Retirer des produits des rayons : c’est une tactique qu’utilisent parfois les retailers pour obtenir gain de cause en cas de conflits avec leurs fournisseurs. Mais personne n’y gagne, révèle une récente étude de la KU Leuven.
Négociations impitoyables
En cas de désaccord avec un fabricant, le retailer peut décider de retirer les produits du fournisseur en question de ces rayons. C’est ce qu’on appelle le déréférencement. Ce phénomène prouve que les deux parties sont prêtes à aller jusqu’à l’extrême pour défendre leur point de vue lors de négociations impitoyables.
A titre illustratif, citons quelques exemples récents, notamment le conflit entre Heineken et Jumbo aux Pays-Bas et entre Dr. Oetker et la chaîne de supermarchés allemande Real. Dans les deux cas les marques ont été retirées des rayons des supermarchés et ne sont réapparues qu’au moment où le conflit a été solutionné.
Les rapports de force ont changé
En effet, il y a bien longtemps que les retailers ne se laissent plus marcher sur les pieds par les fabricants tout-puissants. Avec leurs marques maison ils disposent d’une arme efficace. De plus ils décident eux-mêmes quelles seront les marques qui occuperont les espaces limités et très convoités dans les rayons. Ils peuvent également collecter des données plus précises concernant la vente de leurs produits via les cartes de fidélité de leurs clients, par exemple. C’est pourquoi les rapports de force entre les deux parties ont radicalement changé : les fabricants doivent donc considérer les retailers comme leurs égaux.
Lorsque les négociations s’enlisent, les retailers préfèrent parfois avoir recours à leur arme ultime, plutôt que de faire la moindre concession s’ils n’obtiennent pas les conditions voulues.
Une situation perdant-perdant
Une étude de la KU Leuven démontre que le déréférencement en cas de conflit ne laisse personne indemne. L’université de Leuven est la première à explorer ce phénomène d’un point de vue académique dans une étude publiée dans le magazine de renom Journal of Marketing, une référence internationale. « Dans ce premier article nous avons étudié les conséquences d’un grand déréférencement suite à un désaccord commercial. Nous avons tenté de déterminer qui des deux parties prenait le dessus dans un tel conflit et pour quelles sortes de produits et/ou marques le déréférencement est plus ou moins nuisible pour le retailer et le producteur », expliquent Sara Van der Maelen, Els Breugelmans et Kathleen Cleeren (KU Leuven).
Leur conclusion ? « Le déréférencement en cas de conflit entraîne une situation perdant-perdant pour les deux parties. Dans leur lutte acharnée pour obtenir gain de cause, ils ne peuvent oublier le consommateur. Si le consommateur change de supermarché pour acheter ailleurs le produit non-disponible, le retailer perdra des revenus. Si par contre le consommateur au sein du même supermarché change de marque parce que la marque voulue n’est pas disponible, c’est le producteur qui perdra des revenus. »
Peser le pour et le contre
« L’étude démontre que le retailer subit le manque à gagner le plus important, et le fabricant le manque à gagner le moins important. Toutefois le deux parties disposent d’armes capables de les protéger s’ils risquent de perdre des revenus. Ainsi un retailer est en position de force dans les catégories avec un vaste assortiment, alors que le fabricant disposant d’une marque forte pourra compter sur la fidélité du consommateur qui changera spécialement de supermarché pour y acheter sa marque favorite. »
« Les deux parties risquent le plus gros manque à gagner dans les catégories où les achats sont généralement planifiés (donc rarement impulsifs). Dans ce type de catégories le déréférencement est à éviter. Le message pour les retailers et les fabricants est donc clair : pesez le pour et le contre entre le risque de manque à gagner et l’inflexibilité lors de négociations.
S. Van der Maelen, E. Breugelmans and K. Cleeren (2016), “The Clash of the Titans: On Retailer and Manufacturer Vulnerability in Conflict Delistings,” Forthcoming in Journal of Marketing.