Depuis plusieurs années, le Français Olivier Dauvers est un observateur critique de tout ce qui concerne de près ou de loin l’e-commerce. Il entre en dialogue avec quelques exploitants de magasin.
Une question de temps
« Il y a cinq ans d’ici, je n’avais encore jamais rien acheté en ligne pour me faire livrer à domicile » explique Kris Borloo, exploitant du Spar Colruyt de Denderwindeke. « Et voyez où nous en sommes aujourd’hui, notamment en matière de vêtements, d’électro ou de voyages. Vous trouvez tout ce que vous voulez sur bol.com, Amazon ou Coolblue et DHL et d’autres vous livrent chez vous. Il est impossible d’arrêter cette tendance. » Même si le food reste un secteur à part.
« Aujourd’hui, les prix sont calculés en fonction de la ‘démarche’ du client : il se déplace jusqu’au magasin, prend le produit dans le rayon et passe à la caisse. Si nous devons faire les choses à sa place, cela suppose des frais supplémentaires : stockage, possibilité d’enlèvement voire dépôt de ses achats dans le coffre de sa voiture. Collect & Go est actuellement facturé 6 euros par achat mais c’est trop peu pour couvrir les fais. »
Ne pas rater le train
« Si vous ne participez pas au mouvement et vous désintéressez de toutes les possibilités qu’offre l’-e-commerce, vous risquez fort de manquer le train » prévient Eric Gosset, exploitant de l’Intermarché de Soignies, le premier drive d’Intermarché en Belgique. « Ceux qui se lancent aujourd’hui peuvent prendre une longueur d’avance sur la concurrence. »
Olivier Dauvers abonde dans ce sens : « L’e-commerce est assurément une menace pour les supermarchés puisqu’une part croissante des commandes passe par les drive et non plus par les magasins physiques. Néanmoins, les enseignes peuvent se servir de leur notoriété offline pour booster leurs activités online. »
« L’e-commerce n’agrandit pas le gâteau » estime Dirk Pauwels de l’AD Delhaize de Tienen. « Il n’y a pas d’illusions à se faire : il s’agit d’un acteur supplémentaire qui exige tout simplement sa part. Nous sommes dans un environnement extrêmement concurrentiel et nous devons attirer le client par tous les canaux imaginables. »
La situation est différente pour les magasins de proximité que pour les hypermachés, constate Dominique Nuytten qui exploite deux Carrefour Express, l’un à Knokke et l’autre à Duinbergen, et un market à Blankenberge. « Notre clientèle est relativement âgée et donc moins intéressée par internet. En outre, un supermarché de proximité est un lieu de rencontre, ouvert quand le client en a besoin. »
Cannibalisation
Olivier Dauvers insiste : l’essor de l’e-commerce se fera au détriment des magasins physiques, ce qu’il appelle de la cannibalisation. Toutefois, il fait valoir que l’e-commerce fait entrevoir des possibilités de croissance, en particulier pour les commerçants indépendants. « En France, 45% des magasins et 60% des drives sont exploités par des indépendants. Ils sont donc pleinement partie prenante et sauront se faire entendre. D’autant plus que leurs enseignes ne les forcent pas à s’engager dans l’e-commerce. »
Détenant 48% de parts de marché, Leclerc est l’incontestable leader du marché français de l’e-commerce. « Les exploitants indépendants n’ont pas pris l’initiative de ce nouveau canal mais, dans une structure coopérative, ils participent à la définition de la politique et des choix stratégiques de leur enseigne. »
Un défi logistique
Comme tout l’e-commerce belge, le FMCG est un peu à la traîne. Alors qu’en France les drives et les collect & go se développent rapidement, en Grande-Bretagne, la livraison à domicile marque des points. On peut se demander pourquoi le marché belge est si lent à réagir. Les commerçants pointent le défi logistique.
« Vous avez besoin de frigos et de congélateurs distincts, de nouveaux systèmes informatiques, etc… » Dirk Pauwels s’indigne : « Les Français et les Anglais ne sont quand même pas plus forts que nous en matière de logistique ! Les problèmes sont faits pour être résolus ! »
Préférence culturelle
Selon Dauvers, il s’agit de savoir quel service l’on souhaite valoriser et c’est là une donnée culturelle. « En France, la livraison à domicile existe depuis plus de 25 ans mais elle ne dépasse pas 10% du chiffre d’affaires de l’e-commerce. Ce piètre résultat n’est pas dû à des problèmes techniques ni au surcoût : c’est tout simplement un choix culturel. » Quel service le marché belge valorisera-t-il : le drive ou la livraison à domicile ? Ce sont là deux réponses différentes à une demande identique. Les choix stratégiques déterminent à quelle vitesse le marché potentiel s’ouvre. Il n’est pas impossible que le marché belge, vu les différences culturelles entre les deux grandes communautés, se développe inégalement : des drives au sud, comme en France, et la livraison à domicile au nord, comme en Grande-Bretagne.
Le potentiel du marché
La question est de savoir si le marché recèle suffisamment de potentiel quand le taux de pénétration est aussi faible. Olivier Dauvers : « En France, le taux de pénétration est stable à environ 22% depuis trois ans. Cependant, le business se développe bien : en dépit du fait que le nombre de clients n’augmente pas, les drives progressent de 18% ! » Ce qui signifie qu’un groupe stable de clients achète de plus en plus online. Construit-on un modèle rentable pour un cinquième de la clientèle ? « Gagner ou perdre des clients est une chose mais gagner de l’argent en est une autre. Si un drive est basé sur un système de ‘store picking’, je doute fort qu’il puisse être rentable. Par contre, le modèle ‘entrepôt’ que Leclerc et Auchan ont développé sur le marché français permet d’atteindre une rentabilité suffisante en termes de produits traités à l’heure. »