L’expansion internationale de Lidl se déroule à une cadence élevée. Maintenant que le discounter a nommé un nouveau CEO et s’apprête à ouvrir ses premiers magasins aux USA, il est intéressant d’examiner de plus près les chiffres derrière cette success story.
Forte croissance
Bien que Lidl ne soit pas une entreprise cotée en bourse, le groupe publie néanmoins les résultats de Lidl Stiftung & Co KG, la division qui dirige toutes les activités internationales (donc hors Allemagne). Les analystes de Barclays se sont plongés dans les chiffres disponibles de ces quatre dernières années, jusqu’à l’exercice 2015 (clos fin février 2016). Une analyse qui ne manque pas d’intérêt.
Le rythme de croissance élevé de Lidl mérite le respect. Durant l’exercice 2015 son chiffre d’affaires a progressé de 12% à 38,3 milliards d’euros. Les années auparavant il était également question d’une forte progression : 11,2% durant l’exercice 2014 et 14,1% en 2013. Bien que Lidl ne publie pas de chiffres séparés par pays, nous savons que la croissance a été particulièrement forte notamment au Royaume-Uni, en Espagne (+12,5%) et en Tchéquie (+16%).
Marges élevées
A noter que la croissance ne s’accompagne pas d’une pression sur les marges. L’EBITDA ou cash-flow opérationnel s’est établi à 7,79% en 2015, son niveau le plus élevé depuis 4 ans. En Europe seul Colruyt fait (légèrement) mieux.
Malgré de gros investissements dans les prix dans plusieurs pays, Lidl est parvenu à augmenter sa marge brute à 26,40%, là aussi le pourcentage le plus élevé depuis 4 ans. Une belle performance que Lidl doit sans doute en partie à l’upgrade de ses magasins, avec davantage de produits frais et de marques A. Cela illustre également l’efficacité du business model de Lidl, qui allie un forte puissance d’achat et une maîtrise des coûts poussée.
Coûts peu élevés
En 2015 les charges de personnel se sont élevées à 8,9% du chiffre d’affaires, un pourcentage peu élevé comparé à la plupart des autres acteurs du secteur – seuls DIA et Jeronimo Martins font mieux. Chez Colruyt les charges de personnel s’élèvent à plus de 13%, chez Ahold Delhaize à plus de 14%. Pourtant Lidl n’a pas la réputation de mener une politique de bas salaires. Ces chiffres sont donc la conséquence de la focalisation sur l’efficacité. Chez Lidl Stiftung les revenus par employé ont augmenté de 4,7% en 2015.
Plusieurs facteurs permettent d’atteindre cette productivité élevée, notamment l’assortiment réduit, l’aménagement similaire de tous les magasins, ainsi que le shelf-ready packaging. D’autre part les employés de magasin sont polyvalents : ils travaillent tant à la caisse qu’au remplissage des rayons en fonction de l’affluence.
Expansion agressive
Entre 2012 et 2015 les investissements internationaux de Lidl ont doublé. En 2015 le Capex (Capital Expenditure ou investissement dans l’innovation/remplacement) chez Lidl Stiftung a augmenté de 13,7% à 2,84 milliards d’euros, soit 7,4% du chiffre d’affaires.
Un pourcentage très élevé comparé au secteur, mais qui ne tient pas compte de l’Allemagne où l’expansion est en grande partie accomplie. Etant donné que Lidl construit des magasins relativement simples, le nombre de m² supplémentaires devrait être proportionnellement plus élevé que chez ses concurrents. Toutefois Lidl ne publie pas de chiffres à ce sujet.
Puissance d’achat
Tous les chiffres semblent indiquer que Lidl Stiftung contrôle parfaitement cette stratégie d’expansion agressive. Le capital d’exploitation reste négatif (-5% et moins, mieux que la moyenne du secteur), les délais de paiement sont passés de 41 à 40 jours et la rotation des stocks s’est limité à 19 jours en 2015, contre 21 jours l’année auparavant et 31 jours pour le secteur en Europe.
Là aussi le concept spécifique de Lidl y est pour beaucoup. Un assortiment limité augmente la puissance d’achat (grands volumes par SKU), réduit la complexité de la chaîne d’approvisionnement et limite les risques liés aux stocks. Le focus sur les labels privés renforce le positionnement prix et la rentabilité. Cela renforce également la position de force de Lidl par rapport à ses fournisseurs. L’utilisation de promotions in/out dans le non-food génère du trafic vers les magasins, tout en limitant les risques liés aux stocks.
Et maintenant l’Amérique
Schwarz Group a déjà annoncé son intention d’augmenter ses investissements de 5,2 à 6,5 milliards d’euros en 2016. Des investissements qui profiteront surtout à Lidl. Le retailer se lance aux Etats-Unis et en Serbie et continue de rénover et d’optimaliser son réseau de magasins sur d’autres marchés. En outre le discounter va très certainement développer ses activités en ligne.
En ce qui concerne les Etats-Unis : les 20 premiers magasins ouvriront leurs portes dès cet été en Virginie et en Caroline du Nord et du Sud. D’ici l’été 2018 Lidl espère compter une centaine de magasins le long de la Côte Est. A raison de 100 magasins par an Lidl pourrait rapidement devenir un acteur de taille aux USA avec un chiffre d’affaires de 9 milliards de dollars d’ici 2023 (selon les estimations de Kantar Retail). Dans un premier temps un supermarché américain de Lidl devrait générer un chiffre d’affaires de 10,9 millions de dollars, d’ici 2023 le chiffre d’affaires devrait atteindre 15,2 millions de dollars.
Impact sur Ahold Delhaize?
L’arrivée de Lidl aux USA aura inévitablement un impact sur les retailers existants de la région. Dans le segment discount Aldi et Save-A-Lot, entre autres, y sont déjà actifs ; deux acteurs qui eux aussi ont annoncé d’ambitieux projets d’expansion. Wal-Mart est lui aussi de la partie et a déclenché une réelle guerre des prix. Certaines enseignes de supermarchés traditionnelles et régionales pourraient en souffrir, car ces dernières années elles n’ont pas suffisamment investi dans l’expérience client et le niveau de prix.
L’arrivée de Lidl constitue-t-elle une menace pour Ahold Delhaize, qui est également actif le long de la Côte Est ? Cela dépend, estime-t-on chez Barclays. Tant Delhaize qu’Ahold sont déjà confrontés à Aldi et Lidl sur leur marché domestique et dans d’autres pays. Cela leur donne un avantage par rapport à leurs concurrents américains.
Par ailleurs les consommateurs américaines sont plus attachés aux marques nationales que les consommateurs européens. A leurs yeux les discounters sont donc moins attrayants. Les supermarchés ont un avantage au niveau de l’assortiment et du service.
A noter qu’aux Etats-Unis Lidl ouvrira des magasins plus grands qu’en Europe, ce qui pourrait indiquer que le retailer est conscient des attentes des consommateurs américains. Bien que tout écart par rapport au modèle standard peut comporter un risque. Wait and see!