Quels sont les principaux événements, tendances ou développements du retail à retenir de l’année 2016 et quelles évolutions se poursuivront en 2017 ? RetailDetail a posé la question à six expertes en retail. Voici leurs prédictions.
« Les vainqueurs évincent les perdants du marché »
Gino Van Ossel, Vlerick Business School : « En 2016 pour la première fois de mémoire d’homme le secteur du retail dans notre pays est resté nettement à la traine par rapport au reste de l’Europe. Le consommateur belge a moins dépensé que l’année auparavant, suite aux perspectives économiques pessimistes, aux attentats et aux conditions météorologiques défavorables. La croissance du e-commerce a pesé davantage encore sur les résultats des magasins physiques. Mais là non plus l’euphorie n’est pas de mise : la croissance des dépenses online est inférieure par rapport aux Pays-Bas, donc nous ne rattrapons pas notre retard. Par ailleurs nous dépensons beaucoup (voire trop) sur des webshops étrangers. »
« Plus encore que les années précédentes, les vainqueurs évinceront les perdants du marché. Je prévois hélas que bon nombre de retailers seront contraints à une restructuration et à la fermeture de magasins. D’autres se retireront de notre pays ou feront faillite. Mais les acteurs puissants, dont les performances sont supérieures à celle du marché et qui ont les moyens financiers nécessaires, en profiteront pour gagner des parts de marché. »
« La vague de consolidation se poursuivra inévitablement, afin de pouvoir soutenir les investissements dans la transformation digitale. Même scénario pour les régions commerciales : le taux d’inoccupation dans les petites villes est malheureusement insoluble, alors que d’ici 2020 le Meir à Anvers détrônera la rue Neuve à Bruxelles comme rue commerçante la plus onéreuse et la plus fréquentée. »
« Percée de l’assistant virtuel »
Stefaan Vandist, trendwatcher et accompagnateur de processus d’innovation : « Personne dans le retail ou la logistique ne me contredira : dans l’e-commerce la question épineuse est celle du fameux ‘last mile’, voire même du ‘last meter’. Dans le développement du e-commerce il est important de relever ce défi. Selon moi, l’évolution la plus significative en 2016 est l’apparition de solutions concrètes concernant ce dernier kilomètre ; des solutions que l’on peut réellement prendre au sérieux. »
« Tout d’abord je pense au belge Bringme (www.bringme.com), une magnifique intégration de casiers de livraison intelligents et d’une application pour smartphone. Je suis admiratif face à leur design, au nombre croissant de leurs utilisateurs et aux concepts encore en préparation. Starship Technologies (www.starship.xyz) me surprend également. Le drone à six roues conquiert le trottoir et fait son ascension à Londres, où il est utilisé pour la livraison de pizzas. »
« Selon moi, 2017 sera l’année de la percée du ‘virtual assistant’. Les early-adaptors parmi les consommateurs et les professionnels prendront un assistant virtuel intelligent à domicile. Le matin au petit-déjeuner il vous donnera un petit briefing sur base de votre agenda et vous fournira des informations sur le trafic, mais il vous aidera également à faire vous courses sur base d’une liste de courses virtuelle (Alexa, il n’y a plus de papier toilette !). Aujourd’hui les ‘virtual assistants’ ne sont pas encore vraiment sortis de leur propre bulle technologique. »
« L’Intelligence artificielle a rendu des services comme ‘Google Translate’ beaucoup plus efficaces, mais il s’agit d’une application dont le consommateur n’a pas encore réellement conscience. En augmentant la connectivité avec d’autres plates-formes et dispositifs, ces ‘virtual assistants’ s’installeront de manière beaucoup plus concrète dans la vie quotidienne. Les retailers aussi (et je pense en particulier au secteur fmcg et le food service) recevront de plus en plus de commandes dictées via Alexa d’Amazon, Google Assistant ou Cortana de Microsoft. La question est de savoir comment les retailers peuvent anticiper ce phénomène. »
« Optimaliser la livraison à domicile »
Peter Somers, CEO Sprintpack : « En 2016 la ‘disruption’ dans le paysage commercial belge s’est poursuivie. Les ventes en ligne continuent de progresser, les concepts omni-canal se multiplient et les acteurs du ‘last mile’ adaptent progressivement leur offre afin de rendre la livraison à domicile aussi efficace que possible. »
« Ces tendances se poursuivront certainement en 2017 et d’autres développements disruptifs, tels que la robotisation ou la réalité virtuelle, gagneront du terrain. 2017 sera peut-être l’année de la percée des commandes online de courses et peut-être les solutions offertes par les supermarchés au Royaume-Uni et aux Pays-Bas feront-elles leur entrée sur le marché belge. Cela signifie donc que les retailers devront s’efforcer de proposer un assortiment basé sur les besoins des clients et si nécessaire un assortiment personnalisé ou sur mesure. Les consommateurs étant de plus en plus exigeants, les retailers et les acteurs de la logistique et du ‘last mile’ devront mettre tout en œuvre afin de respecter leurs engagements pour garder leurs clients. Bref, une année remplie de défis en perspective. »
« Regain d’intérêt pour les magasins physiques »
Katelijn Quartier, professeur en retail design, Université de Hasselt : « La principale tendance en 2016 a été le regain d’intérêt pour le magasin physique. Ces dernières années il y a eu d’énormes investissements dans l’omni-canal, avec une grande attention pour les webshops. En 2016 nous avons constaté que bon nombre de retailers ont redécouvert la force du magasin physique et que ce canal n’est certainement pas voué à disparaître ! Outre les pure players qui ouvrent des magasins physiques, nous voyons également des investissements dans de nouveaux concepts de magasins et/ou des rénovations de magasins. »
