Versace a fait les mauvais choix stratégiques l’année dernière, affirme son PDG John Idol. Après des années de croissance, le marché du luxe cherche une nouvelle stratégie, mais il peine à se positionner : quels clients veut-il atteindre en priorité ?
Le luxe à l’ère de la “dupe culture”
Le problème ? Dans une “conjoncture délicate”, comme l’appelle Bernard Arnault (LVMH) la grande majorité des consommateurs restreint ses dépenses. Seuls les plus fortunés (les VICs, ou Very Important Customers) continuent d’acheter du luxe sans compter. C’est particulièrement vrai pour les nombreux shoppers aspirationnels, cette classe moyenne qui porte un sac Vuitton ou une ceinture Hermès sur un pantalon Zara. Pour eux, l’achat d’un produit de luxe symbolise une promesse de mobilité sociale ascendante, mais aussi un achat dont ils se passent pour l’instant.
Les shoppers aspirationnels sont souvent des clients plus jeunes, très influencés par les réseaux sociaux, où la “dupe culture” connaît un véritable essor. Outre le marché de la seconde main, l’achat d’imitations ou de copies, appelées “dupes”, n’est plus un tabou. Au contraire, 41 % des consommateurs de mode achètent désormais dans des boutiques de seconde main, selon McKinsey, et près d’un adulte sur trois aux États-Unis admet avoir volontairement acheté une imitation d’un produit premium ou de luxe.
La chute du “demure fall”
Dans le sillage de la tendance “demure fall” sur les réseaux sociaux, et dans le but de séduire une clientèle plus fortunée, Versace a misé sur le “quiet luxury” (le luxe discret). Comme de nombreuses autres maisons de luxe, la marque a tenté de monter en gamme, préférant cibler une clientèle plus mature alors que les consommateurs aspirationnels devenaient moins rentables.
Aux États-Unis, les plus de 50 ans détiennent 72 % de la richesse et sont responsables de 48 % de la croissance économique. Pour les reconquérir, des marques comme Gucci et Burberry ont lancé des plans de redressement axés sur des collections plus classiques et intemporels. Elles se sont inspirées de Chanel et Hermès, qui, en restant fidèles à leur style classique, continuent de prospérer dans un marché turbulent.
Faut-il choisir entre sobriété et exubérance ?
Versace est pourtant synonyme de couleurs vives et d’imprimés éclectiques. Son image reste indissociable de son fondateur flamboyant Gianni Versace, et du faste italien. Ses clients n’attendent donc pas de designs sobres et minimalistes. Si la clientèle ultra-fortunée a apprécié cette nouvelle direction, la marque a perdu une partie de son ADN distinctif – et une part significative de sa clientèle habituelle.
Dans le même esprit, Versace a réduit son offre de produits d’entrée de gamme, ce qui a entraîné une baisse des volumes de vente. De plus, la décision d’accorder moins de réductions a également été un échec. Résultat ? Un recul de 15 % du chiffre d’affaires au dernier trimestre, tombant à 193 millions de dollars (180 millions d’euros).
L’équilibre idéal se trouve dans son ADN
Pour l’année prochaine, le PDG John Idol promet de trouver un “équilibre idéal” entre élégance et exubérance en élargissant la gamme de produits, afin de séduire à nouveau une clientèle variée – y compris les shoppers aspirationnels récemment négligés. Versace illustre ainsi parfaitement le dilemme auquel font face les maisons de luxe. Doivent-elles opter pour la sobriété et séduire une clientèle ultra-riche, ou privilégier le plaisir et s’adresser à un public plus large ?
La réponse semble résider dans l’identité propre à chaque marque. Versace n’est pas Burberry et ne devrait pas aspirer à le devenir, tout comme Hermès ne se lancera jamais, à la manière de Balenciaga, dans la création d’une collection virtuelle pour les joueurs de Fortnite. L’adage “restez fidèle à son ADN”, souvent répété à l’excès, semble encore trop facilement oublié dans le monde du luxe.