. C’est lui qui vous dit où il veut aller, quand et comment il veut voyager. Lorsque la technologie offre le confort, la capacité et le prix, il est devenu très difficile pour l’agent de voyage d’apporter une valeur ajoutée à la vente de produits charter traditionnels vers des destinations populaires comme l’Espagne, la Turquie et la Grèce ».
Quel est le pourcentage des voyageurs qui n’achète pas de voyages organisés, qui va lui-même à la recherche d’un vol et d’un hébergement?
P.T. : « La part moyenne des voyages organisés se situe entre 27% et 30%. Les formules de courte durée et les excursions d’un weekend sont également reprises dans ces chiffres. La définition de ‘voyage’ est très large. Le choix du voyage organisé dépend fortement de la destination. La Turquie en est un bon exemple. Sur une même digue, vous pouvez trouver une dizaine d’hôtels avec autant d’étoiles et avec un service identique. Les gens qui sont au courant, vont comparer: pas les hôtels, mais les destinations. Le tour-opérateur peut encore les aider dans cette tâche. Par contre, en ce qui concerne un voyage en Espagne, le client va davantage chercher lui-même. Pour l’Espagne, on réserve très régulièrement via Ryanair, alors que seulement une minorité réserve directement chez Turkish Airlines. Malheureusement, des chiffres officiels n’existent pas. Nous nous basons sur notre expérience personnelle ».
‘Seuls les plus forts survivent’
Le rôle des intermédiaires est-il devenu superflu à cause d’internet? Le voyageur actuel s’est transformé en un véritable self-made-man.
P.T. : « Ryanair a encore accéléré le processus du nouveau voyageur self-made-man. Lorsque le consommateur découvre un vol intéressant, il réserve immédiatement. Ensuite, il va à la recherche d’un hébergement. Par contre, le self-made-man devra se débrouiller seul en cas de problèmes. Notre valeur ajoutée en tant qu’organisateur de voyages se situe dans les extras que nous offrons à nos voyageurs. Lors de l’éruption du volcan Eyjafjallajökull, nos voyageurs en Islande étaient régulièrement tenus au courant de l’évolution de la situation par SMS. Les clients qui avaient réservé auprès d’un tour-opérateur restaient à destination aux frais de l’organisation de voyages jusqu’à la réouverture de l’espace aérien et ont pu ensuite rentrer en Belgique en avion. Ils avaient, en quelque sorte, reçu quelques jours de congé supplémentaires, contrairement aux clients Ryanair qui ont dû se débrouiller eux-mêmes ».
Ne serait-il donc pas conseillé de contrôler les fournisseurs d’hébergements et de transport? Destination power : est-ce la seule façon de survivre?
P.T. : « Certainement. Puisque Sundio Group est actif dans différents pays, nous pouvons élargir notre destination power. Nous essayons de nous profiler en concluant des consensus. De cette façon, nous avons des prix très serrés que le consommateur ne pourra jamais obtenir pas ses propres moyens. Par exemple, nous avons signé un accord avec la compagnie aérienne Transavia pour l’achat d’un nombre bien précis d’heures de vols qui nous permettront de concrétiser nos destinations et nos périodes de voyages.
Nous ne possédons pas nos propres avions. Au niveau capacité, il y a une trop grande fluctuation entre l’été et l’hiver ce qui nous obligerait à garder nos appareils au sol plus souvent en hiver. Ce sont des frais inutiles ».
Maintenant que le consommateur a la possibilité de réserver en direct auprès de la compagnie aérienne, j’imagine que l’organisation de voyages est obligée d’acheter ses voyages organisés chez le fournisseur (vendu ou pas!). L’organisation de voyages ne prend-elle pas des risques?
P.T. : « Oui, nous nous trouvons au beau milieu des killing fields. L’année passée, les quatrième et cinquième plus grands voyagistes ont été mis en liquidation, c’est assez significatif (Intercomfort et Best Tours ont fait faillite, ndlr). Ils ne faisaient pas partie d’un grand groupe et n’ont pas fait de choix. Les clients l’ont fait à leur place. La situation dans le secteur des voyages est implacable, parce que les marges sont extrêmement petites. Seuls les grands peuvent survivre puisque vous devez faire vivre votre organisation grâce à l’addition des petites marges.
Vous devez pouvoir compter sur des garanties d’achats importantes, si vous voulez faire des offres quasi exclusives. C’est impossible pour un voyagiste indépendant belge qui aimerait participer au champions league (lisez: tourisme de charter). Les barrières sont si hautes que les nouveaux n’ont pas voix au chapitre. Joost s’est trouvé au bon moment au bon endroit. Nous sommes le pure player du secteur des voyages. Malheureusement, seuls les plus forts survivent ».
Communication sur mesure avec le client
Ne serait-il pas intéressant de proposer un menu au consommateur qui lui permettrait de composer chaque facette de son voyage lui-même?
P.T. : « Certains clients seraient certainement ravis. Mais en cas de problèmes, la question incontestable de la responsabilité se posera? En ce moment, la responsabilité est clairement établie: nous sommes les seuls responsables en cas d’ennuis ».
Pourquoi deux entités Sunweb, une hollandaise et une belge? Travailler à partir d’une seule entité serait plus économique, non?
P.T. : « La maison-mère en Hollande gère tout ce qui concerne le back office et la technologie. Le front office, comme la vente et le marketing, se fait par pays. La raison est que le belge n’est pas hollandais, et inversement. Ils parlent et pensent différemment. Il est important de sentir les nuances, sinon ça ne fonctionne pas. Voyez par exemple l’usage de la langue. Un ‘monitor‘ en Hollande signifie un écran, chez nous il s’agit d’une personne travaillant pour l’organisation de voyages. Les intérêts sont également très dissemblables. Par exemple, le consommateur belge est très sensible aux services extras ‘gratuits’ comme le transport de et vers l’aéroport en Belgique, ou une assurance annulation à un euro. Nos chiffres prouvent que cette approche différente est bénéfique ».
Comment atteignez-vous les clients potentiels? Les voyageurs sont-ils fidèles à la marque?
P.T. : « Via le marketing traditionnel en ligne comme Google Adwords, optimalisation de recherche, marketing email, affiliate marketing… Mais en Belgique, plus qu’en Hollande, nous communiquons également à travers les canaux classiques comme la radio, et lors d’événements populaires comme le cyclo-cross. Nous ressentons réellement une différence de comportement en ligne entre les belges et les hollandais.
Et en ce qui concerne la fidélité à la marque, il n’en est absolument pas question dans le secteur des voyages. Ce qui est le plus important, c’est le prix, même si l’expérience lors d’un voyage précédent était tout à fait satisfaisante. Dans ce cas, vous aurez une petite avance, mais si une autre agence de voyage propose le même service à un prix plus avantageux, vous devrez faire de votre mieux pour garder ce client ».
La version complète de cet article est parue dans l’édition du mois de mai du Magazine RetailDetail.
Traduction : Laure Jacobs