« L’hypermarché Carrefour à Mons, qui s’est réinventé, en est un bel exemple. Carrefour y a misé sur le vécu, la sollicitation des sens, la communication narrative, l’artisanat, le service et la qualité. Comeos a d’ailleurs décerné le prix Mercure à ce nouvel hypermarché. Les retailers, grands et petits, commencent à prendre conscience que le magasin est un canal de communication où ils peuvent gâter le client, lui offrir un bon service, le séduire. Tout est question de toucher le consommateur d’un point de vue émotionnel. »
« Designing for emotions (déjà connu dans le design de produits) a fait son entrée dans le retail en 2016 et continuera d’évoluer en 2017. Des études nous apprennent également que la recherche de connaissance concernant la création d’un magasin ‘ultime’ ne cesse de grandir. Tout entrepreneur cherche sa propre histoire, sa propre identité et sa place sur le marché afin de conquérir le cœur du consommateur. La demande de formations autour du retaildesign et d’études sur ce thème est de plus en plus importante et les subsides pour ces projets suivent cette même courbe. Je pense qu’avec les efforts fournis par les autorités (subsides, nouvelles mesures …), par les centres de connaissances (recherche et diffusion de connaissances) et par des retailers entreprenants, nous pouvons nous attendre à un vent de renouveau au niveau des concepts de magasins. L’année 2017 s’annonce prometteuse ! »
« Nous avons besoin de plus de transparence »
Aline Julia, conseillère en retail chez FlyAline, professeur à l’école supérieure Karel de Grote et Odisee et à l’Université de Hasselt : « Suite à la montée du e-commerce, les modèles d’entreprise existants sont sous pression. Une nouvelle économie voit le jour. Je pense par exemple à blinq.com, un webshop spécialisé dans les produits retournés, avec de fortes réductions. Les e-commerçants veulent se débarrasser des problèmes de retour. Les restaurants donnent la majeure partie de leurs gains à Deliveroo, car le consommateur s’attend à payer le même prix que sur le menu. Les retailers cèdent leurs marges aux places de marché, comme bol.com. Et en plus ils doivent investir dans leur propre webshop. »
« Même les retailers se rendent compte qu’il ne suffit plus d’être un simple commerçant. Mais les retailers qui ont débuté en tant que chaîne physique uniquement, ont un sérieux handicap. C’est pour cette raison, selon moi, que les choses évoluent si lentement dans le retail alimentaire. Ils se retrouvent avec ce gigantesque appareil logistique conçu pour approvisionner des supermarchés. Songez aux box repas par exemple. HelloFresh a fait bouger les choses lorsque début 2015 l’entreprise s’est lancée dans de gigantesques investissements marketing. Je pensais que les retailers alimentaires suivraient rapidement le mouvement, mais aujourd’hui, deux ans plus tard, je ne suis pas vraiment époustouflée par les initiatives online des commerçants alimentaires. »
« Les retailers ont des marges trop réduites et par conséquent ils mettent également les marges de leurs fournisseurs sous pression. Les consommateurs de leur côté s’attendent à un service encore meilleur et des prix encore plus bas. Il n’y a plus d’équilibre. J’espère que le consommateur en prendra conscience. Le marketing d’acteurs comme Zalando ou Primark est axé sur la société du jetable. Aux Etats-Unis les consommateurs jettent pas moins de 40 kg de vêtements par an ! Cela m’inquiète. »
« J’espère donc qu’il y aura plus d’initiatives comme ‘Rank a Brand’, qui compare les marques au niveau de la durabilité. Certes nous prétendons tous vouloir acheter un pull à quelqu’un qui aura été payé raisonnablement pour le fabriquer, mais c’est tellement plus facile de se voiler la face. C’est comme si les consommateurs se réservaient le droit d’être moralement aveugles. Nous avons besoin de plus de transparence. »
« Une concurrence sans frontières »
Jorg Snoeck, fondateur de RetailDetail : « Les rapports de force ont changé. Avant les marques détenaient le pouvoir, ensuite les retailers ont pris le dessus. A présent le consommateur a un tel pouvoir que tout est chamboulé. Tout le monde est connecté et tout est connecté. Le parcours clients s’en trouve radicalement transformé. C’est pourquoi les retailers doivent revenir à leur mission. Tout retailer doit s’interroger sur sa raison d’être, son rôle dans le futur et la manière de faire la différence. Je crois à l’avenir du magasin physique, à condition qu’il intègre le canal online en magasin. C’est ce que nous appelons l’inline. Le magasin change de fonction. Tout le monde ne semble pas encore s’en rendre compte. »
« A l’avenir d’autres magasins physiques fermeront leurs portes, mais certains pure players aussi fermeront leurs portes virtuelles. Nous avons à faire à une énorme polarisation. D’un côté du spectre seuls les grands acteurs survivront, de l’autre côté il y a du potentiel pour les spécialistes. Mais ces derniers devront se connecter via tous les canaux. En tant que spécialiste, vous pouvez vendre par-delà les frontières, car lorsque vous proposer de bons produits ou de bons services les clients viendront de partout. Dans le segment moyen les possibilités sont plus limitées. La concurrence transfrontalière y est si grande qu’il faudra jouer des coudes pour attirer l’attention du consommateur. »
« Les changements sociétaux créent de nouvelles opportunités : la multi-culturalité, le vieillissement de la population, l’urbanisation, le terrorisme … Nous vivons plus longtemps, d’où un glissement des phases de vie. Les jeunes entrent plus tard sur le marché du travail et les retraités d’aujourd’hui ne sont pas vieux. »