Le mystery shopper : un job à multiples facettes
Nous devons donc d’urgence adapter l’image que nous avons du client mystère ?
M.B. : « Oui, certainement. Au niveau mondial nous travaillons avec une base de données de 500.000 personnes dans 137 pays ! Cela peut paraître énorme, mais c’est nécessaire. Le choix du mystery shopper que nous envoyons, dépend de la demande de notre client et du type de mission : pour certaines missions par exemple il faut quelqu’un portant des lunettes, pour d’autres il faut une personne qui s’y connaît en automobile . »
Combien de Belges y a-t-il dans votre base de données ?
M.B. : « Je ne peux pas donner un nombre exact, mais certainement au-delà des 7.000. C’est nécessaire vu les exigences très différentes des clients. Pour les Pays-Bas ce nombre est plus ou moins identique. »
Où trouvez-vous autant de candidats ?
M.B. : « Cela dépend, nous utilisons différents canaux : les médias sociaux par exemple sont très pratiques, mais également les forums internet et même le canal classique des annonces d’emploi. L’internet est un outil fantastique : pour une mission dans le secteur automobile par exemple, nous trouvons d’innombrables candidats via des sites web, des groupe Facebook et des forums concernant l’automobile. »
Tous ces clients mystères se baladent donc anonymement dans les magasins. Ou est-ce là encore un cliché dépassé ?
M.B. : « Leur mission est bien plus complexe que cela ! Actuellement les magasins optent pour une approche multicanal, et nos candidats doivent donc en faire autant. Aujourd’hui l’internet fait partie du ‘shopping experience’, nous devons donc également être actifs dans ce domaine, afin de déterminer quelles sont les expériences des clients sur internet. Autre canal un peu oublié, le contact téléphonique avec le service clientèle, qui fait également partie de nos études. C’est un canal important, car si on y prête pas assez attention, il peut très vite donner une image négative au client. »
Y a-t-il une évolution dans le job de mystery shopper ?
M.B. : « Bien entendu ! Et pas seulement en raison de l’internet … Au sein de notre entreprise l’accent se déplace de plus en plus vers le ‘customer experience management’, qui est beaucoup plus vaste que le ‘mystery shopping’. Ce qui signifie que nous évaluons également l’engagement du personnel, ainsi que l’opinion du client quant au service. C’est pourquoi chez Bare International nous préférons le terme ‘Excellent Customer Experience research’ plutôt que ‘mystery shopping research’. »
Il s’agit donc davantage de ‘research’ plutôt que de ‘mystery shopping’ ?
M.B. : « Nous faisons les deux, mais le mystery shopping demeure notre cœur de métier. Mais attention, cela ne concerne que notre entreprise, je ne peux pas parler au nom de la concurrence. Nous constatons que nos clients optent de plus en plus pour le ‘research’, une approche 360°, où nous utilisons différentes méthodes de recherche. Nos clients par exemple de plus en plus demandent des ‘social media scans’ afin de savoir ce qui se dit et s’écrit dans les médias sociaux concernant leur service, sans devoir poser la question explicitement aux consommateurs. »
En quoi consiste la concurrence ? Comment se présente le secteur au niveau mondial ?
M.B. : « Au niveau mondial on peut parler d’un business de quelques milliards : 2,5 à 3 milliards de dollars (un peu plus de 2 milliards d’euros) en chiffre d’affaires. Nous constatons, malgré le jeune âge du secteur, qu’ il y a déjà une vague de consolidation : ainsi en 2009 TNS et Research international se sont associés. Ipsos et Synovate sont partenaires depuis peu, et d’autres suivront … Ainsi il restera une poignée d’entreprises, qui opèreront au niveau mondial. Notre force réside dans l’international, mais nous avons également des projets locaux. »
Les clients sont différents partout, mais évoluent de la même manière
Etant actif au niveau mondial, pouvez-vous appliquer les mêmes techniques et questionnaires partout ?
M.B. : « Non, pas exactement les mêmes. Les clients européens sont totalement différents des clients américains. Je pense qu’en gros on peut dire que 80% de nos questionnaires sont identiques de par le monde, mais 20% doivent être adaptés localement. Chaque pays a ses propres attentes et exigences.
Même entre les Belges et les Néerlandais, il y a une énorme différence ! Aux Pays-Bas tout est plus agressif, alors que les Belges sont plus réservés. Et en Allemagne il s’agit avant tout d’efficacité.
Prenez par exemple une station-service : si l’employé lorsque vous passez à la caisse vous dit : « Monsieur saviez-vous qu’aujourd’hui vous avez droit à une réduction d’un euro sur ces chewing-gums », en Belgique on considèrerait cela comme de l’agressivité, alors qu’aux Pays-Bas on serait presque fâché qu’on ne vous le signale pas. Là aussi il y a une évolution : ce qui était considéré comme agressif aux Etats-Unis dans le passé, est à présent largement accepté depuis des années. »
Y a-t-il une image générale dans cette évolution ? Tout le monde évolue-t-il dans le même sens ?
M.B. : « Les Américains sont des ‘trendsetters’ et les Néerlandais sont des ‘early adopters’. Toutefois les Pays-Bas sont une exception, car généralement ce sont les pays méridionaux qui adoptent plus rapidement ces choses-là, car il y a dans ces pays une réelle culture de l’hospitalité. En règle général on peut dire : au plus au nord, au plus réservé. En Scandinavie par exemple il fait froid et sombre, et les gens y ont très vite une réaction de ‘laissez-moi tranquille !’. La Belgique et les Pays-Bas sont donc très différents de cette image générale.
On peut dire également que les évolutions sont déterminées par les ‘service providers’. Un petit exemple : il y a vingt ans le fait d’avoir une machine à café dans sa chambre d’hôtel était considéré comme un luxe, mais actuellement on est déçu quand il n’y en a pas. On peut donc très bien créer des attentes chez les consommateurs. »
L’internet joue-t-il un rôle dans cette évolution ?
M.B. : « Bien entendu, l’internet change tout et le facteur mobile est l’élément-clé de tout changement ! Voyez par exemple tout ce qu’on peut faire avec un smartphone, à part le shopping via gsm. Aujourd’hui les clients peuvent se procurer toutes sortes d’informations lorsqu‘ils sont dans un magasin et ils attendent la même chose de la part du personnel.
Les clients sont de plus en plus exigeants : ils veulent vivre une expérience en magasin agréable. C’est d’ailleurs le seul avantage qu’un magasin physique a par rapport à un webshop, autrement le client peut tout aussi bien faire son shopping online : ainsi ils évitent la masse, ne doivent pas sortir de leur fauteuil, … etc.
En Belgique apparemment on a pas encore bien compris cela ! Par exemple lorsqu’on demande dans un magasin où se trouvent les jeans, on vous répond souvent ‘là-bas’. Aux Etats-Unis ce serait impensable : là on vous accompagne et on vous aide à choisir : ‘Quelle taille ? Quelle couleur ? Que puis-je encore pour vous ?’ Petit à petit ici aussi les clients vont l’exiger. Le rôle du retailer change donc complètement ! »
Cette évolution est-elle générale ou y a-t-il des contre-exemples ?
M.B. : « Je connais un contre-exemple qui fonctionne très bien : TD Bank aux Etats-Unis. Alors que toutes les banques tentent de réduire les frais en proposant tout via internet et en fermant les agences, chez TD Bank , ils font exactement le contraire : ouvrir une banque à chaque coin de rue et contrairement à toutes les autres banques, ils sont ouverts le samedi et le dimanche. Mais c’est un cas à part, tous les autres sont contraints de suivre l’évolution. »
Y a-t-il d’autres évolutions importantes ?
M.B. : « Il vaut mieux ne pas regarder comment les clients se comportent, mais plutôt essayer de déterminer quelles sont les différences générationnelles. Pour les jeunes tout est question de personnalisation : ils veulent tout maintenant et à leur manière. Celui qui comprend cela et parvient à l’intégrer dans sa culture d’entreprise, pourra certainement acquérir une énorme part de marché. »
Et pour terminer : y a-t-il une question que vous attendiez, mais que nous n’avons pas posée ?
M.B. : « Euh .. bonne question ! Peut-être celle-ci : comment les entreprises européennes vont-elles répondre de façon plus agressive aux nouveaux besoins de l’économie ? »
Et votre réponse ?
M.B. : « Si j’avais la réponse à cette question, je serais en ce moment en train de me dorer au soleil sur mon yacht … que je n’ai pas d’ailleurs ! »
Mais c’est une question à laquelle vous réfléchissez, sinon vous ne l’auriez pas posée ?
M.B. : « Non, je n ‘ai pas de réponse. La tendance de demain se joue peut-être déjà devant nos yeux depuis des mois, sans qu’on s’en rende compte. Certaines choses ne sont absolument pas prévisibles, comme par exemple ce premier ministre grec qui avait reçu un cadeau à milliards de la communauté internationale, mais qui voulait quand même tenir un référendum sur la question. On a beau s’informer, on n’arrive pas à tout savoir, hélas … »
Traduit par Marie-Noëlle Masure
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